Cannabis : Le double jeu de l’Espagne

29 septembre 2003 - 20h00 - Espagne - Ecrit par :

L’affaire du cartel de Tétouan aura permis de lever le voile sur d’autres pratiques dans le commerce de “l’herbe” en provenance du Nord marocain. 90% des narcotrafiquants marocains, inculpés ou non dans le dossier Mounir Erramach, portent aussi la nationalité espagnole et trouvent de l’autre côté du Détroit une terre d’accueil qui leur permet de repartir du bon pied en cas de poursuites au Maroc.
Article très long mais qui mérite d’être lu

L’Union européenne, incapable de surveiller le détroit, impose au Maroc des règles strictes pour combattre la culture du cannabis. Pourtant le marché européen est saturé de drogue au label marocain qui trouve des voies de passage très faciles avec pour plaque tournante l’Espagne où les réseaux liés aux trafiquants marocains sont légion.
Existe-t-il une réelle volonté espagnole pour combattre le flux des cargaisons marocaines sur son sol, étant donné qu’elle protège des narcotrafiquants en fuite et recherchés par le Maroc ? Ceci sans oublier qu’il n’existe aucun cadre juridique pour exercer des pressions sur les transfuges vu que l’Union européenne ne s’est jamais penchée sur le cas de l’Espagne qui est la porte d’entrée vers l’Europe…
Cette histoire aurait pu s’appeler “Morocco connexion”, en hommage à un grand film des années quatre-vingts (“French Connexion”) où l’on voyait un groupuscule obscur de maffieux internationaux implanter leurs tentacules dans certaines villes françaises. Le tournant que prend l’affaire du cartel de Tétouan est révélateur des véritables acteurs du trafic de haschish qui opèrent à partir du Maroc, dont les ramifications souterraines se perdent dans les grandes capitales européennes, dans des réseaux qui infiltrent les corps des Etats, des hommes d’affaires et des politiciens de toutes les nationalités, avec pour destination ultime sur la carte géographique la Hollande qui est une route prisée par les narcotrafiquants du cartel, la Grande Bretagne, la Belgique, l’Allemagne et les pays scandinaves. Les Pays-Bas représentent en effet un marché très lucratif où “l’herbe” du Rif vaut trois à quatre fois plus cher qu’en Espagne. Distance oblige. Mais ce pays a une autre particularité que connaissent bien les initiés du “hasch” qui ont rêvé d’Amsterdam et de ses coffee-shop légendaires où la drogue douce, le haschish et la marijuana, sont en vente libre et autorisée.
Depuis de nombreuses décennies, l’Andalousie, la Costa del Sol, constituent une terre d’accueil pour tout délinquant en mal de réinsertion. Si les trafiquants marocains possèdent, dans la plupart des cas, un passeport espagnol, cela est dû principalement à la facilité avec laquelle les autorités ibériques règlent les demandes d’asile des trafiquants de l’autre rive. On se souvient qu’en 1996, avec l’assainissement raté entrepris dans le Nord, des dizaines d’individus recherchés par la police ou faisant l’objet de suspicion, avaient filé à l’anglaise vers l’Espagne en attendant le retour du calme et la pax politica qui s’étaient monnayés à coups de millions.
Aujourd’hui, même scénario, on a vite annoncé début août, date du déclenchement de l’affaire Erramach, que plusieurs personnes recherchées activement par la police nationale avaient réussi à rejoindre l’Europe. Cette même Europe qui demande au Maroc de serrer ses filets autour des réseaux locaux et qui leur offre, parallèlement, une alternative pour sauver leur peau. L’Espagne ressemble davantage à un territoire de repli, à une forteresse intouchable, à un paradis pour grands délinquants. La chose n’est pas nouvelle. Depuis la chute de l’ex-URSS, on accuse l’Espagne, et particulièrement Marbella d’avoir ouvert ses portes aux plus grands trafiquants russes qui blanchissent de l’argent, investissent dans la Costa del Sol et se livrent à des pratiques pas très orthodoxes. Mais avant les Russes, il y avait déjà les trafiquants marocains.

