Le falot d’Allah - le procès de Pierre Robert

2 septembre 2003 - 10h44 - Maroc - Ecrit par :

Le procès de Pierre Robert, alias Yacoub, doit s’ouvrir demain à Rabat. Accusé d’être impliqué dans les attentats de Casablanca, il risque la peine de mort. Portrait de Pierre Robert, un jeune homme effacé de 31 ans, né dans la banlieue de Saint-Etienne et devenu militant islamiste sous le nom de Yacoub.

La Ricamarie, grise banlieue de Saint-...tienne (Loire), certains résidents de la cité du Montcel se souviennent du « converti qui revendait des bagnoles ». Il habitait encore ici, il y a moins de trois ans, avec sa femme et son fils, dans un appartement du quartier. Puis, ils sont partis s’installer définitivement au Maroc. Après, plus de nouvelles. Jusqu’à ce que, début juin, son nom fasse la une des journaux. Pierre Richard Antoine Robert, « le mec blond de La Ricamarie », y est accusé de diriger, depuis Tanger, trois cellules terroristes fortes d’une trentaine de clandestins. « Un maillon essentiel de Salafiya jihadiya », la mouvance islamiste radicale, estiment les autorités marocaines, qui cherchent à relier le jeune « émir » français aux attentats suicides du 16 mai dernier, à Casablanca, et leurs 45 morts. Déjà deux fois reporté, son procès doit débuter demain à Rabat. A 31 ans, Pierre Robert risque la peine de mort.

Pour ceux qui l’ont côtoyé dans la Loire, le nouvel habit paraît taillé bien large pour un personnage décrit comme falot. Pierre Robert n’a pas laissé une image forte dans sa région d’origine. A Andrézieux-Bouthéon, une cité entre Saint-...tienne et Montbrison, deux jeunes assurent l’avoir vu « il y a un ou deux ans », sur le marché. « Il vendait des faux jeans Levis ramenés du Maroc », racontent-ils. Parlant de Pierre Robert, ils disent le « pauvre gars ». Ces garçons l’ont surtout fréquenté au milieu des années 90. Le jeune converti avait une dizaine d’années de plus qu’eux. « Il venait presque tous les jours au foot avec nous. Un peu comme un animateur, sauf qu’il parlait tout le temps de religion. » A l’époque, Pierre Robert se fait appeler « Yacoub », porte tunique et chéchia. « Jamais il ne montrait ses jambes, même pour jouer au foot. Il avait une petite barbe toute blonde. Il buvait de l’eau, mangeait des gâteaux au beurre », résume un des deux garçons, réprimant mal un sourire moqueur. Sur les terrains de foot, « il passait son temps à nous expliquer que c’était mal de s’insulter, citant l’islam. Il essayait de nous entraîner dans son truc, parce qu’on était des gamins. Mais ça marchait pas vraiment. » Un bien piètre prosélyte.

Des gens bien

Lorsqu’il se convertit à l’islam, Pierre Robert a tout juste 18 ans. Né le 30 janvier 1972 au Chambon-Feugerolles, dans la banlieue de Saint-...tienne, il sort à peine d’une enfance que l’on dit heureuse et d’une adolescence sans histoires, cadet d’une fratrie de trois garçons. Quelques années après sa naissance, ses parents partent s’installer dans un petit lotissement au-dessus du bourg de Saint-Rambert. Les Robert vivent dans une grande maison, jardin coquet et joli point de vue. Le père est souffleur dans une verrerie d’art. La mère s’occupe du foyer. Ils refusent aujourd’hui tout contact avec la presse. Leur voisin décrit une « famille unie avec trois enfants adorables ». Il insiste : « Des gens bien ». Pierre, qui préfère l’usage de son deuxième prénom Richard, traîne une scolarité sans éclat jusqu’au lycée professionnel.

