Marrakech, ruée sur les riads

13 novembre 2002 - 18h19 - Maroc - Ecrit par :

La capitale chérifienne du Sud, destination chère au tout-bobo et axe majeur du tourisme marocain, est saisie par la mode de l’"hôtellisation" de demeures traditionnelles.

Aux yeux des musulmans, le paradis, djanna, est un jardin. Un jardin de ce monde se dit djenina, petit paradis. L’arabe dispose d’autres mots pour désigner le prolongement vert des maisons : hadika, reyt, boustanet, enfin, nous y voilà : raouda.

Au singulier, c’est un prénom féminin, au pluriel - riad -, cela a donné la capitale royale d’Arabie, au départ simple oasis, à laquelle le français a conféré la graphie compliquée de Riyad, "les jardins", donc.

Au Maroc, les francophones du cru ont imposé une transcription plus sobre : riad ; substantif, qu’ils emploient ainsi au singulier et au pluriel. Au royaume alaouite, et d’abord à Marrakech, le chef-lieu arabo-berbère du Sud, se sont forgés, sous le signe et à l’abri du riad, un art de vivre, une philosophie de l’existence et du Carpe diem - "Cueille le jour !", selon l’épicurisme latin dont le jumeau arabe est : "Aïch fil youm illi anta fih !" : "Vis aujourd’hui !"

Dès les années 1940, à l’époque du protectorat de Paris sur l’Empire chérifien, deux Françaises en mal de sudisme ouvrirent un restaurant en médina marrakchie, dans un riad traditionnel, avec son patio arboré, ses recoins frais, ses murs bosselés, ses terrasses indiscrètes, son carré de ciel bien à soi ; un établissement qu’elles baptisèrent simplement "La Maison arabe" (Le Monde du 8 octobre 1998). Winston Churchill se chargea, par sa gourmandise, de lancer les dames Sébillon-Larochette, mais elles ne firent pas école.

Plus près de nous, Michel Van der Yeught, professeur franco-belge à l’université de Marrakech publia en 1989 Le Maroc à nu ("Le Monde des livres" du 10 août 1990), qui s’ouvre sur une véritable théorisation du concept de riad, précisée encore par la même plume dans Géo, en décembre 1992 : "Un riad est une maison centrée sur une cour intérieure, sans fenêtres vers le dehors. Immense ou minuscule, palais ou gourbi, décoré de splendides zelliges ou fait d’humble pisé, le riad s’aveugle sur le monde extérieur et se replie sur lui-même. L’extérieur est a priori étranger, sale et hostile, l’intérieur, fief de la famille, est l’objet de toutes les fidélités. Le Maroc se présente comme un emboîtement infini de riads." Quand on en a ouvert un, on se rend compte qu’il y en a un autre, et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’on abandonne, insatisfait, tout en conservant, du coup, une "envie de Maroc"...

Ces derniers lustres, Marrakech mis à moins de trois heures d’Orly, le séjour dans la Ville ocre de membres du Tout-Europe, tels les duos Saint Laurent-Bergé, Lévy-Dombasle, Strauss-Kahn-Sinclair, les "bourgeois bohèmes" aisés et hédonistes qui ont suivi par cohortes et, pour finir, la vogue des week-ends prolongés, fouettée par les 35 heures, tout cela explique la ruée actuelle sur les riads. L’Office marocain du tourisme délivre une liste "pas encore labellisée" de plus de 30 riads marrakchis ; l’Association des maisons d’hôtes de Marrakech groupe déjà plus de 40 "riadeurs" ; le guide Népenthès 2003 recense près de 60 riads ; nous en avons, cet automne, identifié une centaine, projets en cours compris, en médina, ville nouvelle et palmeraie. La majorité de ces établissements sont possédés ou gérés par des Européens, les Marocains considérant que la clientèle "bobo" est trop exigeante : "L’eau chaude coupée, et c’est le drame, alors qu’il fait 30 degrés à l’ombre ; le café n’est pas assez noir, et c’est les hauts cris..."

PATÉ "MADE IN MOROCCO"

Les autorités marocaines se sont émues de la dérive de ce qui n’était au départ que des "maisons d’hôtes", restées proches du genre de vie local. Que reste-t-il du riad lorsqu’on vous y propose du foie gras, made in Morocco il est vrai, ou qu’on y trouve des "suites impériales" aussi chères que celles des palaces ? Certains "riads" somptueux s’autodéfinissent d’ailleurs maintenant "palais d’hôtes"... Nous venons de visiter plus de 20 enseignes à Marrakech et dans ses environs, et avons été frappés par la sophistication du confort, la qualité des œuvres d’art et d’artisanat du décor, les vertus des mets et des alcools servis, la superficie des piscines mosaïquées, la hauteur des palmiers, parfois fraîchement transplantés. Mais foin de simplicité indigène et de tarifs doux ! - même si on peut encore trouver des nuitées à 60 € . L’"hôtellisation" de nombre de riads a estompé les caractéristiques du "comme chez l’habitant" des débuts de la "tendance riad". Le dahir (loi) du 13 juin 2002 sur les établissements touristiques devrait permettre de reclassifier les riads authentiques et leurs imitations.

