Espagne : les saisonniers africains désœuvrés

26 décembre 2008 - 21h09 - Espagne - Ecrit par : L.A

« Cela fait vingt-cinq ans que je fais les récoltes en Espagne. Et regardez où j’en suis arrivé : à faire l’aumône et à dormir comme un clochard ! » Ahmadi, un Marocain de 50 ans au crâne dégarni, ouvre le sac plastique que vient de lui distribuer la Croix-Rouge : un bout de pain, une boîte de thon et une orange. En face de la route nationale, en contrebas de la bourgade de Baena, accrochée à flanc de colline, il montre le talus où il passe ses nuits depuis un bon mois, avec un carton comme matelas et son anorak comme couverture.

A côté de lui, cinq Algériens font un mini-méchoui ; des Guinéens jouent aux dames avec des puzzles ; d’autres Subsahariens se réchauffent au soleil, immobiles pendant des heures. Ils sont environ 200 immigrants, Africains pour la plupart, occupés à tuer le temps, entre la résignation et la rage. Il n’y a pas de travail pour eux. « Rien de rien », répètent-ils tous.

Dans d’autres villages andalous, où l’olive est quasiment une monoculture, c’est le même scénario. Au total, plus de 5000 immigrants attendent en vain qu’on les embauche. Comme chaque année, ils sont venus pour les récoltes. Un travail qui dure six bonnes heures par jour (sans pause ou presque) et qui rapporte entre 35 et 45 euros. Mais aujourd’hui, la donne a changé. D’abord parce que la floraison n’a pas été bonne. Ensuite parce que les récentes pluies ont obligé à reporter la récolte des olives. Et surtout, parce qu’avec la crise et le chômage qui frappent l’Espagne, les autochtones se rabattent sur le travail des champs.

Chômeurs

José Luis Fernández possède une finca (propriété) de taille moyenne avec 120 hectares d’oliveraies. « Cette année, j’ai douze hommes pour la récolte, tous Espagnols. Auparavant, il y avait une majorité d’immigrants. Jusqu’ici, une bonne partie des gens de Baena travaillait dans des chantiers sur la Costa del Sol. Or, tout est à l’arrêt, on débauche à tour de bras. Alors, l’olive, c’est toujours ça de pris. Et moi, je suis comme les autres : je donne d’abord du travail aux Espagnols, c’est normal, non ? » Le constat n’est qu’en partie vrai. Certes, Baena, 20 000 habitants, compterait 1 500 chômeurs, environ 10 % de plus que l’an dernier, et voit de nombreux « locaux » retourner aux champs. Ainsi Miguel Angel, 21 ans, qui s’enfile un énorme sandwich, après une grosse journée de travail : « J’ai cherché du boulot partout dans la région. Il n’y avait que ça. »

« Bus »

Mais la main-d’œuvre préférée des entrepreneurs, ce sont de loin les Roumains. Non seulement ils sont membres de l’UE, mais ils ont été recrutés via les syndicats agricoles locaux et le consulat espagnol à Bucarest. A Nuñez de Prado, une fabrique d’huile d’olive familiale, on emploie trente Espagnols et autant de Roumains. « Tous les matins ou presque, on voit passer des bus de Roumains. Pourquoi les faire venir, alors que nous, on est là, disponibles ? » se plaint Baba, un Sénégalais de 31 ans, arrivé à Malaga en 1999, et mis à la porte de son entreprise de plomberie en septembre. Son cas est représentatif. Car, contrairement aux préjugés, ces immigrants ne sont pas des clandestins. La majorité ont des papiers en règles et travaillent depuis des années, alternant emplois dans le BTP et l’agriculture. Baba a cette formule qui résume bien la situation : « Avant, j’avais du boulot mais pas de papiers. Maintenant, c’est l’inverse. La crise, c’est nous qui en souffrons, pas les Espagnols. » Au premier semestre 2008, 40% des nouveaux chômeurs sont des étrangers.

Omar, Abderrahmane et Mustafa, Algériens, entre 22 et 28 ans, sont arrivés à Madrid en 2004 et dorment dans leur voiture. Ils sont dans la même situation. « Il n’y a plus un seul chantier dans la capitale, on a cherché partout, plus rien ! » Comme les autres, ils partiront d’ici deux semaines à Huelva, pour les fraises. Au cas où.

Source : Libération.fr - François Musseau

Bladi.net Google News Suivez bladi.net sur Google News

Bladi.net sur WhatsApp Suivez bladi.net sur WhatsApp

Sujets associés : Espagne - Emploi - Crise économique

Ces articles devraient vous intéresser :

Voici le nombre de fonctionnaires civils au Maroc

Les données inscrites dans le rapport sur les ressources humaines accompagnant le projet de loi de finances (PLF) de l’année 2023 indiquent que le Maroc compte 565 429 fonctionnaires civils cette année.

Investissements massifs au Maroc, 76,7 milliards de dirhams, 20 000 emplois

La Commission nationale des investissements a donné son aval à une série de 21 projets. L’investissement global de ces projets s’élève à 76,7 milliards de dirhams, l’équivalent de 6,98 milliards d’euros, selon un communiqué officiel du gouvernement.

La stratégie du Maroc pour s’imposer dans la sous-traitance aéronautique

Depuis 25 ans, le Maroc travaille à s’imposer dans la sous-traitance aéronautique mondiale. Quelle stratégie a-t-il défini pour atteindre son objectif ?

Risques Pays : le Maroc décroche la meilleure note « B3 » en Afrique

Avec un « B3 », le Maroc décroche la meilleure note parmi les grandes puissances économiques en Afrique en termes de risque pays, devant le Nigeria (D3), l’Afrique du Sud (C3), l’Égypte (D4) et l’Algérie (C3). C’est ce que révèle la nouvelle carte...

L’incertitude plane sur le marché immobilier marocain

L’offre immobilière partout au Maroc serait abondante et les prix abordables, selon les professionnels et les notaires. La réalité est pourtant toute autre.

Une lettre particulière d’Amine et de Yasmine à Emmanuel Macron

Dans une correspondance, Amine et Yasmine, deux enfants de huit ans expriment des inquiétudes quant à l’avenir de Casino Saint-Étienne où travaillent leurs parents et demandent au président de la République française Emmanuel Macron de sauver le groupe.

Les Marocains partiront à la retraite plus tard

Le Maroc s’est engagé dans la voie de réforme de son système de retraite visant à rétablir l’équilibre financier des régimes. Et l’une des principales dispositions du nouveau texte est le relèvement de l’âge de départ à la retraite à 65 ans. La...

Le FMI confirme l’éligibilité du Maroc à une ligne de crédit

Le Maroc a entamé des négociations avec le Fonds monétaire international (FMI) sur une nouvelle ligne de précaution et de liquidité (LPL), a annoncé, vendredi, le représentant de l’institution financière au royaume, Roberto Cardarelli.

Spirit Aerosystems renforce ses effectifs marocains

Après une pause en 2021, les recrutements ont repris au Maroc chez l’Américain Spirit Aerosystems, leader mondial de la fabrication des aérostructures pour l’aviation civile et militaire. Déjà de dizaines de personnes recrutées.

Maroc : les autorités veulent imposer une réduction de la facture énergétique de 30%

Pour faire face à la hausse de la facture énergétique, les autorités ont demandé aux collectivités de baisser drastiquement la consommation de l’électricité des établissements publics et des réseaux d’éclairage public.