Le jeune Français passe pas mal de temps au quartier de La Chapelle d’Andrézieux-Bouthéon, à quelques kilomètres de chez lui. La communauté turque y est très présente. Elle gère des amicales, des foyers, des associations sportives. Et la seule mosquée du coin. Au foot, « Richard » se trouve des copains puis commence à s’intéresser à la religion. Assez rapidement, en 1990, il demande à se convertir à l’islam. Devient « Yacoub ». Président de l’association sportive et culturelle turque, qui gère la mosquée, Ceylan Sonmez évoque le souvenir d’un fidèle assidu et discret. Sans plus. Attristé, incrédule, il ne comprend pas comment le jeune garçon, éveillé à la religion dans une communauté « ouverte », a pu basculer dans le fondamentalisme. « Ici, on apprend la tolérance. » Le foyer attenant à la mosquée d’Andrézieux est orné d’un portrait d’Atatürk, chantre de la laïcité turque. Au mur, se tortille une chanteuse de variété en tenue légère.

Avec la foi des nouveaux convertis, Yacoub se montre avide d’en apprendre plus sur l’islam, part en Turquie, dans la région de Konya, où il apprend l’arabe dans une école coranique. A son retour, il évoque d’autres voyages. Dans des pays « moins laïques », raconte-t-il à des amis turcs. Désormais, Yacoub Robert ne traîne plus à Andrézieux et Saint-Rambert que par intermittence. Il est de plus en plus absent. Physiquement et mentalement. « On le voyait revenir par période chez ses parents », raconte le voisin. Il était « parfois déguisé, parfois non », mais paraissait toujours « complètement renfermé sur lui-même ». Sans emploi stable, il passe pour « un jeune sans situation ».

En 1995, Robert rentre d’un séjour au Maroc marié à Fatima. Un petit garçon, Brahim, naît de cette union. C’est à cette époque qu’il s’installe à La Ricamarie, à côté de Saint-...tienne. Dans le quartier, le couple suscite tout au plus une vague curiosité. Lui, converti blond aux yeux bleus. Elle, entièrement voilée de noir. A côté de son activité de revente de voitures, Yacoub écume plusieurs mosquées autour de Saint-...tienne. On lui prête volontiers des discours religieux radicaux auprès des plus jeunes, des accointances avec des extrémistes salafistes évoluant dans l’ouest stéphanois. En revanche, personne ne lui connaît d’attaches à des lieux précis ou à des personnes particulières. Yacoub semble errer.

Une extrême discrétion

A Saint-...tienne, Pierre Robert fréquente régulièrement le centre culturel Al Qalam, « la plume » en arabe. A la fois librairie, bibliothèque et espace de rencontre, ce centre est animé par de jeunes Français musulmans, plutôt proches des idées de l’Union des organisations islamistes de France (UOIF). Ahmed Abdelouadoud, permanent d’Al Qalam, a souvent vu le jeune converti entre 1999 et 2000. Il venait la plupart du temps seul, quelquefois avec son jeune frère David, lui aussi devenu musulman. Il revoit un garçon « très réservé », « effacé ». Leurs discussions lui ont donné le sentiment de quelqu’un de cultivé sur l’islam, maîtrisant parfaitement l’arabe littéraire. Rien qui ne permette de déceler un passage à l’activisme radical.

« Il n’y avait pas de violence, ni d’agressivité dans ses discours. » Ahmed Abdelouadoud a même été surpris lorsqu’il a su que Robert partait s’installer au Maroc pour vivre sa foi en pays musulman. Et il parle surtout de sa « stupeur » quand il a appris par les journaux ce qu’était devenu ce jeune homme « si ordinaire ». Pierre Robert n’était pas, selon lui, du genre à prendre des initiatives. « Il n’était pas capable de prendre la parole en public, se rappelle-t-il, soulignant une absence évidente de charisme. » « Qu’il ait basculé dans le fondamentalisme, cela peut s’imaginer. Mais dans une organisation terroriste internationale... Je n’arrive pas à comprendre. Ça ne colle pas. »

Cette extrême discrétion permet au Français de se fondre dans le paysage marocain sans attirer sur lui l’attention des services de sécurité. En 1996, la petite famille se trouve également un logement à Tanger, dans le quartier de Tanja Balia où naîtra un nouvel enfant, Selma. Epouse fidèle, Fatima se charge de toutes les démarches administratives, signe le contrat de location, paye le loyer de leur nouveau logement, dans le quartier de Mestarkouch. Un parfait paravent. Robert n’a qu’un tampon de touriste sur son passeport, il est inexistant pour les autorités marocaines. Pour son voisinage, le jeune Français se présente comme vendeur de voitures d’occasion achetées en Europe. Ce qui explique ses fréquents voyages. De toute façon, personne ne s’en soucie. Le converti est pieux, modeste, fréquente assidûment la mosquée de Béni Makada.

