MRE : De moins en moins marocains ?

23 juillet 2004 - 22h05 - Maroc - Ecrit par :

Le ballet des ferries ne s’arrête plus au port de Tanger. Depuis les premières heures de la journée jusqu’à tard dans la soirée, des paquebots déversent inlassablement des centaines de véhicules et de passagers, avec une moyenne d’un accostage chaque demi-heure. Ce mercredi après-midi, pas de grosses files d’attente.

La circulation est fluide et le temps de passage à la douane plutôt correct.
La présence sécuritaire est impressionnante. Des militaires quadrillent le quai, des policiers en civil se laissent trahir par de gros talkies-walkies et les douaniers veillent au grain. Le roi (enfin, ses posters) suit tout cela d’un bon œil. Ses photos sont sur toutes les affiches. Les MRE sont une communauté qu’il chérit tout particulièrement et le port de Tanger se rappelle encore de ses "visites inopinées" en début de règne.

"On nous a dit qu’il était à Tanger ces temps-ci. On ne sait jamais. Il pourrait peut-être nous faire la surprise", lance un MRE tout juste débarqué. La surprise, le roi ne la leur fera finalement pas ce jour là. Mais ses conseillers ont bien balisé le terrain. À la fondation Mohammed V, le mot d’ordre de Zoulikha Nasri est suivi à la lettre. "Dans n’importe quelle circonstance, ne perdez surtout pas votre calme. Restez aimable et faites passer", aurait dit en substance la conseillère. J.L, jeune assistante dans un centre d’accueil, se rappelle encore ce que lui a répondu l’année dernière un grand responsable à la fondation alors qu’elle se plaignait du comportement de certains MRE. "Et que voulez-vous qu’on fasse ma fille ? Laissez-les ytfechou f’blad’houm". Paternalisme ? Peut-être mais pas seulement. Car les MRE, ils sont les premiers à en être conscients, c’est une importante manne financière pour une économie en mal de devises. Chaque année, les transferts atteignent des records. Presque 10 % du PIB en 2003 (lire page 24). La tendance restera-t-elle la même durant les prochaines années ? "Rien n’est moins sûr", tranchent les plus sceptiques. "Le phénomène de l’émigration a beaucoup changé au fil des générations. Les profils des MRE aussi. Cela ne se ressent pas encore au niveau du flux financier, mais l’effet est déjà perceptible au niveau des entrées au Maroc et de la revendication identitaire", analyse un spécialiste.

En tant que phénomène, l’émigration marocaine à l’étranger a commencé à partir de 1974. Date (paradoxalement) de la fermeture des frontières européennes. On partait alors par dépit, ou par fougue de jeunesse. Avant qu’il ne soit trop tard. En passant par l’Italie ou l’Espagne (qui avaient tardé à verrouiller leurs frontières). C’est le cas de Mbarek, la cinquantaine passée, rencontré sur une aire de repos près de Larache. "Je suis parti à l’âge de 19 ans. Je n’avais pas fait d’études et je n’avais aucune vision de ce qu’allait être mon avenir. J’ai donc tenté l’Europe. Pendant des dizaines d’années, j’ai travaillé dans l’industrie en France, en Espagne et en Allemagne. Puis j’ai fini par fonder ma famille qui est installée en France maintenant". Mbarek se dirige vers Agadir. Il est accompagné de ses deux filles (11 et 13 ans) et de sa femme. "Les deux garçons sont restés en France. Le plus grand n’est plus rentré depuis cinq ans. Ici, ils se sentent perdus. Ils n’ont pas de repères, ni d’amis. Du coup, ils préfèrent rester là-bas. Ils sont grands maintenant, je ne peux plus les forcer". Peut-on pour autant parler de rupture ? De fossé qui sépare les générations ? "On en est presque à la quatrième et forcément cela se ressent au niveau du vécu et des mentalités", commente un sociologue. Car entre les grands-parents, les parents d’un côté et les jeunes de l’autre, tout a changé. Première différence majeure, les jeunes n’ont en fait jamais émigré. La majorité est née en terre d’accueil. Ce ne sont pas des émigrés mais "des Marocains de l’extérieur". La nouvelle terminologie commence d’ailleurs à faire son petit chemin au sein des rencontres et des débats officiels. Pour illustrer, disons que pour plusieurs jeunes émigrés, le Maroc est leur pays par filiation. Un peu comme on est musulman à travers ses parents. Par défaut.

