Tourisme : Casinos, le dernier tabou ?

26 février 2007 - 00h00 - Maroc - Ecrit par : L.A

Alors que le développement du tourisme est un axe majeur de la politique économique, les autorisations pour les établissements de jeux, qui accompagnent souvent des projets d’envergure, sont délivrés au compte-gouttes.

Ouarzazate, la cité qui voit défiler les stars hollywoodiennes, aimerait bien attirer également les flambeurs du Nevada. Certains commencent déjà à l’affubler du lourd sobriquet de “Las Vegas marocain”. Et pour cause, cinq projets de casino seraient à l’étude, en toute discrétion, auprès de la primature qui - comme tous les départements de l’Etat et même les professionnels du secteur - esquive la moindre question sur le sujet, dès que le terme “casino” est prononcé.

Et pour cause : l’octroi d’une licence de casino reste un sujet de grande sensibilité au Maroc. Celle-ci est accordée exclusivement par un arrêté, signé par le chef du gouvernement lui-même, après avoir transité par différentes commissions. Et comme dans les concours des grandes écoles, parmi les nombreux prétendants, il n’y a que peu d’élus.

Les plus prestigieux groupes internationaux se sont ainsi vu opposer un niet catégorique, quand le projet de casino est porté sur la table des négociations. Le dernier exemple en date est celui du groupe français Lucien Barrière. Ce dernier, qui vient de lancer les travaux pour la construction d’un complexe hôtelier de luxe, le “Fouquet’s Barrière Marrakech”, a dû mettre en veilleuse son projet d’établissement de jeux. Pourtant, le groupe n’a jamais caché son ambition de se positionner sur ce créneau dans la ville ocre, où deux casinos existent déjà. En effet, la filiale “Ryads Resort Development”, créée en 2002 déjà, a été adossée à la société Casino & Hotels de Deauville, qui regroupe les 37 casinos de Lucien Barrière, justement plus connu dans le secteur des jeux que dans l’hôtellerie. “Si la négociation autour du projet a traîné cinq années, ce n’est pas uniquement pour des raisons de foncier ou de constitution du tour de table, c’est aussi à cause des tractations pour l’obtention d’une licence de casino”, confie une source proche du dossier. D’ailleurs, le groupe garde toujours bon espoir d’obtenir la fameuse licence. “L’option casino n’est pas envisagée pour le moment”, se contente de répondre un des dirigeants du groupe aux journalistes conviés à la cérémonie de pose de la première pierre la semaine dernière.

Mais si le groupe français s’est tout de même lancé dans son projet touristique (en attendant ?), tel n’a pas été le cas pour d’autres investisseurs. L’exemple le plus connu est sans doute celui de la station “Assilah Beach”. La convention signée avec Ahlen Villages en 1999 (plus de 600 millions de dirhams d’investissement) comportait un accord de principe pour la création d’un casino. Néanmoins, ce projet n’est jamais sorti de terre en raison de la réticence des élus locaux à donner leur bénédiction pour l’ouverture d’un établissement de jeux. Pis encore, des licences ont parfois été accordées avant d’être tout simplement retirées. La société Interedec Holdings Limited a été autorisée, par décret du 5 septembre 2000 (publié au Bulletin Officiel du 21 septembre 2000), pour procéder à l’ouverture et à l’exploitation d’un casino au sein du complexe touristique Marina Smir dans la région de Tétouan. Seulement, l’aval final, qui passe par un arrêté conjoint des ministres de l’Intérieur et des Finances (fixant les conditions d’ouverture du casino ainsi que les jeux qui y seront pratiqués et les règles y afférentes) n’a jamais été obtenu. “Ce projet a eu le malheur de traîner plusieurs mois jusqu’à coïncider avec la polémique qui a suivi l’ouverture du casino de Tanger. Le gouvernement n’a eu d’autre choix que de faire marché arrière”, confie un haut commis de l’Etat. En effet, au cours du printemps 2002, le casino de l’hôtel Mövenpick Malabata est fin prêt. Mais il devra attendre plus de trois mois avant d’accueillir ses premiers clients, sur fond de contestation d’élus islamistes.

