Le Maroc s’industrialise et s’enrichit, mais déficits et inégalités se creusent

9 août 2008 - 15h27 - Maroc - Ecrit par : L.A

En dépit d’un contexte international très défavorable, l’économie marocaine se porte plutôt bien. Tout le monde l’admet au Maroc, mais les analyses divergent quant à la durée de ce qu’on qualifie à Rabat de "boom économique".

Selon le ministère marocain de l’économie et des finances, la croissance sera de 6,8% en 2008, et devrait continuer dans les quatre années à venir à peu près au même rythme, le taux d’inflation ne dépassant pas 3%. Ainsi, espère-t-on à Rabat, le revenu par habitant passerait de 2650 dollars en 2007 à 4150 dollars en 2012.

"Jamais, depuis trente ans, je n’ai vu le Maroc courir à une telle vitesse ! Une classe moyenne est en train d’émerger. Il a été vendu plus de 100.000 voitures neuves l’année dernière, contre 10.000 il y a quinze ans", souligne Nadia Salah, éditorialiste et directrice du quotidien L’Economiste.

Un retournement de situation est-il possible ? Beaucoup le craignent, tout en admettant que l’économie marocaine sort peu à peu de sa dépendance de l’agriculture (15% du PIB mais 40% de la population active). Mais la situation reste fragile. Pas de pluie, et le PIB peut tomber d’un coup à 2,4%, comme en 2007.

En raison de la diversification progressive du tissu productif (industries, accueil d’entreprises délocalisées, télécommunications, bâtiment, tourisme), la croissance hors agriculture est à présent de 5,7% par an. Reste que le déficit de la balance commerciale s’accroît. S’il a été contenu cette année, c’est grâce à l’envolée du prix des phosphates. Sans cette manne providentielle, le pays aurait difficilement résisté à l’explosion des importations (biens d’équipement surtout), à la hausse des denrées alimentaires, et à celle, vertigineuse, de l’or noir (dont le royaume importe la totalité de ses besoins).

Certes, le Maroc a bénéficié, il y a quelques mois, d’un don de 800 millions de dollars des pays du Golfe, mais il s’agissait d’une bouée de sauvetage. La facture pétrolière du royaume a augmenté en un an de près de 69%.

Dans la même période, le prix des phosphates marocains, lui, passait fort heureusement de 40 dollars à 250 dollars la tonne. Le royaume est le premier producteur du monde de ce minerai indispensable à la production des engrais, qui croît au rythme de la demande alimentaire.

L’expérience du milieu des années 1970, qui avait vu chuter le prix des phosphates après une hausse spectaculaire, conduit les observateurs à la prudence. De plus, les concurrents potentiels du Maroc sont nombreux : Arabie saoudite, Jordanie, Tunisie et même Algérie. Si le prix des phosphates marocains grimpe trop, les réserves des voisins pourraient se révéler attractives.

Affairisme et frustration

L’autre caverne d’Ali Baba du Maroc, ce sont les recettes fiscales. "On nous rackette !" grognent les patrons d’entreprise. En un an, l’impôt sur les sociétés a presque doublé. La méthode employée est contestable et "fausse les règles du jeu et de la transparence", selon Larbi Jaïdi, l’un des économistes les plus en vue du pays, membre du comité scientifique du Centre marocain de conjoncture. "Une année, on ponctionne les banques, une autre année les assurances, l’année d’après, un autre secteur... On utilise la fiscalité comme un bâton et un gisement où puiser en fonction des besoins du moment. Ce n’est pas sain", regrette-t-il.

C’est en tout cas dans ces "niches" providentielles que pioche l’Etat pour alimenter la caisse de compensation. En quatre ans, le budget annuel de cette caisse, qui subventionne le pétrole à la pompe et certains produits tels que la bonbonne de gaz, l’huile et la farine, est passé de 4 milliards de dirhams à 40 milliards. "C’est intenable", s’inquiètent tous les économistes, comparant la caisse au rocher de Sisyphe.

Chacun admet qu’une réforme est indispensable, d’autant que la caisse de compensation ne bénéficie pas à ceux à qui elle est destinée : les plus démunis. En subventionnant l’essence ou la bonbonne de gaz, l’Etat aide surtout les riches. Selon la Banque mondiale, "les populations les plus pauvres ne reçoivent que 10% des subventions".

