Faut-il croire les mendiants ?

18 mars 2007 - 00h00 - Maroc - Ecrit par : L.A

500.000 mendiants professionnels permanents et occasionnels sillonnent le Maroc. Le ministère du Développement social lance un programme de lutte contre la mendicité à Rabat et à Casablanca, qui sera généralisé à tout le territoire. Est-ce suffisant ?

Arrêté au feu rouge au carrefour boulevard Moulay Rachid et boulevard d’Anfa à Casablanca, un automobiliste écoute tranquillement la radio en se réjouissant du beau temps de ce samedi 3 mars 2007. Le bulletin d’information de la mi-journée de Médi 1 diffuse une déclaration de Abderrahim Harrouchi, ministre du Développement social, de la Solidarité et de la Famille à propos du lancement du programme de lutte contre la mendicité à Casablanca.

Le ministre n’a pas encore fini son intervention qu’une horde de personnes s’attroupe autour de la voiture : une femme trimbalant un bébé et un enfant de moins de trois ans, un gaillard sur un fauteuil roulant et une jeune fille d’environ 16 ans vendant des paquets de chewing gum.

Tout ce petit monde à la mine grisâtre et à l’allure repoussante tend sa main pour avoir une ou deux pièces. Face à ce triste spectacle, il éteint d’un geste las son poste radio tout en pensant qu’entre la réalité et les discours, il y a un océan. Son scepticisme est partagé par la grande majorité des Casablancais. De pareilles scènes sont ancrées dans le décor de la capitale économique, difficile d’imaginer qu’un jour elles disparaîtront. Et pourtant le ministère du Développement social ne ménage pas les efforts. Abderrahim Harouchi a annoncé que la loi sera, désormais, appliquée avec plus de rigueur pour punir les mendiants professionnels récidivistes. En effet, l’article 326 du code pénale prévoit « un à six mois de prison pour quiconque ayant les moyens de substance ou étant en mesure de se les procurer par le travail, ou de toute autre manière licite, se livre habituellement à la mendicité en quelque lieu que ce soit. » Les mendiants se faisant accompagner par des enfants de moins de treize ans encourent jusqu’à un an d’emprisonnement.

Conscient que cette mesure aggravera le problème du surpeuplement des prisons que connaît le Maroc, le ministre adopte une approche sociale. Son département a signé des partenariats avec une cinquantaine d’associations oeuvrant à Casablanca et à Rabat pour qu’elles s’occupent de la réinsertion des mendiants, particulièrement les mineurs en les suivant psychologiquement et médicalement et en leur assurant une formation socioprofessionnelle. Pour mettre en place ce plan d’action d’un budget de sept millions de dirhams, depuis le 1er mars 2007, huit équipes, composées d’assistantes sociales, de représentants des Forces auxiliaires et des agents de police, sillonnent les rues de Casablanca, plus précisément les ronds-points, les portes des mosquées, les marchés, les quartiers commerciaux et les gares routières et ferroviaires, pour appréhender les mendiants.

Ces derniers sont conduits, ensuite, au centre de Tit Mellil, à 17 kilomètres de Casablanca, qui s’est payé un lifting pour accueillir ses nouveaux hôtes. La durée de leur séjour est fixée à dix jours, le temps que les assistants sociaux effectuent leur enquête et élaborent des fiches de renseignements avec les photos avant de les prendre en charge en leur proposant des moyens de réinsertion socio-économique.
Tout cela paraît bien beau. Mais, devant l’ampleur du phénomène de la mendicité, il est bien légitime de se poser des questions. Est-ce que seul le centre de Tit Mellil peut résorber les milliers de mendiants et de vagabonds que compte Casablanca alors que sa capacité d’accueil ne dépasse pas 648 places ? Le nombre d’assistants dont dispose ce centre, quatre au total, est-il suffisant pour garantir un traitement au cas par cas ? Une autre question se pose. Et, elle est de taille. Est-ce que les mendiants professionnels sont prêts à abandonner une activité aussi fructueuse et reposante que la mendicité pour apprendre un métier plus contraignant et moins lucratif ?

Un jeune homme de 26 ans, souvent posté au carrefour de l’avenue Socrate, ne cache pas sa préférence pour la mendicité que d’exercer le métier de menuisier ou de mécanicien. « Je refuse de me faire exploiter. Travailler chez un garagiste ne va rien me rapporter sinon des problèmes. Les 200 dirhams que je vais gagner par semaine, je les empoche en deux jours ou parfois en une journée en demandant l’aumône. » Même son de cloche chez une mendiante dont le QG est le quartier Maârif. « Jamais je ne travaillerai comme femme de ménage.

Même ouvrière dans une usine, cela ne m’intéresse pas. Dans la rue, je n’ai ni patron ni horaires à respecter. En plus, je ramasse entre 50 à 100 dirhams par jour. Rien à voir avec un salaire d’ouvrière. » Et, ils sont nombreux à tenir ce langage. La mendicité n’est plus pour eux un moyen de survivre mais une profession avantageuse. Leurs déplacements suivent un schèma bien établi et leurs emplacements sont des chasses gardées. Et gare à celui qui viendra empiéter sur le terrain de l’autre. Combien de fois, les automobilistes assistent, médusés à une bagarre entre deux mendiants autour d’un feu rouge ? Si les quémandeurs demandent aux autres d’être généreux, ils ne se font pas de cadeaux entre eux. Leur devise est que le plus fort gagne. Et si tu comptes parmi les faibles, il faut payer des droits de protection pour mendier sans être perturbé.

Pour amener les âmes charitables à mettre la main à la poche, ils ne manquent ni d’imagination ni de créativité. Il y a ceux qui s’inventent des handicaps. D’autres arborent des airs menaçants. Un boîteux avec une cicatrice profonde sur la joue sillonne depuis une quinzaine d’années le centre ville de Casablanca en disant qu’il vient de sortir de la prison de Ouakacha et qu’il est prêt à tout si on ne lui donne pas deux dirhams pour acheter une baguette de pain. Il cible plus les jeunes filles solitaires. Il y en aussi qui créent des histoires. Une mendiante sur le boulevard Mohammed V à Casablanca en a une originale. Elle raconte que son mari l’a battue avant de la mettre à la porte et qu’elle a besoin de 15 dirhams pour rentrer chez ses parents à Mohammedia. Une autre pratique, plus choquante, largement dénoncé par la presse, mais qui sévit encore, est celle du commerce des enfants. Ce sont les femmes qui s’y adonnent le plus souvent. Elles louent des enfants de moins de sept ans contre une somme hebdomadaire allant 50 à 100 dirhams par semaine qu’elles n’hésitent pas à droguer pour « travailler » tranquillement.

Face à cette mendicité bien structurée, de plus en plus croissante, (le Maroc compte 500.000 mendiants professionnels permanents ou occasionnels) le plan d’action du ministère du Développement social ne peut être efficace sans l’implication des citoyens. Comme le dit si bien un haut responsable marocain « il faut arrêter de penser qu’en donnant trois dirhams à un mendiant, on achète une place au paradis ». Les associations et les orphelinats ont plus besoin des dons des bienfaiteurs. Ils sauront certainement mieux les gérer.

Maroc Hebdo - Loubna Bernichi

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