La grève de la faim, l’arme des dissidents et des prisonniers marocains

8 septembre 2008 - 17h35 - Maroc - Ecrit par : L.A

Un groupe d’étudiants de Marrakech arrêté après des affrontements avec la police a récemment déclenché une grève de la faim qui a duré plus de trois semaines ; le journaliste Mustapha Hormatallah a lancé une grève de la faim en mai dernier pour demander sa libération de prison ; des dizaines de prisonniers sarahouis l’ont suivi à Ait Melloul et Laayoune ; des diplômés au chômage l’ont fait pour attirer l’attention sur leur situation, et des prisonniers politiques et salafistes des prisons de Kenitra, Salé, Agadir et Tanger ont protesté contre leurs conditions de détention en refusant de s’alimenter pendant plusieurs jours.

Pour les journalistes et les éditeurs protestant contre les restrictions à la liberté d’expression, les salariés demandant l’intervention du gouvernement pour créer des emplois et améliorer les salaires, les dissidents religieux emprisonnés ou même les criminels espérant de meilleures conditions de détention ou un nouveau procès, la grève de la faim est devenue "l’arme des sans-pouvoir".

La grève de la faim, qui suppose un jeûne complet et peut durer de quelques jours à plusieurs mois, est souvent perçue comme le dernier recours pour les personnes privées de libertés ou de leurs droits fondamentaux, selon l’Observatoire Marocain des Prisons.

"Politiquement, la grève de la faim est le seul moyen de se faire entendre de l’opinion publique des fins fonds de l’obscurité d’une cellule", explique Abdelatif Hatimy, avocat au barreau de Casablanca et président de l’association de défense des Droits de l’Homme Karama (Dignité).

"Le détenu fait ainsi appel à la conscience des gens, qui ne peuvent rester insensibles face au péril de la mort." "Nul ne peut rester indifférent à un tel appel", ajoute-t-il, "et c’est là qu’intervient la presse pour relayer et magnifier cet appel, afin de sensibiliser les âmes éprises de justice à la cause du gréviste de la faim." Il souligne également que l’Etat, qui a les pleins pouvoirs pour sauver les gens dans de telles situations, est obligé de tenir compte de cet appel et de répondre de son inertie face au danger imminent de la mort.

Comme de nombreux autres militants des droits de l’Homme, Me Hatimy croit fermement que "la grève de la faim demeure encore, dans les pays où les Droits de l’Homme sont respectés - et le Maroc en est constitutionnellement un - un moyen de pression".

Si ce type de pression peut parfois s’avérer efficace, "c’est au prix de grandes souffrances et parfois de séquelles graves", explique le Dr. Abdelakrim Manouzi, président de l’Association Médicale de Réhabilitation des Victimes de la Torture (AMRVT). En effet, la grève de la faim met en péril la vie d’une personne par ailleurs en bonne santé.

Les aspects politiques et psychologiques de la grève de la faim ajoutent encore à sa complexité. Comme l’a expliqué un ancien détenu politique à Magharebia, "une grève de la faim menée jusqu’à la mort ne peut être comparée à un suicide." "Les contestataires qui refusent de se nourrir ne le font pas dans l’intention de mettre fin à leurs jours, mais pour exercer une pression sur les autorités afin qu’elles changent leur politique", explique-t-il.

"Il se peut qu’ils meurent des suites de leur jeûne, mais la mort n’est pas, dans la majorité des cas, l’objectif principal." Les grévistes mettent en général un terme à leur action avant de tomber gravement malade, pour un certain nombre de raisons. Soit ils le font volontairement, soit il changent d’avis, soit encore ils sont persuadés de se réalimenter par leurs familles, leurs avocats ou les gardiens de prison. Ils peuvent aussi céder à l’alimentation forcée.

Dans certains cas, la mort d’un ou de plusieurs prisonniers est utilisée comme un argument de confrontation avec les autorités. Plusieurs exemples illustrent le côté efficace, et tragique, de l’emploi de cette "arme".

Ce n’est qu’en observant une série de grèves de la faim que certains prisonniers politiques et détenus d’opinion ont réussi au fil des ans à obtenir une amélioration relative de leurs conditions de détention, précise Chaouki Adil, membre du Forum Marocain pour la Vérité et la Justice.

Deux exemples célèbres durant les "années de plomb", se souvient Adil, furent ceux de Boubker Douraidi et Mustapha Belhouari. Ils avaient entamé une grève de la faim le 4 juillet 1984 pour protester contre leurs difficiles conditions de détention et le manque de soins médicaux. Ils moururent tous les deux deux mois plus tard.

Deux autres prisonniers entamèrent une grève de la faim illimitée en 1985. Ils furent attachés sur leurs lits dans des chambres distinctes à l’hôpital universitaire Ibnou Rochd de Casablanca et alimentés de force par les autorités jusqu’au jour de leur libération en 1991, où ils bénéficièrent d’une grâce royale.

Abdelhaq Chbada, un autre détenu d’opinion, mourut en août 1989, une mois seulement avant la date prévue pour sa libération. En compagnie de trois autres détenus de la prison de Laalou à Rabat, il débuta une grève de la faim en juin 1989 pour protester contre le traitement médical inadapté apporté aux prisonniers qui avaient été torturés. Les trois autres poursuivirent leur mouvement jusqu’en février 1990.

Récemment, un certain nombre de prisonniers politiques à Marrakech ont déclenché une grève de la faim pour réclamer de meilleures conditions sanitaires et un meilleur traitement en prison. Leur grève dura quarante-six jours, et se termina seulement après que les familles de ces étudiants et plusieurs organisations de la société civile les eurent implorés de mettre un terme à leur action. Les autorités s’engagèrent à améliorer les conditions de détention.
Toutefois, cette arme que certains considèrent comme héroïque tend à être banalisée en raison de son utilisation excessive, selon l’un des responsables de la prison Oukacha de Casablanca.

"Il y a des criminels et des voleurs qui font des grèves pour des revendications inacceptables, notamment pour avoir de la drogue. Certains l’annoncent, mais ne sont pas capables de s’y tenir", a-t-il expliqué à Magharebia.

Il y a cependant une exception. "Les détenus politiques, au contraire, s’ils l’annoncent, ils l’observeront", conclut-il.

Source : Magharebia - Imrane Binoual

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