Le gouvernement hésite à se lancer dans cette réforme. Si le prix du pétrole continue de baisser, il va être tenté de repousser l’échéance à une date indéterminée, tant il craint les remous sociaux. Un peu partout dans le pays, les jacqueries, manifestations contre la vie chère, sit-in des "diplômés chômeurs", se multiplient. Le climat est à la frustration. La population a le sentiment que l’embellie actuelle ne lui est pas destinée. Seuls en profiteraient les nouveaux riches qui spéculent dans l’immobilier, ou les affairistes qui gravitent dans l’entourage du roi.

Si on enregistre une baisse relative de la pauvreté, les inégalités, elles, ne se réduisent pas. C’est en matière d’éducation et de santé qu’elles sont les plus criantes. Les "diplômés chômeurs" sont un symptôme de ce Maroc à deux vitesses qui, pour l’heure, perdure et même se reproduit.

Source : Le Monde - Florence Beaugé

Bladi.net Google News Suivez bladi.net sur Google News

Bladi.net sur WhatsApp Suivez bladi.net sur WhatsApp

Sujets associés : Politique économique - Pauvreté - Consommation - Caisse de compensation

Ces articles devraient vous intéresser :

Maroc : l’inflation atteint des records (+7,8%)

Après 6,3 % au deuxième trimestre, l’inflation s’est accélérée au Maroc, selon le Haut-Commissariat au Plan (HCP) qui table sur 7,8 % au troisième trimestre 2022.

Bouteille de gaz au Maroc : le prix flambe à partir d’avril

Le compte à rebours est lancé. À partir du 1ᵉʳ avril 2024, les Marocains devront mettre la main à la poche pour se procurer une bouteille de gaz butane. Exit la subvention de l’État, le prix passera de 40 à 50 dirhams, actant la première étape d’une...

Hausse historique du prix du gaz au Maroc, une première en 30 ans

La bonbonne de gaz vendue au Maroc devrait voir son prix augmenter progressivement pendant trois ans, vient de révéler le Premier ministre Aziz Akhannouch.

Maroc : faire du thé à la menthe coûtera plus cher

Les prix du thé vert sont restés stables au Maroc, malgré la volatilité des cours internationaux des matières premières. Mais jusqu’à quand cette stabilité sera-t-elle maintenue ?

La « chebakia », la pâtisserie marocaine incontournable lors du ramadan

Lors du ramadan au Maroc, la « chebbakaa », des petits gâteaux traditionnels au miel, est proposée tous les jours sur les tables pour les dîners de rupture de jeûne.

Le paradoxe de la Caisse de compensation au Maroc : une aide pour les riches

Le ministre délégué auprès de la ministre de l’Économie et des finances, en charge du Budget, Fouzi Lekjaa, a révélé lors d’un débat général sur le Projet de loi de finances 2024 à la Chambre des représentants que la caisse de compensation profitait...

Subventions maintenues au Maroc : un répit pour le pouvoir d’achat des ménages

Le gouvernement marocain a décidé de maintenir les subventions du gaz butane, du sucre et de la farine au titre de l’exercice 2024 dont le budget est estimé à 16,36 milliards de dirhams dans le Projet de loi de finances (PLF) 2024.

Ces plantes qui empoisonnent les Marocains

L’intoxication par les plantes et les produits de pharmacopée traditionnelle prend des proportions alarmantes au Maroc. Le Centre antipoison du Maroc (CAPM) alerte sur ce problème de santé publique méconnu du grand public.

Maroc : le prix du gaz s’envole dès lundi

Le prix du gaz butane au Maroc connaîtra une augmentation à partir de ce lundi 20 mai 2024, suite à la décision du gouvernement de décompenser partiellement la subvention accordée à ce produit. Cette mesure vise, dit-on, à rationaliser les dépenses...

Maroc : une flambée inquiétante du prix de la volaille et des oeufs

Au Maroc, les prix de la volaille et des œufs s’envolent au grand dam des consommateurs. Quelles en sont les causes ?