"Arabi fora", les Marocains de Corse sous le choc d’un nouvel attentat raciste

25 septembre 2007 - 18h40 - Monde - Ecrit par : L.A

Retour sur l’attentat qui a visé le consulat du Maroc dans l’île. En Corse, les bombes n’émeuvent plus grand monde et celle-là n’a même pas explosé. Les artificiers qui l’ont désamorcée le 14 septembre au matin devant le consulat du Maroc à Biguglia, près de Bastia, sont formels. L’engin artisanal, fabriqué selon une vieille recette locale avec une bouteille de plongée remplie d’un mélange chloraté et reliée à une bouteille de gaz, aurait pu faire de gros dégâts et peut-être des victimes. L’intention criminelle était donc délibérée.

Sur l’Île de Beauté, les attentats, même ceux attribués aux indépendantistes, ont des motivations souvent bien obscures, mais pour les enquêteurs de la section anti-terroriste, le mobile de celui-là ne fait aucun doute. Malgré l’absence de revendication, c’est encore une fois un acte raciste. Au-delà de la représentation officielle du Royaume, c’est toute une communauté qui était visée, celle des 10 000 Marocains qui vivent et qui travaillent en Corse. Coïncidence qui n’a rien à voir avec le hasard, quelques jours avant, la voiture de l’imam du village de Linguizetta, toujours en Haute-Corse, avait essuyé des coups de feu. Au mois de mars dernier, c’est la salle de prière qui avait été visée.

Les policiers pensaient pourtant avoir fait le plus difficile en novembre 2004 en venant à bout d’un groupuscule qui se faisait appeler « Clandestini Corsi », (les clandestins corses), et qui au cours des mois précédents, avait revendiqué sept attentats à l’explosif contre la communauté maghrébine de l’île. Ils avaient alors visé des particuliers, des commerces, des restaurants et déjà le consulat du Maroc, la voiture de l’un de ses employés et des agences locales de la Wafabank.

La plupart des interpellés n’avaient pas 18 ans au moment des faits et ont été jugés en 2006 par la section des mineurs de la cour d’Assises de Paris. Les magistrats leur avaient infligé des peines de 2 à 7 ans de prison. Ils avaient surtout retenu « la circonstance aggravante du racisme. »

Moins d’un an après ce verdict, force est de constater que le mal continue de ronger la société insulaire. C’est visible à l’oeil nu dans un graffiti en langue corse qui est partout, sans cesse rafraîchi. L’inscription « Arabi fora », « les Arabes dehors », recouvre les murets, les poteaux électriques, les maisons ou les panneaux de signalisation routière percés d’impacts de balles comme des écumoires le long des routes corses. Le message qui s’adresse à la main-d’oeuvre immigrée est clair et sinistre. De la menace, on passe souvent aux actes. En dehors des attentats perpétrés par des groupes organisés, « la violence raciste ordinaire s’est presque banalisée » souligne un militant anti-raciste qui ajoute : « un simple conflit de voisinage ou le moindre différend professionnel peuvent prendre des proportions dramatiques et les armes à feu, qui sont ici partout, sortent encore plus vite que d’habitude ».

Il y a enfin et surtout la violence gratuite de type fascisante qui cible la différence, c’est-à-dire celui qui est porteur d’une autre culture. C’est ainsi qu’en 2004, ce climat d’intolérance se focalisa sur la rue Droite, un vieux quartier de Bastia. La population immigrée, essentiellement marocaine qui y vivait, était prise pour cible par des jeunes en bandes organisées. Souvent, les agresseurs se donnaient un alibi. « Quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage, explique un magistrat, de la même façon, on colportait sans aucune preuve que les Marocains vendaient de la drogue, ce qui à permis à certains de s’ériger en justiciers ». Pourtant, les mêmes témoignent souvent un grand respect aux « parrains » corses de la French Connection qui se sont enrichis dans le trafic international de l’héroïne.

