M’Barek, un homme peut en cacher un autre

19 juillet 2007 - 01h15 - Maroc - Ecrit par : L.A

Youssef et son frère habitent à Colmar depuis 2003, ils ont rejoint leur père, immigré marocain, ouvrier maçon dans une entreprise alsacienne. Une histoire révélatrice d’un phénomène sous-estimé

Youssef et Abdellah ont respectivement 18 et 16 ans. Ils vivent tous les deux avec leur oncle dans la Socozup, quartier populaire de la ville. Les deux frères ne parlent pas très bien le français. Le plus jeune porte le maillot du Widad Casablanca, l’équipe de football au palmarès le plus étoffé du Maroc. Grâce à ce détail, la conversation s’engage entre lui et moi. Abdellah aime le foot, ses yeux s’écarquillent lorsque je lui dis que c’est aussi mon équipe favorite et que je lui narre l’histoire de ce club. Je lui demande s’il joue dans une équipe de la région, il me répond que ce serait super s’il pouvait s’inscrire, mais il n’en a pas le droit. Surpris par cette réponse, je me tourne vers son grand frère qui m’explique qu’Abdellah n’a pas de carte de résident ; il a juste une inscription dans un lycée technique de la ville qui lui permet de circuler pendant l’année scolaire. C’est donc un clandé comme on dit dans le jargon. Youssef décide alors de me raconter toute l’histoire.

M’Barek, le père, est venu en France en 1989. Il a fait le tour d’Alsace des chantiers, par tous les temps. Son ouïe et l’auriculaire de sa main gauche font partie des blessures de cette épopée. En 2000, il décide de faire venir toute sa famille dans le cadre du regroupement familial. Il avait retardé ce projet au maximum, pensant secrètement faire le chemin inverse avec un pécule qui lui permettrait d’investir au bled. Rien de cela n’a pu être possible. Travailler plus pour gagner plus, ça ne marche pas pour tout le monde. Sa femme, ses deux fils et ses trois filles vivent dans le sud du Maroc. M’Barek, les pieds dans la boue et la tête au bled voyait défiler les années sans savoir quelle orientation donner à son projet migratoire. Il demande à sa femme de le rejoindre avec les enfants. Objection catégorique. Son épouse ne voulait pas entendre parler d’exil. La patrie des cigognes, de la choucroute, du vin blanc et des bretzel ne la faisait pas rêver plus que ça. Auprès de son arbre, elle vivait heureuse. Elle préferait le poivre de son pays au miel d’une terre étrangère.

Négociations serrées dans la famille, M’Barek envoie ses émissaires pour retourner la situation en sa faveur. " Son épouse et ses enfants doivent le rejoindre en France", tel est le mot d’ordre qui doit inonder toutes les conversations du village. Tous les moyens sont utilisés pour envoyer fissa cette mère et ses enfants dans les salles d’attente des administrations déposer des demandes de passeports et de visas. Mais rien n’y fait, l’épouse de M’Barek reste sur sa position, elle n’ira pas en France, " même si le roi en personne le lui demande !", dixit Youssef. Cette fermeté nourrit les commérages, on lui prête une histoire amoureuse avec un gars du village voisin, on rouvre quelques dossiers pour alimenter les rumeurs qui insinuent que M’Barek n’est pas le père des trois filles, parce qu’il est difficile pour un homme de passer ses nuits dans des baraques de chantiers à 4000 km du village et dans le lit conjugal en même temps. Les rancunes accumulées se déversent en torrent sur cette épouse qui désobéit à son mari courageux, travailleur et digne.

Les années passent, après plusieurs rebondissements, M’Barek trouve un terrain d’entente avec son épouse. Il fera venir en France Youssef et Abdellah avant l’âge limite de 16 ans. Ils pourront ainsi se construire un avenir. Pour le reste, le temps fera son œuvre. Aujourd’hui, M’Barek retourne de moins en moins au Maroc, son épouse marche la tête haute au village depuis qu’elle a dévoilé le secret qui minait son couple et qui a permis sa réhabilitation : M’Barek partage sa vie avec une alsacienne depuis 1993, ils ont deux filles, Yasmina et Sabrina. Cette double vie de M’Barek était connue de son épouse, qui avait accepté cette polygamie imposée par son mari, car elle ne pouvait se passer du faible mandat mensuel envoyé par le père de ses enfants. Selon Youssef, des cas comme celui de son père sont monnaie courante dans tous les villages qu’il connaît.

BondyBlog - Nordine Nabili

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