La bourse à bout de souffle ?

12 juillet 2008 - 18h39 - Economie - Ecrit par : L.A

Alors que les marchés financiers mondiaux n’en finissent pas de chuter, la Bourse de Casablanca continue à résister. Et malgré l’affaissement des volumes échangés, la cherté du marché perdure. Le krach est-il pour bientôt ?

Adil, 30 ans, cadre dans une banque de la place, s’active à remplir son bulletin de souscription pour la nouvelle introduction en Bourse. Il ne veut surtout pas rater l’entrée de la troisième société immobilière sur le marché, Alliances développement immobilier (ADI). Il ne s’agit pas
d’une question de flair, Adil est persuadé que l’action à 685 dirhams vaudra beaucoup plus dans quelques semaines, à l’instar des titres Addoha et CGI (Compagnie générale immobilière). Excepté quelques très rares entreprises qui ont vu le cours de leur action chuter au lendemain de leur cotation (comme M2M ou Promopharm), les nouvelles recrues explosent généralement dès leur entrée sur le marché. Mais l’arrivée d’ADI suffira-t-elle à revitaliser un marché manifestement maussade ?

Les “vieux routiers” de la place casablancaise se souviennent encore du krach de fin 1998, suivi d’une longue période de morosité qui a perduré jusqu’en 2003. Un an plus tard, Maroc Telecom arrivait en sauveur pour redonner confiance aux investisseurs. Mais le véritable phénomène du marché reste Addoha, qui a revigoré la cote depuis 2006. Introduite à 585 dirhams, l’immobilière a vu son cours flirter avec les 3000 dirhams en six mois, pour se positionner au-dessus des 4000 dirhams en 2008. Idem pour le tube de l’été 2007, la CGI. Le cours de la filiale immobilière de la CDG augmente de près de 100% en trois mois seulement. Tout porte à croire qu’ADI suivra le même chemin : “Nous sommes tous très confiants en cette nouvelle valeur. Elle connaîtra à coup sûr une progression similaire à celle des deux autres valeurs immobilières”, nous affirme avec enthousiasme ce trader.

Une bulle qui gonfle, qui gonfle…

Si ces pronostics se confirment, le cours d’ADI connaîtra une croissance vertigineuse, à l’image de celui de ses deux consoeurs qui affichent des ratios mirobolants. Par exemple, le “Price earning ratio”, dit PER (rapport entre le prix de l’action et le bénéfice qu’elle dégage chaque année), illustre la furieuse envolée des cours : le marché valorise les actions Addoha et CGI respectivement à 68 et 149 ans de bénéfices !

Des comportements qui gonflent les cours et dopent excessivement les performances de la place casablancaise. Celle-ci fut d’ailleurs l’une des rares dans le monde à entamer l’année 2008 dans le vert. Alors que les bourses internationales reculaient, l’indice MASI cumule, depuis deux ans, les progressions spectaculaires : 72% en 2006 et 35% en 2007. Aujourd’hui, son évolution tourne autour des 12%. La raison ? “Le marché regorge de liquidités, l’argent ne doit pas dormir, il est donc investi en Bourse, le meilleur moyen de gagner beaucoup d’argent et vite”, explique cet analyste. Investisseurs étrangers, MRE et caisses de retraites sont autant de pourvoyeurs de fonds qui canalisent leurs deniers vers la Bourse. C’est sans compter les prêts bancaires dédiés aux souscriptions pour provoquer un effet de levier, une pratique récemment interdite par le CDVM. Résultat, les souscriptions explosent, les sommes misées donnent le tournis réduisant ainsi le taux de satisfaction : pour avoir une action Maroc Telecom, il fallait en demander 5, pour Addoha 17 et pour la CGI, il fallait demander 100 titres pour avoir une seule action. La demande dépasse l’offre et la cote marocaine devient de plus en plus chère. À titre de comparaison, le PER global marocain franchit aisément la barre des 20 alors que le même ratio en Europe, établi à 12, continue de reculer. L’évolution de la Bourse semble s’être transformée en bulle spéculative et commence à effrayer les faiseurs de marché. La conjoncture internationale (flambée du pétrole, baisse du dollar), l’instabilité du tourisme et la spéculation immobilière aidant, le spectre de 1998 revient hanter les esprits. D’autant que la place n’offre pas de “futures”, véhicules de placement qui ont l’avantage d’anticiper les tendances haussières injustifiées.

ADI, l’introduction providentielle

“Malgré la progression, nous avons le sentiment que les institutionnels essaient de calmer les ardeurs, ils restent campés sur leurs positions et observent le MASI, tempère ce broker. Le marché est devenu cher et risqué”. Risqué, parce que l’indice marocain a la particularité d’évoluer grâce à une poignée de valeurs. “Seules quelques titres tirent le MASI vers le haut. Si nous faisons abstraction des transactions qui les concernent, le marché n’évolue quasiment pas”, nous confie un conseiller financier. En passant l’indice à la loupe, on se rend compte effectivement que le MASI est porté essentiellement par Maroc Telecom, qui représente 19% de la capitalisation totale, Addoha qui en pèse 14% et Attijari 11%. Plus de 66% de la capitalisation est assurée par 6 valeurs… sur les 77 que compte la cote casablancaise !

L’introduction d’ADI soulagera probablement les titres stars de la surliquidité qui commence à “peser”. Le retrait des institutionnels est significatif d’une période d’attente. “Les investisseurs sont avides de papier frais (ndlr, titre), mais de bon papier, rentable et qui peut être liquidé facilement, éclaire ce trader. Sinon, les capitaux resteront concentrés sur les valeurs locomotives”. Objectif à atteindre donc : plus de valeurs “sexy”, histoire de ne pas garder tous ses œufs dans le même panier. Même les analystes les plus optimistes, qui se refusent à parler de bulle spéculative, espèrent, en le disant à demi-mot, un rééquilibrage des cours, pour éloigner l’ombre d’une violente correction boursière. Un financier de la place, loin des discours rassurants de ses confrères, nous a livré ses impressions : “Nous assistons à la construction d’un marché avec ses excès (envolée des cours) et ses faiblesses (répartition des risques). Plus il y aura de sociétés introduites, plus il s’éduquera. D’ici là, Il y aura forcément des corrections qui le feront baisser à un niveau plus sain”. On attend toujours.

Source : TelQuel - Youssef Zeghari

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