Les Marocains au top 10 des jihadistes en Irak

5 juillet 2008 - 22h04 - Maroc - Ecrit par : L.A

Ils seraient plusieurs centaines de jihadistes marocains répertoriés comme ayant pris le chemin de Bagdad depuis l’invasion américaine. Certains ont même pris des galons dans la hiérarchie terroriste. Pourquoi tous ces jeunes décident subitement d’aller mourir en Irak ? Comment sont-ils recrutés, comment font-ils pour se rendre à Bagdad, qui finance leur voyage ? C’est à toutes ces questions que répond cette enquête exclusive.

C’est encore une énième condamnation pour « terrorisme et recrutement de personnes pour aller en Irak. Mardi dernier, les 27 membres de la « cellule de Tétouan », d’où sont issus les responsables du réseau, ont été condamnés à des peines variant d’un à huit ans de prison. Ils sont notamment accusés d’avoir facilité l’envoi de combattants marocains sur le front irakien. Leur arrestation, en décembre 2006, avait permis aux enquêteurs de démanteler la plus importante filière « irakienne » installée au Maroc.

Des « agents recruteurs pour le jihad en Irak » qui appartiendraient à une « structure terroriste aux ramifications internationales spécialisée dans le recrutement et l’acheminement de volontaires marocains pour l’Irak » selon les termes de l’accusation. Ils sont poursuivis pour « liens idéologiques, soutien financier et logistique avec des groupes de l’international terroriste, dont Al Qaïda, l’Organisation d’Al Qaïda au Pays du Maghreb Islamique), le Groupe islamique combattant marocain (GICM) ainsi qu’avec d’autres individus impliqués dans l’action terroriste à l’échelle internationale ». Hakim Khatfi, Ali Daâs, Abdelilah Fathallah, Rachid Souimi, Abdelouhad Soussi, Fouad Hadouchi et Mohamed Benayad. Six autres accusés, Ismail Karfali, Radouane Sarraye, Karim Ouled Oukacha, Yassine Atanji, Mohamed Benjoudane et Abdelhakim Assouif, Ahmed Safri, un Suédois d’origine marocaine, tous d’illustres inconnus qui se sont faits prendre pour avoir voulu débouter l’occupant américain hors de la Mésopotamie. C’est du moins comme cela qu’ils voient leur engagement. « Le seul crime de ces individus, c’est d’avoir tenté de se rendre en Irak, ils n’avaient aucune espèce de projet de violence contre le Maroc, les condamnations sont disproportionnées » précise l’un des avocats de la défense.

Sauf que le terrorisme est un crime puni par la loi et que tous ces individus n’avaient qu’une idée en tête « se faire exploser au passage d’un convoi américain à Bagdad ou gâcher sérieusement la fête des marines dans l’un de leur campement ».

On parle ainsi de plusieurs centaines de jihadistes marocains répertoriés comme ayant pris le chemin de Bagdad depuis l’invasion américaine. Une tendance revue d’ailleurs à la hausse entre 2005 et 2007.

Selon un fichier informatique d’Al-Qaïda rendu public en décembre 2007 par l’armée américaine recensant les profils de plus de 600 jihadistes entrés par la Syrie entre août 2006 et août 2007, les marocains arrivaient en troisième position après les Saoudiens, et les Algériens, représentant ainsi plus de 6 % du nombre de jihadistes étrangers présents en Irak.

Services secrets

Une réalité qui inquiète au plus haut point les services de sécurité, aussi bien locaux qu’occidentaux. Un constat confirmé par la visite surprise à Casablanca du ministre français de l`Intérieur, de l’époque, Nicolas Sarkozy le 30 octobre 2006. Selon des sources fiables, Sarkozy serait venu essentiellement pour remettre aux services marocains un rapport explosif sur les jihadistes marocains qui se rendent en Irak pour jouer aux kamikazes. Il était notamment accompagné de Pierre de Bousquet, le patron de la DST française.

Le rapport élaboré à partir de notes de la CIA en Irak et d’enquêtes aussi bien en Irak qu’au niveau de l’Espagne, la France et l’Allemagne, faites par les services de ces pays, tire la sonnette d’alarme : Les marocains ont gagné du galon et sont rapidement passés à la seconde place en tant que fournisseur de kamikazes, juste après les saoudiens bien côtés en la matière. D’après les statistiques officieuses de l’année en cours, plus de 500 attaques suicide ont été enregistrées en Irak depuis le début de la guerre. 90% de leurs auteurs étaient étrangers, en majorité des salafistes saoudiens et marocains.

