Egalité homme-femme, jusqu’où le Maroc peut-il aller ?

30 décembre 2008 - 23h45 - Maroc - Ecrit par : L.A

Dans la lettre royale lue devant le CCDH par Mohamed Moâtassim, conseiller du Roi, le 10 décembre dernier, à l’occasion du soixantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, le passage suivant aura retenu l’attention des observateurs : « Aussi, (…), annonçons-nous aujourd’hui la levée par le Royaume du Maroc des réserves enregistrées au sujet de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard de la femme, réserves devenues caduques du fait des législations avancées qui ont été adoptées par notre pays ».

Les mouvements des droits humains pour une égalité complète entre l’homme et la femme dans l’exercice des droits civils et politiques sont très satisfaits, tout en se demandant jusqu’où pourra aller le Maroc dans la concrétisation de la volonté royale.

Les milieux conservateurs, islamistes en tête, eux, s’inquiètent. Oui au principe de l’égalité, clament-ils, « mais il est hors de question que cette égalité touche tous les domaines ».

A l’heure où nous mettions sous presse (mercredi 25), aucune information officielle ne filtrait encore concernant les articles de la convention à propos desquels le Maroc entend lever ses réserves. Pour le savoir, il faudra attendre le dépôt des instruments de cette initiative auprès du Secrétariat général des Nations Unies. Mais des sources proches du CCDH parlent déjà d’une levée totale et sans exclusive de toutes les réserves.

En émettant des réserves sur la convention en 1993, le Maroc refusait de condamner en bloc toutes les discriminations à l’égard des femmes

Pour comprendre la portée de la convention sur l’élimination de toute forme de discrimination contre les femmes (Convention on the elimination of all the discrimination against women, Cedaw), et le pourquoi de ces réserves, un petit retour en arrière s’impose.

Ratifiée par le Maroc en 1993, soit quinze ans après son adoption par les organes onusiens en décembre 1979, la Cedaw visait un objectif essentiel : réglementer le principe de la non-discrimination à l’égard des femmes tel qu’énoncé par la Charte des Nations Unies, et qui recouvre une égalité sans restriction et dans tous les domaines. Y souscrire obligerait automatiquement tout Etat signataire à harmoniser sa législation nationale avec ses engagements internationaux.

Or, tout en la ratifiant (et en la publiant au Bulletin officiel, en 2001), le Maroc, à l’instar d’autres pays notamment islamiques, avait émis des réserves sur un certain nombre d’articles jugés attentatoires aux législations marocaines en vigueur, dont la chariâ (loi islamique) et la Constitution. Il s’agit notamment des articles 2, 9,15 et 16, sans lesquels, martèlent les associations des droits de la femme au Maroc, « la convention perd tout son sens ».

En émettant des « réserves », et des « déclarations » (autres formes de réserve, assorties d’explications) sur ces articles lors de la ratification de la Cedaw, le Maroc décidait de ne pas condamner en bloc toutes les discriminations à l’égard des femmes, et de ne pas poursuivre par tous les moyens une politique tendant à les éliminer comme le stipule l’article 2 de la convention.

Il ne voulait pas accorder à la femme des droits égaux à ceux des hommes en ce qui concerne la transmission de leur nationalité à leurs enfants, comme le stipule l’article 9 de la convention. Il refusait aussi de reconnaître aux femmes le droit de circuler librement et de choisir leur domicile (alinéa 4 de l’article 15), et ne voulait pas énoncer l’égalité des droits et des responsabilités dans le mariage et lors de sa dissolution (article 16).

On peut comprendre la démarche marocaine à l’époque : on était, il faut le rappeler, en 1993, et la législation marocaine était alors en retard en matière d’égalité entre l’homme et la femme.

Mais, depuis, des réformes capitales ont été introduites dont le point d’orgue fut, en 2004, l’adoption d’un nouveau code de la famille, suivie, trois ans plus tard, par la réforme du Code de la nationalité, qui donne à la femme le droit de transmettre désormais à ses enfants la nationalité marocaine.

Sans oublier le travail titanesque accompli par l’Instance équité et réconciliation (IER) laquelle avait justement recommandé à l’Etat de lever ses réserves sur la convention Cedaw. Du fait même de ces réformes, certaines réserves sur la convention onusienne tombent automatiquement.

Néanmoins, la question reste entière : jusqu’où l’Etat marocain pourra-t-il aller dans la levée de ses réserves, et donc dans l’instauration de l’égalité entre hommes et femmes, qui, dans la logique de la Charte des Nations Unies, exclut toute forme de discrimination.

Pour Michèle Zirari, juriste et professeur de l’enseignement supérieur, il serait difficile pour le Maroc de lever toutes les réserves sur les articles qui ont un rapport avec le Code de la famille. En effet, explique-t-elle, « le Code de la famille a, certes, apporté de réels progrès en ce qui concerne la suppression des discriminations à l’égard des femmes, mais il a laissé subsister un certain nombre de différences qui peuvent tout à fait être qualifiées de discriminations. »

Il s’agit, plus particulièrement, de la question de l’égalité hommes et femmes en matière successorale, dans le mariage (interdiction de la polygamie) et lors de sa dissolution (nafaqa). Il s’agit également de permettre à la femme marocaine de se marier à un non-musulman sans que ce dernier ne soit dans l’obligation de se convertir à l’islam, d’interdire la polygamie et le mariage des filles mineures de moins de 18 ans…

Ce sont là quelques exemples de l’égalité garantie par la convention, et dont la perspective inquiète fortement les milieux conservateurs, très attachés à la lettre de la loi islamique en dehors de toute démarche d’ijtihad (effort d’interprétation).

