Les attentats du 16 mai au Maroc planifiés en Espagne

7 octobre 2003 - 22h04 - Espagne - Ecrit par :

C’est un beau pavé dans la mare que lance le juge Baltazar Garzon qui est parti en croisade contre le réseau espagnol d’Al Qaïda. Le rapport rendu officiel le 24 septembre (et qui demeure secret dans
ses détails car gardé jalousement par l’Audience nationale de Madrid), précise que les attentats du 11 septembre 2001 ont été planifiés en Espagne par le groupe d’Abu Dahdah qui comptait aussi des Marocains dont cinq ont été arrêtés.

La préparation des attentats du 11 septembre, "qui ont fait plus de 3000 victimes, dont au moins une de nationalité espagnole (...), s’est déroulée en Espagne, à Tarragone", estime le juge Garzon dans son acte d’inculpation.
Les frères Benyaïch : Salaheddine, arrêté au Maroc dans le cadre des attentats du 16 mai, et Abdelaziz, écroué en Espagne, auraient, selon toute vraisemblance, joué un rôle central dans cette cellule, la même qui aurait préparé les attentats au Yémen. Salaheddine Benyaïch, alias Abu Muhgen, apparaît aujourd’hui comme l’une des figures de proue du réseau espagnol. Il est aussi la piste qui pourrait faire le lien entre l’Espagne et les attentats de Casablanca, entre le 16 mai et le 11 septembre, conclusion vers laquelle s’acheminent les enquêtes internationales.

L’histoire de ce vaste coup de filet espagnol commence par les turpitudes d’un jeune Marocain qui a décidé d’en découdre avec le destin du jihad dans le monde. “Notre lutte, le chemin de Dieu, ne s’arrête pas en Afghanistan”, est son credo. Salaheddine Benyaïch, qui met toujours en avant cette phrase, est convaincu que la guerre sainte n’avait pas une seule terre, mais plusieurs destinations.
C’est cette même détermination qui le mènera de la Bosnie à la Tchétchénie en passant par Tora Bora, Kandahar, le Pakistan, la Russie, le Daghestan, le Maroc et l’Espagne. Selon des sources proches du juge Baltazar Garzon qui a présenté fin septembre un rapport de 692 pages sur les cellules espagnoles d’Al Qaïda qui seraient au cœur des attentats du 11 septembre, des trois attentats du Yémen et du 16 mai, le Marocain Salaheddine Benyaïch apparaît aujourd’hui comme l’un des fidèles d’Oussama Ben Laden. Il a été cité à maintes reprises par les autres inculpés dans les enquêtes effectuées dans plusieurs pays, liées aux préparatifs des attentats du 11 septembre à New York et Washington.
C’est là la nouveauté dans un rapport (voir la Gazette du Maroc numéro 335) qui détaille les actes d’accusation de plus de 35 activistes proches du chef d’Al Qaïda. Et le rapport entre dans les détails. On y lit que Salaheddine Benyaïch, natif de Tanger, faisait partie des trois activistes les plus proches de Ben Laden. Ces derniers ont peaufiné l’installation de la plaque tournante que fut - et reste encore- l’Espagne pour Al Qaïda.