Dans la foulée, une banale dépêche de l’AFP, nous apprenait que sept agents secrets américains de la CIA étaient arrivés le lundi 20 novembre 2006 au Maroc pour interroger avec leurs homologues marocains, des terroristes présumés. D’après l’agence, les James Bond Américains, invités à Témara, de leurs homologues marocains de la DST (Direction de la surveillance du territoire), ont interrogé les membres présumés de Jamaât Attaouhid Wal Jihad fi Al Maghrib (Groupe de l’unité et du jihad au Maroc) récemment arrêtés. Juste après, les services marocains secondés par leurs homologues européens (sans oublier une légère touche américaine) sont sur les dents (la BNPJ, DST, Dged). Résultat : arrestation d’une trentaine d’individus affiliés pour la plupart à la “Jamaat Atawhid Wal Jihad Fil Magrhib”, un label créé par Abou Moussab Zarkaoui. Le Parti de la libération-Al Maghreb (Hizb ut Tahrir) qui n’hésite d’ailleurs pas à faire circuler des prospectus dans plusieurs mosquées pour demander des recrues pour l’Irak, s’était fait épinglé il y a quelques mois de cela, par les services marocains.

Dans ce vivier, on distingue trois catégories de candidats au suicide à la bombe.

1 ) Les marocains de seconde génération (ils sont présents dans ce paquet à 30 %)
2) Les étudiants marocains en Europe ( 20 % environ, essentiellement dans les filières scientifiques, ingénieurs et autres étudiants en médecine) Ex :Reda Barazzouk, 24 ans, et Hakil Chraibi, 23 ans étudiants en ( sciences et techniques du Languedoc ) à l’université de Montpellier-II.
3) Marocains de souche (qui constituent le gros des troupes, également des profils pointus. Comme Youssef Boussag fils d’un haut cadre dans la succursale marocaine d’une multinationale américaine à Casablanca et arrêté en janvier dernier alors qu’il se préparait à se rendre en Irak.

Difficultés de l’enquête

Les services de sécurité ne cachent pas malgré quelques succès, les difficultés de l’enquête. En effet, les jihadistes appartiennent pour la plupart à des « cellules dormantes » sans rapport entre elles. On en sait très peu sur l’organisation des réseaux chargés de recruter des jeunes pour “la guerre sainte” en Irak mais pour le recrutement, les jihadistes ont essentiellement recours à la filière du net. Chabakat El-Firdaws, Minbar, un site particulièrement prisé par les salafistes marocains, les appels du commandant Abou Moussaab Essouri, Omar Abdelhakim ou Abou Aouiss Essalafi, les principales figures montantes du jihad en Irak, une approche qui se fait également par le contact direct par des salafistes qui prennent attache à partir de l’étranger. Car le cybersalafisme ne suffit pas à lui seul à mobiliser les jeunes. Les recruteurs, experts en falsification de passeports, qui font l’apologie du « jihad irakien » réussissent à recruter des centaines de volontaires, à les financer, à les équiper de faux papiers et à les envoyer via l’Algérie, la Turquie, la Jordanie et la Syrie, rejoindre les rangs du Jaïcch Al Moujahidine ou ceux du TandimQaïdat al-Jihad fi bilad al-Rafidayn (« Brigade d’al-Qaïda pour le jihad en Irak »).

Financement

Le départ pour l’Irak est financé notamment par un mode de financement bien particulier, petits commerces légaux (notamment épiceries, boucheries, crèmeries et téléboutique). L’argent, arrive aux mains des terroristes via les western Union et d’autres modes de transfert directs, un mode de paiement extra-bancaire basé essentiellement sur la confiance. Les sommes envoyées sont modestes mais il s’agit de plusieurs virements étalés dans le temps et dans l’espace pour ne pas éveiller les soupçons des services. Les collectes qui se font dans les mosquées qui propagent des idées radicales.

L’argent du trafic de drogue fait également partie des autres sources de financement pour l’envoi de combattants en Irak. « Parfois même, les gens qui financent le départ de volontaires ne savent même pas qu’ils soutiennent des groupes radicaux. Il s’agit essentiellement de dons en liquide déboursés par des citoyens lambda, convaincus qu’ils le font pour la bonne cause. Les donateurs ne veulent pas connaître de détails, mais veulent être sûrs que leur argent sera destiné à la cause de Dieu » rapporte une source policière. Il est d’ailleurs significatif que les multiples enquêtes sur les financements des islamistes, toutes factions confondues, la BNPJ en collaboration avec la Banque du Maroc, les tribunaux de commerce et le ministère du Commerce, aient conduit à mettre à nu l’existence de près de 15 000 sociétés écrans au Maroc, dont une bonne partie sert à blanchir l’argent des islamistes qui provient de l’étranger.

Partir et mourir

Dans cet imbroglio financier et terroriste, tous les chemins mènent aujourd’hui à Bagdad après avoir mené à Kaboul. Mais pourquoi donc tous ces jeunes se décident à aller mourir en Irak ? Pourquoi cet attrait subi pour le jihad à Bagdad ?

L’explication est d’une simplicité déroutante, dans les PV des interrogatoires, on relève pratiquement la même réponse : des jeunes chauffés à blanc par les images d’oppression en Irak, diffusées par les chaînes satellitaires Arabes cherchent alors à rejoindre les Jihadistes afin de combattre les forces de l’occupation. Il faut savoir que l’anti-américanisme est aujourd’hui le moteur principal du jihadisme d’Al Qaïda. Hier, c’était l’Afghanistan, aujourd’hui c’est l’Irak.