« Baisser la tête... »

La xénophobie, favorisée par les crises politiques et économiques qui ont secoué la société insulaire, s’est installée en marge du mouvement nationaliste et de son expression la plus politique. Les Français continentaux en furent les premières victimes dans les années 70.

Depuis, le cercle de l’exclusion n’a fait que s’élargir d’autant plus facilement que la Corse se sent plus que jamais menacée dans son identité. L’île connaît, en effet, l’un des plus forts taux d’immigration de l’Hexagone qui dépasse les 10% de la population. Parmi les 26 000 immigrés, 42% sont Marocains, essentiellement des travailleurs agricoles, des travailleurs manuels et leurs familles. Même sans évoquer le très controversé seuil de tolérance, cette immigration, pourtant vitale, est d’autant plus sensible que l’insularité aggrave encore les problèmes de cohabitation et la peur ancestrale de la population d’origine corse de voir sa culture disparaître.

« En Corse, le bon Arabe n’a pas le choix. Il doit baisser la tête et faire profil bas, mais c’est aussi vrai pour tous ceux qui sont différents », explique un jeune immigré qui vit dans l’île. Exemple éloquent, cet été, deux touristes nordiques qui avaient eu la légèreté de rentrer torse nu dans un fast-food du centre d’Ajaccio s’en étaient fait expulser par un serveur pistolet automatique au poing ! Mais, ce qui peut sembler de prime abord folklorique dans ce cas devient angoissant pour les communautés immigrées. Elles sont confrontées au rejet permanent et ne parviennent pas à rompre leur isolement. Certes, les violences les plus flagrantes sont condamnées par les nationalistes et les partis traditionnels, mais non sans une certaine ambiguïté, de façon très formelle et sans action réelle sur le terrain. Pourtant, des insulaires se sont engagés avec beaucoup de cran dans la lutte contre l’intolérance. « Des familles entières, avec enfants, apeurées, se préparent à fuir la Corse, notamment à Bastia, à cause du climat raciste », s’inquiétait au plus fort de la crise, Noëlle Vincensini, ancienne déportée et courageuse présidente de l’association « Ava Basta » qui veut dire « Ça suffit ! »

On est encore loin du compte. Malgré les efforts des autorités, la violence continue de peser sur l’Ile de Beauté et pas seulement, il est vrai, sur la communauté immigrée. Une caserne des forces de l’ordre, des CRS, vient d’être attaquée pour la deuxième fois à la roquette anti-char, sans faire de victime, ni dégâts. La cible a changé, mais le message des clandestins demeure fondamentalement le même que celui de Biguglia, « I Francesi fora ». Les Français dehors.

54 ans, presque jour pour jour...

Le maire radical de gauche de Bastia, Émile Zuccharelli, ancien ministre connu pour son opposition à la mouvance nationaliste, souligne à juste titre dans un communiqué, « l’absurdité » de l’acte qui a visé le consulat du Maroc en Haute-Corse, « d’autant plus choquant qu’il intervient alors que la Corse célèbre sa libération pour laquelle de nombreux goumiers marocains ont donné leur vie ».

En septembre 1943, le général Giraud déclenchait avec des unités de l’armée française d’Afrique, l’opération Attila pour porter secours à la résistance corse qui s’était insurgée avant d’être durement accrochée et menacée d’anéantissement par les redoutables troupes d’élite allemande du Maréchal Kesserling. Débarqué dans l’île, le 73eme goum du 6 eme Tabor marocain s’illustrait dans ces combats acharnés, notamment du 29 septembre au 4 octobre, sur le col abrupt de Théghine qu’il enleva au prix du sang pour libérer Bastia. Ces hommes en djellabas rayées y pénétrèrent les premiers à la grande surprise de la population. Une émouvante stèle, rédigée en Français et en Amazigh, rappelle ce lourd sacrifice. C’était il y a 54 ans, presque jour pour jour.

La Nouvelle Tribune - Alex Panzani

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