A l’heure où le Maroc nourrit le dessein de recevoir 10 millions de visiteurs en 2010 (2,5 millions à présent), Marrakech, principale attraction, se doit de disposer de la plus vaste palette d’hébergements possible. Côté riads et assimilés, c’est déjà réalisé, puisqu’on peut, dans la même foulée, passer de l’hôtel de charme orientalisant de La Maison arabe agrandie au dépouillement "retour aux sources" du riad Mezouar, de l’architecture ample mais sobre de Jnane Tamsna, "maison d’hôtes et de campagne", à Ksar Char-Bagh, reconstitution partielle de l’Alhambra de Grenade, de Dar-Zina, large enclave verte dans la banlieue neuve de Targa, au minuscule patio-bassin du riad Hérougui, au fond de la médina.

SURRÉALISTES GAZONS

Cette expansion inquiète l’intelligentsia marrakchie. Professeur d’histoire économique, spécialiste des techniques agraires de l’aire islamisée, Mohamed El-Faïz s’interroge sur la survie de l’écosystème oasien de Marrakech, unique au nord du Haut-Atlas : "Les chiffres donnent le frisson : notre palmeraie a déjà perdu 9 000 hectares, soit 60 % de sa superficie. Sachant que le rythme de la dégradation peut être estimé à 120 hectares par an, il suffira de moins d’un demi-siècle pour que le bouclier vert de Marrakech disparaisse complètement..." Ce n’est pas faute de dispositif légal : les dahirs de 1929, 1956 et 1964 protègent théoriquement la "réserve naturelle"

marrakchie - mais, en quelques lustres, ses parties urbanisées sont passées de 100 000 à 1 million d’habitants... L’exploitation touristique n’est donc pas seule en cause, encore qu’elle apparaisse comme moins "naturelle" et quelquefois même choquante quand, par exemple, des étrangers aspergent ad libitum, autour de leur villa néomauresque, de surréalistes gazons jouxtant un hameau de 10 feux disposant d’une seule fontaine...

Le Maroc jouit d’une infinité d’atouts pour accéder au rang de superpuissance touristique : climat, mer, désert, montagne, quatre capitales historiques (Fès, Meknès, Rabat, Marrakech), une métropole internationale (Casablanca), et cinquante villes d’art, sans parler d’une civilisation arabo-berbère unique dans l’univers mahométan et d’une population globalement xénophile. S’impose donc une reprise en main de la sauvegarde des monuments et paysages majeurs - collecte des ordures comprise -, dont plusieurs, telle la place Djemaa-el-Fna, à Marrakech, sanctuaire de l’oralité populaire, appartiennent au Patrimoine mondial de l’Unesco. Plus de rigueur dans l’application du code de la route permettrait, d’autre part, d’utiliser avec moins de risques d’excellentes routes et autoroutes.

Les visiteurs non musulmans ont, eux aussi, un rôle à jouer pour que le Maroc demeure le Maroc. Les maximalistes d’Allah ne cessent d’étendre leur influence. Les Européennes qui déambulent dans la médina en minibustier couleur chair et short moulant scandalisent dans une société où le corps féminin reste tabou. "A Rome, vivons comme les Romains !" paraît à Marrakech un adage bien oublié par les peuples d’Europe qui l’ont inventé...

Jean-Pierre Péroncel-Hugoz


Le retour d’André Chevrillon

Il fut presque aussi célèbre que Loti et surtout apprécié par l’intelligentsia, qui voyait en lui un Kipling français. Lorsque mourut l’académicien André Chevrillon (1864-1957), Le Monde regretta que les récits de voyages à travers la planète de ce neveu de Taine soient déjà "injustement oubliés". C’est l’édition marocaine qui, ces dernières années, a ressuscité l’auteur de Crépuscule d’islam (1906) et de Visions du Maroc (1933). Chevrillon est aujourd’hui étudié à l’université de Fès et, en Sorbonne, il a été programmé pour 2003 par le professeur Jean-François Durand. Ce dernier a en outre cocréé à Aix-en-Provence, chez Edisud, la collection "Ecrivains du Sud", inaugurée avec Marrakech dans les palmes, exaltation raisonnée, écrite en 1919, de "la beauté du vieux Maroc", des "grands caïds", des "tombeaux saadiens" et même de la Mamounia, qui allait rester jusqu’à nos jours l’hôtel le plus snob du Maghreb. Sans passéisme à la Loti et sans idéalisation de la modernité coloniale, l’écrivain voyageur fut surtout un observateur méticuleux des bouleversements socioculturels nés du choc Occident-Orient entre 1830 et 1930, choc dont les effets se font toujours sentir sur les deux rives méditerranéennes et ailleurs. En foi de quoi, Chevrillon demeure actuel.

lemonde.fr

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