Call centers : le Maroc de plus en plus prisé

7 octobre 2003 - 07h17 - Economie - Ecrit par :

Franck P., domicilié près de Tours, veut se faire rembourser le taxi qui l’a conduit à l’hôpital. Il appelle sa mutuelle, Ipeca, en composant le numéro de son service clients. Au bout du fil, Arnaud Latour, 25 ans. Le téléconseiller explique le processus complexe que l’assuré social devra suivre. Une conversation classique, en somme. Comment Franck P. pourrait-il imaginer qu’il est en ligne avec Rabat, et que son conseiller est un Marocain qui s’appelle Amine Ismaili ? Comment peut-il s’apercevoir qu’à 100 mètres du centre d’appels ultramoderne où travaille son interlocuteur les effluves d’épices orientales et le brouhaha des vendeurs de tapis s’échappent des murs d’enceinte de la médina ? Impossible, et c’est justement pour cette raison que les services offshore peuvent fonctionner.

Pourtant, utiliser Amine le Marocain comme s’il s’appelait Pierre de Paris n’est pas un pari facile, même si, depuis une dizaine d’années, l’exercice est devenu monnaie courante. Dès la fin des années 90, en effet, les Américains Dell, FedEx ou General Electric délocalisent en masse leurs call centers vers les pays en voie de développement. D’autres suivent. Le britannique British Telecom fait travailler ainsi 2 200 téléconseillers dans la ville indienne de Bengalore ! En France, la formule est encore peu pratiquée. Selon le cabinet d’études Cesmo, seuls 2 % des postes de téléconseillers français sont implantés en offshore, dans des pays francophones : Maroc, Tunisie, Sénégal, île Maurice... Beaucoup d’opérateurs français sont en effet subventionnés par des collectivités locales qui voient dans cette industrie demandeuse de main-d’oeuvre un remède antichômage. L’équation économique de l’offshore devrait pourtant s’imposer à terme. C’est en tout cas la conviction de Webhelp, « outsourcer » qui réalise 6 millions d’euros de chiffre d’affaires en fournissant des plates-formes d’appels à de grandes entreprises. La société compte aujourd’hui 250 téléconseillers à Rabat. Et compte bien continuer à se développer. Avantages du royaume chérifien ? Son excellent rapport qualité-prix. Le taux de chômage de 25 % permet de plus de recruter des diplômés de l’enseignement supérieur avides de travailler. Sur quelque 200 CV qui arrivent chaque semaine chez Webhelp à Rabat, près de 50 % sont des candidatures spontanées ! Contrairement à ce qui se passe en France, le métier de télé-opérateur n’est pas considéré à Rabat comme un travail de soutier...

Le Maroc présente d’autres avantages pour les employeurs. Le niveau des salaires, d’abord. Le Smic avoisine 180 euros par mois, pour 44 heures hebdomadaires légales. Même si Webhelp paie ses salariés 280 euros minimum par mois, on est loin des 1 215 euros du Smic français ! Ajoutez à cela des syndicats qui pointent aux abonnés absents. Complétez par un droit du travail peu contraignant qui autorise le travail de nuit et le week-end sans surcoût salarial excessif, et vous obtenez au bilan une diminution des coûts globaux de l’ordre de 35 %, avec en prime la sacro-sainte flexibilité qui fait tant défaut en France. Rien d’étonnant si un quartier de Casablanca, où sont implantés quatre opérateurs français, a été rebaptisé, en « hommage » à l’instigatrice des 35 heures, le quartier Martine Aubry !

Mais garantir un tarif imbattable à ses entreprises clientes est une chose, leur assurer la qualité du service en est une autre. Or la relation client est une pièce maîtresse pour les entreprises. Pas question de placer derrière le téléphone un quidam qui répondra à côté ou demandera à son interlocuteur français d’épeler le nom « Victor Hugo »... « La relation client, ce n’est pas le textile, où il suffit d’envoyer à l’étranger le plan de coupe sans se soucier des hommes qui assureront la fabrication », prévient Frédéric Jousset, 33 ans, cofondateur avec Olivier Duha, 34 ans, de Webhelp.

Pour ne pas l’avoir compris, la société Taxis bleus a connu un échec cuisant. En octobre 2002, la société signe un partenariat avec un call center de Rabat pour soulager son central de réservations parisien. Mais, après quinze jours, les chauffeurs de Taxis bleus menacent de faire grève. Le service est mauvais : formés à la va-vite, les télé-conseillers marocains n’ont aucune connaissance des us et coutumes français. Cinq mois plus tard, Taxis bleus arrête les frais. Et rapatrie la gestion de ses appels en France...

Management local

Pour éviter ce genre de déconvenue, Webhelp mise avant tout sur les ressources humaines. En s’associant dès le départ avec des investisseurs marocains, les Belhasen, elle s’est assuré un management local. L’entreprise organise des pauses supplémentaires pendant le ramadan. Pour améliorer l’encadrement, l’outsourcer a renforcé la hiérarchie habituelle des plateaux téléphoniques en recrutant une dizaine d’experts techniques spécialistes de l’industrie du client, aptes à venir au secours des téléopérateurs en cas de problèmes.

De même, la procédure de recrutement a été très étudiée. En embauchant à niveau bac plus 3 et 4, Webhelp cherche des jeunes dotés d’une bonne culture générale, qui, surtout, maîtrisent la langue de Molière sans accent : à la demande des entreprises donneurs d’ordres, il faut en effet ménager l’illusion que le centre d’appels est en France ! « Nous éliminons 60 % des candidatures sur une simple conversation téléphonique, notamment parce que l’accent est trop prononcé », confie Olivier Duha.

