Derrière le Festival de Marrakech, des salles de cinéma qui agonisent

13 décembre 2007 - 01h48 - Culture - Ecrit par : L.A

Cent quinze films en sélection, dont quinze en compétition ; une batterie de stars qui lui assurent un retentissement médiatique mondial : la 7e édition du Festival international du film de Marrakech est organisée du 7 au 15 décembre. Le festival peut aussi se vanter d’avoir le plus grand "off" du monde. Un "off" qui contourne les salles de cinéma et concourt à leur perte : au coeur de la ville, une offre pléthorique de films est disponible sous forme de DVD pirates qui s’étalent devant des boutiques au prix moyen de 10 dirhams (moins de 1 euro).

L’un de ces revendeurs a poussé le vice jusqu’à s’installer en face du Mabrouka, où est programmée une partie de la sélection du festival. On trouve sur ses étals des films très récents comme Les Deux Mondes, de Daniel Cohen, d’autres, comme Gone Baby Gone, de Ben Affleck, qui ne sont pas encore sortis en France. Le commerçant garantit à ses clients de leur procurer ce qu’ils veulent dans les meilleurs délais.

Entre le "off" et le "in", le public marocain a fait son choix, comme il l’a fait depuis longtemps entre la salle de cinéma et le salon télé. Ici, le piratage remonte au début des années 1980, à l’apparition des cassettes vidéo, quand les salles enregistraient 45 millions d’entrées par an. En 2007, ce chiffre n’est plus que de 3 millions.

Dans le même temps, les cinémas ont fermé les uns après les autres. Inaugurée il y a à peine un an, la Cinémathèque de Tanger serait en danger de mort, ainsi que la belle salle du Colisée, à Marrakech, dont le propriétaire, Mohammed Layadi, explique qu’il ne "voit pas comment il peut ne pas fermer". Entre 2000 et 2007, le nombre d’entrées dans son cinéma est passé de 200 000 à 60 000. "La solution est peut-être de se lancer dans le secteur pirate", plaisante-t-il à moitié. "Ce pourrait être le moyen de faire une vraie programmation art et essai."

La piraterie et le manque de volonté politique pour la combattre que dénoncent les professionnels ne sont pas seuls en cause. La télévision par satellite a changé les habitudes, alors que l’état des salles et du matériel de projection se dégradait continuellement. L’absence de régulation en matière de concurrence a fait le reste, autorisant de fait le plus gros distributeur du pays, qui possède aussi les deux multiplexes, à imposer sa loi.

"Transmettre du savoir"

Dans un tel contexte, quel rôle peut jouer un festival comme Marrakech ? Un rôle de transmission, affirme Bruno Barde, le directeur artistique, qui croit dans l’importance de la salle comme "lieu de célébration du culte, comme le sont les églises, les mosquées, les synagogues pour la religion", et revendique le fait de "transmettre du savoir à travers la circulation des oeuvres".

L’intention est louable, mais peu suivie d’effet malgré quelques efforts pour faire venir le public dans les salles. Content de montrer les films du festival, dont il apprécie la programmation, M. Layadi déplore ainsi l’absence de communication faite autour d’eux : "Personne n’est au courant de ce que l’on montre ! On nous a donné la programmation la veille ! Les gens ne sont pas des moutons, ils veulent choisir les films qu’ils vont voir !"

De nombreux festivaliers ont quant à eux été déçus de ne pouvoir assister, dimanche 9 décembre, à la leçon de cinéma de Martin Scorsese, réservée à la presse, aux officiels et aux professionnels. Pour Ali Amar, directeur de la publication de l’hebdomadaire Le Journal, "Marrakech est un festival élitiste, marketing, propagandiste, la vitrine pour une image moderne du Maroc". Pour Nour-Eddine Sail, vice-président du festival et directeur du Centre du cinéma marocain (CCM), le festival a vocation "à se placer dans la cour des grands festivals internationaux, à imposer son style par la rigueur de son regard". Pas à "faire l’aumône". Libre ensuite à qui le souhaite de se mettre à niveau. A cette fin, il a créé une section spéciale pour les films marocains, "grâce à laquelle chaque producteur peut aller à la pêche, inciter des acheteurs, des journalistes, à aller voir ses films".

Il n’est guère plus tendre pour les salles de cinéma historiques. Alors qu’une pétition circule pour obtenir des mesures en leur faveur, le directeur du CCM estime que celles-ci sont pour la plupart obsolètes, qu’elles "vont continuer à fermer", et que le salut passe par les multiplexes. A cet effet, il veut créer un fonds d’investissement pour financer un nouveau parc d’une centaine de salles.

Le Monde - Isabelle Regnier

Bladi.net Google News Suivez bladi.net sur Google News

Bladi.net sur WhatsApp Suivez bladi.net sur WhatsApp

Sujets associés : Cinéma - Festival International du Film de Marrakech

Ces articles devraient vous intéresser :

Des milliers de Marocains privés d’IPTV

Des milliers de Marocains amateurs de films, de séries et de télévision par Internet (IPTV) ont été récemment touchés par une action des forces de l’ordre européennes. Europol et le Service néerlandais d’informations et d’enquêtes fiscales (FIOD) ont...

Combien gagne Nora Fatehi ?

L’actrice, productrice et danseuse maroco-canadienne, Nora Fatehi figure parmi les grosses pointures du cinéma indien. À combien s’élève la fortune de la plus indienne des Marocaines ?

Tarek Boudali : l’accident sur un tournage qui aurait pu lui coûter la vie

L’acteur franco-marocain Tarek Boudali se confie sur le tournage de son nouveau film intitulé 3 Jours max, au cours duquel il s’est gravement blessé.

Jamel Debbouze très fier de sa maman

L’humoriste franco-marocain Jamel Debbouze a fait une déclaration d’amour à sa maman, qui fait une apparition à ses côtés dans son nouveau film « Le Nouveau Jouet ».

Maroc : Gladiator 2 dope les recettes de tournage

Le Maroc voit cette année une reprise exceptionnelle des recettes issues des tournages de films étrangers, entretenant l’espoir d’une année record. Parmi ces productions, « Gladiator 2 » de Ridley Scott, une superproduction au budget colossal de 200...

Emmanuelle Chriqui : Une voix marocaine contre l’antisémitisme

À l’heure où la guerre fait rage entre Israël et le Hamas dans la bande de Gaza, l’actrice canadienne d’origine marocaine Emmanuelle Chriqui dénonce le déferlement d’antisémitisme.

Buzz, fric et clashs : La (mauvaise) recette des artistes marocains

De plus en plus d’artistes marocains se tournent vers les réseaux sociaux, notamment Instagram et TikTok, pour interagir avec leur public et générer des revenus. Cette tendance suscite toutefois des critiques, certains pointant du doigt le recours à...

Saïd Taghmaoui rejoint le casting de « The Family Plan »

L’acteur français d’origine marocaine Saïd Taghmaoui jouera l’un des principaux rôles dans le film « The Family Plan », une comédie d’action produite par Apple TV.

Gladiator 2 en tournage au Maroc dévoile son casting

Le casting de Gladiator 2 qui sera bientôt en tournage à Ouarzazate, au Maroc et dont la sortie est prévue le 22 novembre 2024, vient d’être dévoilé.

Jamel Debbouze : « J’ai le même âge que mes enfants »

Quatre ans après son dernier rôle au cinéma, l’acteur marocain Jamel Debbouze est de retour dans une nouvelle comédie intitulée « Le nouveau jouet », un film inspiré du « Jouet », de Pierre Richard. Invité dans l’émission Matin Première de RTBF,...