Le député du PJD Mustapha Ramid est catégorique. Pour lui, la lettre royale n’évoque que les réserves qui sont, comme cette dernière le formule, « rendues caduques du fait des législations avancées qui ont été adoptées par notre pays ».

Autrement dit, cette levée des réserves « exclurait celles émises sur les articles en contradiction avec les législations nationales, dont la Constitution et la loi islamique ». De toute façon, poursuit M. Ramid, il est « impossible d’instaurer une égalité entre les sexes dans tous les domaines. Egalité dans les droits humains, oui, mais pas question de mélanger les genres et les rôles. On ne peut pas changer la loi sur l’héritage, par exemple. Le Maroc est un Etat musulman, selon la Constitution même, et personne, quel que soit son rang, n’a le droit de mettre en cause la loi coranique ».

Même son de cloche au Mouvement Unicité et Réforme (MUR), le pendant idéologique du PJD. Deux jours après l’annonce de la levée des réserves, il rendait public un communiqué mettant en avant le référentiel islamique comme substratum à toute réforme juridique, lequel référentiel « transcende toutes les conventions internationales ».

Mohamed Hamdaoui, président du MUR, va jusqu’à accuser, dans les colonnes du quotidien arabophone Al Massae du 16 décembre, certaines personnes (allusion aux militantes des droits de la femme) qui « veulent interdire aux filles de 16 et 17 ans le droit de se marier, au moment où elles n’osent pas parler de la prostitution dont sont victimes les filles de cet âge ».

Une polémique qui rappelle celle qui a précédé la réforme du Code de la famille

L’Association démocratique des femmes du Maroc (ADFM) avait en effet effectué une enquête sur le mariage des mineurs en 2007, dont il ressortait que 33.500 filles mineures de moins de 18 ans avaient été autorisées par les juges à se marier.

L’ADFM avait saisi cette occasion pour appeler au respect de l’âge de mariage instauré par le Code de la famille, et de supprimer les mesures d’exceptions prévues par le même code, conformément à la Cedaw, sur laquelle pesaient encore les réserves du Maroc.

La position des associations des droits de l’homme, en général, est en effet aux antipodes de celle des islamistes. Selon celles-ci, en levant les réserves sur la Cedaw, le gouvernement marocain doit aller jusqu’au bout, et cela passe obligatoirement pas l’harmonisation des législations nationales, dont la Constitution, avec la législation internationale qui condamne toute forme de discrimination à l’égard des femmes.

Mme Zirari confirme : « A partir du moment où une réserve est levée, cela implique l’obligation de respecter la convention sur le point sur lequel elle portait. Mais cette obligation n’est pas sanctionnée autrement que par les remontrances du comité chargé de veiller à l’application de la convention et la réprobation internationale qui peut s’ensuivre. »

Cependant, le Maroc peut-il vraiment aller jusqu’au bout, y compris en matière d’héritage ? « Oui, si on est logique et conséquent avec nous-mêmes. Il ne suffit pas de faire de belles déclarations, il faut que celles-ci soient suivies d’actes qui améliorent la situation de la femme marocaine, il y a des engagements internationaux que le gouvernement marocain doit respecter », martèle Khadija Riadi, présidente de l’AMDH.

« L’impact de la levée de ces réserves est large. Elle implique que, dans toutes les lois et procédures, il faut inscrire le principe d’égalité, même au niveau de l’héritage », martèle pour sa part Amina Bouayach, présidente de l’OMDH. L’ADFM, quant à elle, qui a fait un important travail de plaidoyer (dont une campagne nationale pour la signature de l’appel « Egalité sans réserve ») en faveur de la levée des réserves depuis la ratification de la convention, en 1993, a publié un communiqué, le 17 décembre.

Tout en rappelant le combat mené pour la ratification de la convention internationale, l’association espère que la lettre royale incitera le gouvernement « à donner une fin heureuse à sa relation tumultueuse et ambiguë avec les réserves et à saisir le Secrétaire général des Nations Unies pour l’informer de la décision du Maroc de lever toutes les réserves sur la Cedaw - sans aucune exception - et d’adhérer à son protocole additionnel ».

Ce protocole, adopté par le comité du suivi de la Cedaw en septembre 1999, rappelons-le, donne la possibilité aux individus ou groupes de déposer une communication audit comité, demandant la suppression de toute discrimination à l’égard des femmes en cas de violation de la convention.

Cette polémique entre conservateurs et modernistes rappelle celle qui a précédé la réforme de la Moudawana en 2004. Les mêmes arguments, fondés sur la chariâ, sont brandis aujourd’hui par les adversaires d’une levée totale des réserves.

Or, sur des questions comme l’héritage, la polygamie ou l’interdiction sans exception du mariage des mineurs de moins de 18 ans, « il peut y avoir des lectures plurielles du texte sacré. Mais, pour étayer leur point de vue, il se trouve des irréductibles qui défendent une seule lecture, qui disent que le texte sacré est clair comme de l’eau de roche, alors que tout texte est pluriel », note le sociologue Jamal Khalil. Tout est question, en effet, d’interprétation du texte coranique.

Le texte sacré (nass), défendent certains jurisconsultes musulmans comme l’imam Chafiï, « tourne avec sa raison (justification), dans l’existence et dans l’inexistence ». Il faut donc constamment se demander, expliquent ces jurisconsultes, si la raison pour laquelle le texte a été posé existe toujours.

Bien des lois formulées par le texte sacré sont maintenant dépassées, comme celle qui punit le voleur en lui coupant la main, celle qui impose la t’aâ de la femme à l’homme (obéissance), la nafaqa à ce dernier, ou encore la polygamie. Pourquoi d’autres ne le seraient-elles pas un jour ?

Source : La vie éco - Jaouad Mdidech

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