Une fois embauchés, les futurs opérateurs sont formés durant une à trois semaines. Au menu : l’utilisation de l’Internet (les téléopérateurs consulteront la météo française pour pouvoir parler de la pluie et du beau temps avec leurs interlocuteurs), les rudiments de culture française pour discuter avec un Français et les techniques qui font mouche au téléphone. Par exemple, savoir dire oui à bon escient ! « Les Marocains ont tendance à dire oui pour tout, mais pas toujours à écouter le client ! » explique Olivier Duha. La dizaine de superviseurs qui encadrent les téléconseillers viennent quant à eux deux fois par an à Paris pour suivre une formation plus pointue. Mais cet effort a un prix : Webhelp consacre environ 3,5 % de sa masse salariale à la formation, contre une moyenne de 1,5 % pour le secteur.

La carte sociale

Afin de limiter le turnover, Webhelp joue aussi la carte sociale. Elle propose en majorité des CDI à temps plein, qui représentent aujourd’hui 70 % des contrats, et propose à tous une mutuelle (rare au Maroc). Les salles de travail sont confortables et l’entreprise assure un système de navettes pour les trajets entre le travail et le domicile ! Il est vrai que les heures ouvrées étant calquées sur celles de la France, le décalage horaire oblige les téléopérateurs à démarrer leur journée à 6 heures du matin. Or, à Rabat, point de transports publics dès potron-minet...

Enfin, pour récompenser la qualité du travail et l’assiduité, l’entreprise offre une prime mensuelle qui peut aller jusqu’à 15 %. Efficace, ce cocktail ? Oui, semble-t-il, si l’on en croit la direction de Webhelp, qui assure que le turnover ne dépasse pas 10 % à Rabat. Le taux serait de 30 % chez ses homologues parisiens.

Alors, l’« outsourcing » au Maroc, le nirvana des call centers, employeurs comme salariés ? Recruté il y a six mois chez Webhelp, Mohammed se veut nuancé : « Avec mon salaire moyen de 300 euros par mois, j’arrive à bien vivre, sans plus, dit-il. Même au Maroc, passer sa journée au téléphone alors qu’on a un diplôme du supérieur, ce n’est pas un choix de carrière. Ici, beaucoup attendent une opportunité pour démissionner »...

lepoint.fr

Bladi.net Google News Suivez bladi.net sur Google News

Bladi.net sur WhatsApp Suivez bladi.net sur WhatsApp

Sujets associés : Télécoms - Centres d’appel - Offshoring - Webhelp Maroc

Ces articles devraient vous intéresser :

Maroc : ces régions oubliées de l’internet

Lors d’un débat organisé par le Parti Authenticité et Modernité (PAM), Ghita Mezzour, ministre de la transition numérique et de la réforme de l’administration, a révélé la part du territoire marocain sans couverture internet.

Qatar 2022 : les opérateurs se livrent une rude concurrence sur le roaming

La concurrence se fait rude entre les opérateurs de téléphonie mobile IAM, Orange et Inwi sur le marché de roaming en cette période, où 80 000 clients marocains ont rallié Qatar pour assister aux matchs des Lions de l’Atlas. Tous veulent prendre leur...

La justice confirme l’amende de 2,5 milliards de dirhams contre Maroc Telecom

Le recours de Maroc Telecomcontre la liquidation de l’astreinte imposée par l’agence nationale de régulation des télécommunications (ANRT), a été rejeté par la cour d’appel de Rabat.

Le Maroc accélère sur la 5G en vue de la coupe du monde 2030

Le ministère de la Transition numérique et de la réforme de l’administration aura à charge la gestion des télécommunications lors de la coupe du monde 2030. Ainsi en a décidé le Comité marocain d’organisation du tournoi.

Suite à un contrôle fiscal, Maroc Telecom va payer 600 MDH

Maroc Telecom et le fisc sont parvenus à un protocole d’accord pour le règlement d’un montant de 600 millions de dirhams, suite à un contrôle fiscal effectué en juin 2022.

Maroc Telecom a payé une amende de 2,45 MMDH au régulateur

Maroc Telecom a annoncé s’être acquittée de l’amende de 2,45 milliards de dirhams (MMDH), infligée par l’Agence nationale de réglementation des télécommunications (ANRT).

Taxes en hausse au Maroc : les téléphones coûteront plus cher

Le gouvernement marocain prévoit d’augmenter le droit d’importation appliqué aux smartphones. Par conséquent, les prix de ces appareils pourraient augmenter de façon significative.

Maroc : une taxe fait exploser le prix des téléphones

La commission des Finances à la Chambre des conseillers a revu à la baisse le droit d’importation appliqué aux smartphones. Ce qui semble être une bonne nouvelle s’avère très désavantageux pour les distributeurs locaux et les consommateurs.

Inwi fait condamner Maroc Telecom

Le tribunal de commerce de Rabat vient de condamner Itissalat Al-Maghrib (IAM-Maroc Telecom) à verser 6,3 milliards de dirhams à son concurrent Wana (inwi) qui lui reproche des pratiques « anticoncurrentielles ». Un coup dur pour l’opérateur historique...

Maroc Telecom augmente de 10% le salaire de ses employés

Après une série de négociations, les employés de Maroc Telecom ont réussi à obtenir de la direction, une augmentation des salaires de 10 % avec effet rétroactif. Un accord a été signé dans ce sens entre les deux parties.