Une loi qui ne bluffe personne

Les péripéties du casino de Malabata ont même abouti à la réalisation du premier texte qui fait office de réglement pour les établissements de jeux au Maroc. En 2002, le gouvernement sortant de Abderrahmane Youssoufi a produit une circulaire pour “réglementer” ce secteur. “Il était question de réaliser un projet de loi, mais le gouvernement n’a pas eu les nerfs suffisamment solides pour miser tout sur le Parlement”, ironise un responsable. Cette circulaire se contente de limiter géographiquement les autorisations pour les établissements de jeux. Ainsi, seules quelques villes touristiques sont autorisées à les accueillir. En plus d’Agadir, Marrakech et Tanger, où existent déjà les six casinos que compte le royaume, deux autres villes (Mohammedia et Ouarzazate) sont venues s’ajouter à la liste. Et pour ces nouvelles villes, le gouvernement s’est pratiquement senti obligé de se justifier. Ainsi, pour le cas de Ouarzazate, la circulaire explique que l’autorisation a été accordée “dans le but d’aider au développement de l’industrie du cinéma dans cette ville, qui mobilise une population étrangère importante et à laquelle il convient de procurer des animations qui lui sont habituelles”.

Néanmoins, ce texte est loin d’être respecté à la lettre. En 2004, un autre casino a été autorisé, en dehors des cinq villes citées dans la circulaire. Le groupe Kerzner, adjudicataire de la station Mazagan (à El Jadida), a fini par décrocher l’accord pour son casino. Mais là encore, la partie s’est joué “serré”. L’investisseur a failli crier “passe” quand il a fallu négocier pour l’autorisation d’établissement de jeux. Le coup de bluff a visiblement payé, puisque l’Etat a fini par céder devant l’ampleur de l’investissement du groupe sud-africain : 5,7 milliards de dirhams. “Pour les projets touristiques importants, des négociations sont menées au cas par cas”, explique ce responsable. Le groupe Kerzner réussira même un joli coup en mettant noir sur blanc, dans la convention d’investissement, une exclusivité d’exploitation d’un établissement de jeux dans un rayon de 130 kilomètres.

Et pour cause, le business du jeu reste relativement juteux. Le casino “Le Mirage” à Agadir, appartenant groupe Partouche coté en Bourse, a dégagé un chiffre d’affaires de 1,3 million d’euros en 2005. Et encore, avec ses 44 machines à sous et ses 7 tables de jeu, il est loin d’être le plus grands des six casinos qui se partagent le jackpot au Maroc. Certains sont en activité depuis plus d’un demi-siècle, comme celui adossé à l’hôtel Essaâdi à Marrakech, fondé en 1948 par Jean Bauchet, ou encore celui de La Mamounia. Les autres établissements, plus récents (Mövenpick de Tanger et Agadir Dorint) tournent également très bien. De toute façon, comme le veut l’adage, un casino est toujours gagnant…

Paradoxe : Le jeu ambigu de l’Etat

Théoriquement, les Marocains sont interdits d’accès aux casinos. Selon certains exploitants, permettre à un Marocain de s’installer à une table de jeux leur vaudrait une amende de 50 000 dirhams, au moins. Mais comme pour l’alcool, les autorités savent fermer les yeux. La clientèle des casinos serait même composée à hauteur de 80 % de joueurs marocains. Pour autant, ce ne sont pas eux qui réalisent l’essentiel du chiffre d’affaires. Ce serait plutôt le fait d’une clientèle étrangère et fortunée, qui exerce son loisir dans les quelques salles privées réservées où les mises s’emballent.

Le paradoxe de la démarche de l’Etat, par rapport au jeu, est encore plus visible à travers son monopole dans la gestion des paris. Les produits de la loterie nationale et de la Marocaine des jeux sont destinés essentiellement à une clientèle marocaine, qui permet à l’Etat d’encaisser chaque année quelque 150 millions de dirhams. Idem pour les courses de chevaux, dont la gestion des paris est confiée à la Société royale marocaine pour l’encouragement du cheval et qui contribue au budget de l’Etat à hauteur de 120 millions de dirhams. Cette “niche” de ressources vient de recevoir un coup de fouet, avec l’élargissement des paris sur les courses quotidiennes, se déroulant dans les hippodromes français, à l’ensemble des points de vente du PMUM. Le tapis vert serait-il le seul à détourner du tapis de la prière ?

TelQuel - Fahd Iraqi

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