Seconde différence majeure, alors que leurs grands-parents ont tout fait pour se fondre dans la foule, les jeunes émigrés n’ont qu’un objectif, se faire entendre. Ni tout à fait Marocains, ni complètement Européens, ils revendiquent une différence sans laquelle ils n’existeraient peut-être pas. Et pour cela, tous les moyens sont bons. Internet, travail associatif, etc.
"Que pensent-ils des efforts consentis pour améliorer leurs conditions de retour ?". Posez-leur cette question, ils vous ricaneront au nez. Unanimes, ils répondent que, plutôt que les problèmes de l’investissement au pays ou le temps passé à la douane, ils aimeraient que nos responsables planchent sur des questions liées à la "revendication identitaire", à l’intégration en pays d’accueil, etc. Pour se rendre compte de cela, même pas la peine d’enquêtes ni d’études (quoique). Un petit tour sur les forums de discussions dédiés à l’émigration suffit pour relever le top 5 des thèmes débattus. Islam, condition féminine, racisme, amazighité et actualité marocaine.
Que faut-il en retenir ? D’abord, que la communication officielle se trompe peut-être de cible. Que rien n’est vraiment fait pour y remédier ensuite. (Rendons cependant grâce à la fondation Mohammed V, qui a édité des guides dans toutes les langues, y compris en hollandais, pour les jeunes natifs à l’étranger et ne parlant pas l’arabe). Sauf que, vous l’aurez compris, il s’agit plus de revoir toute la stratégie officielle adoptée vis-à-vis des MRE. "Nos parents préparent déjà leur retraite dorée au bled où ils seront pris en charge par la Sécu française. Il ne restera alors que nous à l’étranger". Le risque, c’est qu’ils restent à l’étranger.

Driss Bennani - Tel Quel

Bladi.net Google News Suivez bladi.net sur Google News

Bladi.net sur WhatsApp Suivez bladi.net sur WhatsApp

Sujets associés : Immigration - Jeunesse - MRE

Ces articles devraient vous intéresser :

Bonne nouvelle pour les MRE : augmentation de la franchise (document intégral)

L’accueil des Marocains Résidant à l’Étranger (MRE) s’est peu à peu amélioré ces dernières années, bien que des améliorations supplémentaires soient nécessaires, indique la douane marocaine dans son document dédié à l’opération Marhaba 2023. Voici les...

Espagne : des policiers sauvent un jeune Marocain de 23 ans de sa tentative de suicide

Trois policiers ont évité une tragédie à Lugo, dans le nord-ouest de l’Espagne. Grâce à leur intervention rapide, ils ont sauvé un jeune homme de 23 ans d’origine marocaine qui menaçait de sauter d’un immeuble en construction. Plusieurs riverains...

Opération Marhaba 2023 : des billets moins chers pour les MRE ?

Considérant le coût élevé des billets de bateau, le groupe parlementaire du Parti Authenticité et Modernité (PAM) a demandé au gouvernement de prendre des mesures pour faciliter l’arrivée des Marocains résidant à l’étranger (MRE) dans le cadre de...

Transfert des MRE : le Maroc veut maintenir la dynamique

En vue de maintenir le flux des transferts de fonds de la diaspora, Bank Al-Maghrib (BAM), en collaboration avec les pouvoirs publics, a mené des actions pour diversifier les canaux de transmission et réduire les coûts de ces envois.

Marhaba 2023 : le dispositif exceptionnel d’accueil des MRE commence aujourd’hui

C’est ce lundi 5 juin que débutera l’opération Marhaba 2023 dédiée aux Marocains résidant à l’étranger. La Fondation a activé le dispositif d’accueil au niveau du Maroc, la France, l’Italie et l’Espagne, composé 24 sites d’assistance et...

Ramadan 2023 : le Maroc envoie des imams en Europe

Afin d’assurer l’accompagnement et l’encadrement religieux des Marocains résidant à l’étranger (MRE), la Fondation Hassan II a annoncé l’envoi en Europe de 144 universitaires, prédicateurs et récitateurs du Coran durant tout le mois de Ramadan 2023.

Voici le guide fiscal 2023 des MRE (douane)

La Direction Générale des Impôts (DGI) vient de dévoiler son guide fiscal pour l’année 2023 à destination des Marocains résidant à l’étranger (MRE).

Opération Marhaba : les chiffres de l’année dernière largement dépassés à Algésiras

Depuis le lancement de l’Opération Passage du Détroit (OPE) le 15 juin dernier, près de 275 000 passagers et 68 000 véhicules ont embarqué depuis les ports espagnols en direction du Maroc d’après les données fournies par la Protection Civile espagnole.

Evincée, Salima Belabbas retrouve sa place sur RTL

Écartée de la présentation du JT de 19h sur RTL en janvier, Salima Belabbas revient en force en tant qu’animatrice de deux émissions phares de la chaîne privée.

Douane marocaine : voici le guide des MRE 2023 (à télécharger)

L’Administration des Douanes et impôts indirects a récemment dévoilé son nouveau guide dédié aux Marocains résidant à l’étranger.