Le ressentiment nourri à l’égard des USA et l’hostilité légendaire des masses populaires arabes contre Israël, sont également du pain béni pour les recruteurs salafistes. Selon l’islamologue Saîd Lakhal, il existe de nombreuses raisons à cet engouement pour le jihad en Irak. Il y a d’abord l’aisance avec laquelle se meuvent les organisations jihadistes dans les pays arabes du Moyen-Orient malgré la répression ambiante. « Ajoutons à cela des mosquées échappant à la surveillance, un marché ouvert pour les livres et les cassettes qui font l’apologie du jihad et la culture de la mort, etc. Enfin, la présence d’un grand nombre d’Afghans marocains, supervise la formation et l’entrainement des jihadistes, qui sont souvent directement reliés à leurs homologues, en Irak afin de faciliter le processus de réception des kamikazes et de faciliter l’intégration. Un kamikaze ne va pas dans un pays où il ne connait personne, mais il doit y avoir des compatriotes fiables ».

Cartographie : Les viviers de recrutement de jihadistes au maroc

Tétouan : Quartiers Jbel Dersa et Jamaâ Mezouak

C’est de ce quartier qu’est parti le fameux Benmassoud Moncef, ce jeune lauréat de l’Ecole Mohammedia des ingénieurs qui s’est fait exploser dans un attentat spectaculaire à Bagdad, il y a trois semaines de cela. C’est là également, le quartier de Mafalah Mohamed, et des frères Ahmidane impliqués dans les attentats de Madrid et qui a été tué en Irak cet été. Jamaâ Mezouak est sans conteste un véritable nid de kamikazes potentiels. Dans ce quartier pauvre où vit essentiellement une population rurale chassée par la pauvreté de Bahroura, le trafic de contrebande à partir de Sebta est contrebalancé par les succès story des jeunes capo de la drogue qui ont réussi à traverser la méditerranée pour se faire une petite place au soleil au sein de la pègre de la Costa Del Sol. Du menu fretin mais à l’échelle de la pauvreté ambiante, ces petits dealers paraissent comme des modèles de réussite. Pour les autres, ceux dont le rêve de parvenir à l’autre rive, s’est cassé aux dures conditions de la répression marocco espagnole, désœuvrés, dépités et désespérés, ils représentent un réservoir commode pour les recruteurs de tout poil.

Ils sont d’ailleurs une vingtaine de jeunes, originaires de Jamaâ Mezouak à avoir trempé dans les attentats du 11 mars 2004 à Madrid, ou plus récemment, ceux enregistrés en Irak.

Le cas de Moncef et Bilal Benaâboud, deux jeunes de 22 et 23 ans, qui se seraient fait exploser en Irak, est assez significatif. Des garçons, tout ce qu’il y a de plus banal. Le père gagne relativement bien sa vie grâce à un commerce juteux de pneus neufs de contrebande. Au Lycée Jaber Ben Hayane, les deux garçons sont un modèle en matière de civisme et de comportement. L’un d’eux, Moncef a toujours été le premier dans ses études. Il a décroché d’ailleurs un baccalauréat sciences mathématiques avant d’intégrer l’Ecole Mohammedia des Ingénieurs.

Tanger : Quartier Beni Makadda

Hay Bir Aharchoun, Hay Sania, Beni Makkada, le mois de mai 2008 a connu une activité sans précédent des services de sécurité. Bilal Alaoui, Charhbil BenTaïb, Abdelilah Kanfoudi, Mohamed Lahmidi et bien d’autres individus, ont été arrêtés à leur sortie de la mosquée un par un, à plusieurs jours d’intervalle. Leur famille ne sait pas à l’heure actuelle où ils sont été conduits. Une source policière locale pense que ces jeunes individus, à la barbe bien fournie, font partie de cette armée de réserve de potentiels kamikazes. Car Beni Makadda est fiché comme étant le deuxième foyer de candidats au jihad en Irak.

Casablanca : Quartiers Oulfa, Derb Ghallef, Aïn Chok

Casablanca vient en troisième position en matière de recrutement des jihadistes pour l’Irak. Paradoxalement, Sidi Moumen n’apparaît pas dans ce top ten des quartiers les plus chauds en matière de jihad.

Fès : Quartiers vieille médina, Ben Debbab, Aïn Haroun, Bab Sifer

Fidèle à la tradition, même si jusqu’à présent, les kamikazes issus de cette ville et qui ont été arrêtés ne sont pas légion, Fès reste un foyer de jihadistes où les salafistes radicaux ont toujours pignon sur rue.

Rabat : Quartiers Akkari, Yacoub El mansour

Quelques profils surgissent ça et là, de temps à autre.

Salé : Quartier Tabriquet

Les islamistes se sont partagés la ville, Yassine contrôle Hay Essalam et les salafistes radicaux empoissonnent la vie aux services de sécurité dans certains quartiers chauds comme Tabriquet. Entre le jihad version locale et le coup de feu à Bagdad, il n’y a qu’un pas que de nombreux salafistes n’hésitent pas à franchir.

Source : Gazette du Maroc - Abdellatif El Azizi

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