Du 11 septembre 2001 au 16 mai

Salaheddine Benyaïch fait partie des détenus de la Salafiya Jihadiya au Maroc, et comparaît actuellement devant les juges marocains pour son implication dans les attentats du 16 mai. A ne pas confondre avec son frère Abdelaziz Benyaïch, détenu en Espagne par le juge Garzon (voir la Gazette du Maroc numéro 335). D’un autre côté, Salaheddine est demandé par le juge Garzon qui le place parmi les instigateurs des attentats du 11 septembre.
Conclusion qui émane du fait que le Marocain a été mêlé ces dernières années à toutes les ramifications relatives aux activités d’Al Qaïda en Espagne. Quand on se penche de plus près sur les conclusions du rapport, il apparaît qu’après une opération secrète nommée “Opération Datil” faite par les services de renseignements espagnols, il a été conclu que Salaheddine Benyaïch, en compagnie de deux individus, dénommés Omar Deghaye et Ian Frost, ont été protégés par les membres des cellules madrilènes et celles de Grenade après les coups de filets qui ont ébranlé le monde à la recherche des terroristes d’Al Qaïda après les attentats de New York. Avant de revenir au Maroc où il sera arrêté après le 16 mai, Salaheddine aura vécu en cachette en Espagne. Mais déjà son passé avec la justice espagnole est très éloquent à ce sujet. En 1997, il a été arrêté par la police routière de Murcie qui avait déclaré que le prévenu était en état d’ébriété. Il avait alors présenté de faux papiers au nom de Mohamed Rasit Mohamed.
Ce Rasit en question était la même personne que le directeur général de la police espagnole, Juan Cotino, avait signalé, avec d’autres, comme l’un des collaborateurs de Ben Laden. Le chef de la police disait alors : “Rasit recrutait les jeunes pour remplir les camps d’entraînement en Afghanistan”. Le profil du Marocain qui multiplie les nationalités et les faux documents se précise comme un sérieux activiste en mouvement sur le sol espagnol. Il serait aussi au centre d’autres recrutements visant cette fois le Maroc. Son lien avec Pierre Robert, qui connaissait les frères Benyaïch, est désormais clair étant donné que l’émir français a au moins une fois été en contact avec des hommes du chef du réseau espagnol, Abu Dahdah, aujourd’hui en instance de procès en Espagne.
Ceci vient corroborer les déclarations de la semaine dernière faites par le juge Garzon. Il dit clairement dans son rapport que ce dangereux activiste de Ben Laden, Salaheddine Benyaïch, vivait en Espagne et y préparait différentes actions pour le compte de la cellule espagnole avant d’ajouter que le même prévenu attend d’être jugé au Maroc pour son implication dans les attentats du 16 mai à Casablanca. Ceci nous pousse à interroger ce rapport dans ces allégations concernant la préparation des attentats du 16 mai par les mêmes hommes de la cellule espagnole qui a aussi été à la source de ceux du 11 septembre. Plus loin dans le rapport, il apparaît que dans le sillage des Marocains d’Al Qaïda espagnole gravitent tous les grands noms qui ont commis les attaques du 11 septembre 2001.
Le même rapport ajoute que Salahddine avait été repéré par les services
de renseignements espagnols le 16 novembre 1997, deux ans après son retour de Bosnie où il avait perdu un œil. D’ailleurs, une bande vidéo trouvée dans le domicile d’un autre activiste montre Salaheddine habillé en treillis militaire au Daghestan, en Russie, avec d’autres moujahidines en 2000.
La phase préparatoire du jihadiste atteint à ce moment son plus haut degré. Cette cassette jette la lumière sur cette époque qui se situe juste quelques mois avant son retour en Espagne vers juin/juillet 2001 où il aurait rencontré Mohamed Atta, le kamikaze qui a percuté avec
un avion l’une des tours jumelles de New York . D’un autre côté, après cette arrestation sur la route en 1997, la police avait perdu de vue la trace de Salaheddine Benyaïch. On ne savait plus où il était ni ce qu’il faisait. Son retour à Murcie pour ramener d’autres combattants du Jihad avait été surveillé jusqu’au 23 février 1998 lorsque soudain le Marocain s’est volatilisé. Madrid a estimé alors qu’il “se trouvait en dehors de l’Espagne et très probablement en Tchétchénie”. D’un autre côté, la possibilité que Salaheddine avait une maison et une adresse à Murcie se voit renforcée par le fait qu’il avait, en 1997, un appartement situé sur la rue Galeria Robles, à Madrid qu’il allait abandonner quatre mois avant d’être arrêté pour la première fois par la police sous le faux nom de Mohamed Rasit Mohamed.
Depuis, on ne lui connaît plus aucune résidence fixe sur le territoire espagnol. Mais les soupçons sur ses activités sont restés très forts. La police savait qu’il y avait vécu encore pendant longtemps. Elle a aussi découvert en 1999 qu’il avait été admis dans une clinique madrilène où il fut opéré au visage (peut-être les yeux et cette balle ou cet obus qui lui a fait perdre un oeil). Il avait utilisé à cette époque le faux nom de David Charles Burgess. C’est à cette période que le grand responsable de la cellule d’Al Qaïda en Espagne, Abu Dahdah, l’héberge chez lui.
Selon la police espagnole, ils auraient collecté ensemble des fonds pour la cause du jihad en utilisant des cartes de crédit falsifiées. Salaheddine aurait-il financé du même coup des activistes à Tanger, à Fès et ailleurs ? Pourquoi pas ? Et ses relations avec Abu Dahdah nous poussent à poser la question suivante : si Abu Dahdah était le chef des terroristes espagnols, s’il était le contact et le planificateur pour le 11 septembre 2001, ne serait-il pas du même coup complice des Marocains pour les attentats du 16 mai ?
La liste des 35 détenus de Garzon précise aussi que cinq des prévenus sont inculpés dans les attaques de Casablanca. Deux sont arrêtés en Espagne, deux au Maroc et un en Turquie. Les deux premiers sont Abdelaziz Benyaïch et Driss Chebli. Les deux suivants sont Salaheddine Benyaïch et Mustapha Maymuni, tandis que le dernier inculpé s’appelle Abdelatif Murafik. Simple coïncidence, ou alors les mêmes personnes ont-elles travaillé sous la houlette de la cellule d’Abu Dahdah, même après son arrestation en novembre 2001 ? C’est ce que le rapport ne dit pas ou pas encore...
Selon les sources espagnoles, “toutes ces personnes étaient intégrées depuis plusieurs années dans la cellule de Imad Edin Barakat Yarkas, alias Abu Dahdah”, la cellule qui a peaufiné les attaques contre les USA. Imad Edin Barakat Yarkas a déclaré devant le juge Baltazar Garzon, mercredi 23 septembre, par le biais de son avocat Jacobo Teijelo, qu’il “condamnait les attaques du 11 septembre” et disait que “ce sont des massacres sauvages”.
Mais toutes les preuves retenues contre lui montrent des liens puissants avec les grands du réseau et que les Marocains accusés dans les deux dossiers (11 septembre, 16 mai) ont travaillé sous ses ordres. Abu Dahdah avait notamment été proche, de 1998 à 2001, de Mohamed Behaïah, alias Abu Khaled, dirigeant émérite de la cellule espagnole.
C’est ce même Abu Khaled qui avait envoyé aux grands chefs en Afghanistan des cassettes où étaient enregistrées des cibles américaines. Quel rôle joue donc la plaque tournante espagnole dans les attaques de Casablanca et qui en a été le véritable instigateur ? Comment ne pas conclure que ceux qui ont commis les attentats du 11 septembre et ceux du Yémen n’étaient pas au courant de ce qui se tramait à quelques kilomètres de l’Andalousie, à Casablanca ? Pour le moment, il faudra attendre l’extradition des Marocains détenus en Espagne pour que la justice marocaine soit en mesure de répondre à cette question. A moins que le juge Garzon se déplace au Maroc pour approfondir son enquête. Une probabilité qu’il ne faudrait pas écarter.

La Gazette du maroc

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