Pistolets et endurance

Lorsque les enquêteurs de la Direction générale de la sécurité du territoire (DGST) marocaine s’attaquent à la mouvance islamiste radicale, après les attentats de Casablanca, ils découvrent une tout autre facette du personnage. Les rafles vont bon train. Dans leurs filets tombe un jeune informaticien, Rachid Larabi Laarousi, né en 1971, qui a reçu une formation à l’usage d’explosifs et à l’utilisation de téléphones portables comme détonateurs. Des produits chimiques nécessaires à la composition d’une bombe sont saisis dans son appartement du quartier de Branes. C’est lui qui mènera la police à la planque de son chef, un certain « Lhadj Abou Abderrahmane », aliasÊPierre Robert. Pour avoir reçu un entraînement militaire en Afghanistan, le Français aurait été élu « émir » en août 2001, lors d’une réunion à Béni Makada, par les cadres d’un réseau de trois cellules clandestines à Tanger, Fès et Casablanca.

Pierre Robert réunit ses lieutenants à Tanger dans une maison appelée Dar Diafa, dans le quartier de Ben Debbab. Un second centre, plus important, la Jamaat Sidi Harazem, est ouvert dans la médina de Fès, sorte de caserne qui organise des week-ends de formation. Prise en charge complète. Le programme commence avec la grande prière du vendredi et se poursuit jusqu’au dimanche par des charges violentes contre l’islam traditionnel, des dénonciations du pouvoir et des cours sur le jihad par des prêcheurs rentrés d’Afghanistan. Après l’idéologie, le combat. Les cellules disposent d’un club d’haltérophilie dans le quartier Belkhayat, organisent des stages dans la forêt d’Ouled Mellal. Robert dispense des formations dans la forêt de Gueznaya, usage des pistolets et endurance. Arrêté le 2 juin dans les bois de Rahrah, sur les hauteurs de Tanger, avec sept passeports français, l’émir livre sans difficultés le nom de ses complices.

Ce serait Hicham Tamsamani Jad, dit « Rouaimi », 32 ans, figure de l’islamisme radical originaire de Tanger, qui aurait implanté le jeune Robert au Maroc sur ordre d’Abdelaziz Benyaich. Arrêté à Algésiras, en Espagne, ce cadre du Groupe islamiste combattant marocain (GICM) avait déjà été interrogé par la DST française en février 2003 dans le cadre de l’enquête sur la filière dite « tchétchène » avant d’être relâché, faute de preuves. Pour les policiers marocains, il serait le « contrôleur » de Pierre Robert, agissant pour le compte de Karim Aoutah, dit « Salem », un artificier qui pourrait être « le véritable opérateur de cette affaire » et de Saad El Housseini, dit « Mustapha », chef de la direction opérationnelle du GICM au Maroc, dont le rôle consisterait à manipuler les cellules locales de jeunes paumés fascinés par l’exemple d’Al-Qaeda.

Pour communiquer avec ses commanditaires, Pierre Robert utilisait régulièrement l’Internet du Nine Café, rue du Mahatma Gandhi, près de la mosquée Mohammed V, à quelques pas de la maison de ses beaux-parents. Le jeune Français se faisait passer pour un Allemand, raconte le patron des lieux qui se souvient d’avoir vu, pour la dernière fois, ce client très discret dans la première semaine de mai. La police étudie les disques durs saisis dans l’établissement, espérant découvrir des éléments concrets qui permettraient de définir le rôle exact du jeune émir dans la mouvance terroriste. Fatima, son épouse, se tait. Avec ses deux enfants, elle a trouvé refuge chez son père, une maison blanche rue Sidi Bouabib, à Tanger, face à la cathédrale Hasnouna. « Elle n’a plus revu son mari depuis le 9 avril », confie son frère, Ismaïl, qui assure qu’elle a reçu une demande de divorce une semaine avant les attentats de Casablanca

Libération - Alice Géraud et Didier Francois

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