L’Espagne trouve son compte

Les accords entre le Maroc et l’Union européenne stipulent que ces derniers doivent apporter de l’aide au Royaume pour qu’il combatte la culture du kif. Comment cela est-il possible alors que depuis 1996, date du dernier coup de filet contre les parrains de la drogue, à aujourd’hui, l’export du haschich est presque dix fois plus important vers l’Europe. Aujourd’hui , on fait passer presque 100 tonnes de cannabis par jour vers les pays européens.
Quand on regarde de plus près la carte géographique entre le Maroc et l’Espagne, première escale et porte vers l’Europe, il y a à peine 14 kilomètres à franchir. La question qui se pose est la suivante : comment l’Europe avec toutes ses brigades de police spécialisées, son arsenal militaire et autres techniques sophistiquées utilisées par ailleurs dans la lutte antiterroriste, n’arrive-t-elle pas à contrôler le détroit et les côtes espagnoles ? Comment le haschich marocain franchit-il le détroit et accoste sur les côtes espagnoles ? Nous ne sommes pas loin des plus simples des scenarii qui traitent du trafic de l’herbe. Simple : tout comme les Marocains avaient leurs bastions dans les corps de l’Etat au Nord, ils ont leurs entrées en Espagne, leurs réseaux qui leur facilitent le passage et le transit parce que l’Espagne a tout à gagner dans une affaire des plus juteuses. Toute cette nouvelle pratique du commerce presque légalisé de la drogue a pris corps après 1996. L’argent de l’export avant cette date était investi au Maroc. La devise revenait au pays. Le phénomène peut s’expliquer par la discrétion qui entourait autrefois le blanchiment d’argent dans le Royaume. Le Maroc était gagnant sur toute la ligne surtout que les recettes en devises occupaient la quatrième pour ne pas dire la troisième position dans le pays. L’Europe perdait sur toute la ligne et voyait ses efforts soi-disant pour contrer la prolifération de la drogue tourner court. La drogue continuait à envahir ses marchés, les Européens s’approvisionnaient, le commerce fleurissait et les trafiquants amassaient des sommes astronomiques qui lui passaient sous le nez. Elle n’avait ni le beurre ni l’argent du beurre. Une erreur stratégique qui devait finir un jour par être rectifiée.
Ce qui nous amène aux fameuses pressions de l’année 1996 et ce qui en avait résulté. Après 1996, la donne a changé et l’Europe a changé également son fusil d’épaule. Les narcotrafiquants n’osent plus trop investir au Maroc et se sont organisés pour internationaliser leurs réseaux financiers. Les trafiquants ont pris peur, ils ont continué à faire leurs emplettes, mais l’argent restait à l’étranger. Les devises ne sont plus réinjectées dans le pays mais emplissent les banques espagnoles et d’autres capitales européennes. Dans ce jeu de passe-passe politico-écologique, l’Europe a trouvé le moyen de faire fructifier ses pressions puisqu’elle peut afficher une nette satisfaction d’avoir poussé le Royaume à traquer les barons de la drogue et, d’un autre côté, elle garde sur ses terres les profits générés par le commerce du cannabis. Sans compter sur l’hébergement de véritables réseaux qui ont trouvé toute la protection voulue dans ce genre de magouilles à grande échelle. L’Europe qui se targue de financer un programme pour aider le Maroc à éradiquer la culture du cannabis dans le Rif, rentre très vite dans ses frais et commence à compter les milliards bradés depuis au moins une décennie et qui grossissent les investissements étrangers comme c’est le cas dans le Sud de l’Espagne.

L’attitude de la presse espagnole

Ce qui semble aujourd’hui risible, c’est l’attitude de la presse étrangère et surtout espagnole qui, malgré tout le scandale occasionné par la traque et l’arrestation du gang Erramach et consorts, malgré les déclarations des prévenus qui affirment que des éléments de l’autorité espagnole avaient leur rôle à jouer dans ce trafic de haut vol, aucun article n’est venu de la part de cette même Europe, donneuse de leçons, pour lever le voile sur les pratiques pas très catholiques qui se déroulent sous ses yeux et devant sa porte.
Curieux ce silence et ce black-out autour d’une affaire où l’Espagne est le principal corollaire ne serait-ce que par la proximité géographique, lieu de passage et de transit des camions, voitures et autres. Sans oublier qu’en Espagne aucune enquête n’a été ouverte, aucune instruction n’est en cours pour démanteler les réseaux locaux qui s’approvisionnent au Maroc et font le dispatching dans les autres capitales accros à l’herbe rifaine. Ceci est d’autant plus invraisemblable que des noms espagnols ont été cités par les inculpés marocains ! L’Espagne ferme les yeux et compte les recettes en s’accommodant de la situation qui lui sert doublement sur un plan stratégique et politique vu les multiples différends qui ont émaillé les rapports entre Rabat et Madrid depuis quelques années. Dans le même sillage, il faut rappeler que le Maroc a demandé à l’Espagne de serrer l’étau de son côté, arguant que si le travail de démantèlement est fait de ce côté-ci du Détroit, c’est aux Espagnols de s’appliquer pour que les mailles des filets soient infranchissables. Ce qui n’a jamais été fait. Sur ce chapitre, le Maroc sort vainqueur ayant d’abord respecté ses accords avec l’Union européenne et a montré qu’il était capable de nettoyer devant sa porte, allant jusqu’à assumer des scandales impliquant des magistrats et autres fonctionnaires de l’Etat. Un carton plein pour le moment où le Maroc attend, à son tour, que les Européens montrent un peu de sérieux et prennent le taureau par les cornes. Un autre point reste à éclaircir par les voisins espagnols : comment se fait-il que de nombreux criminels marocains jouissent de la nationalité espagnole ?
Ce qui les place d’ores et déjà en dehors de la légalité internationale et vient jeter l’opprobre sur les accords entre le Maroc et cette même Union qui tient tant à ce que le haschich ne circule plus dans ses ruelles. D’autres questions se précisent, le Sud espagnol ne recèle-t-il pas ses propres plantations de cannabis au milieu des champs de melons et de pastèques ? Des ouvriers marocains ne travaillent-ils pas dans ces mêmes champs pour récolter le kif ? Et la France, où le haschich pousse parfois même dans des jardins privés et sur les balcons ou alors en plante d’intérieur ? Pourquoi l’Europe n’éradique-t-elle pas toutes ces pratiques alors qu’elle est l’un des principaux consommateurs de cannabis dans le monde ? Sans oublier tous les pays où le cannabis est aujourd’hui délivré sous ordonnance, où on le considère comme médicament en lui réservant des salons pour le promouvoir ? Et si le Maroc venait à légaliser les cultures du cannabis, quelle serait l’attitude de l’Union européenne ? Jouera-t-elle son double jeu ou commencera-t-elle par laver son linge sale entre ses partenaires ? L’avenir nous le dira, pour le moment, c’est du côté de l’Espagne qu’il faut aller fouiner pour démêler le vrai du faux et parler d’un vrai assainissement.

http://www.lagazettedumaroc.com

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