Un « beur » député au pays du Roi Beaudoin

15 mars 2007 - 00h00 - Belgique - Ecrit par : L.A

« Zoom » sur les élections législatives qui se dérouleront en Belgique, le 10 juin 2007, avec Mohammed Boukourna, député PS et candidat à sa propre succession.

Pourquoi avez-vous décidé de vous engager en politique ?

Mon engagement politique a été précédé par une succession d’engagements citoyens. Ceux-ci se sont construits par des actions collectives, survenues à la suite d’évènements douloureux et des drames comme l’assassinat raciste de monsieur Benhamou, en 1980, par un membre du Front de la Jeunesse. Un autre exemple a été les prises de positions racistes du Bourgmestre de Schaerbeek, Roger Nols. L’offensive ultra-libérale des années de pouvoir de Ronald Reagan et de Margaret Thatcher ont incontestablement joué un rôle dans mon engagement. La lutte contre le racisme en Belgique, concrétisée par l’entrée en vigueur de la loi Moureaux en 1981, ainsi que mon implication dans la campagne « Touche pas à mon pote », en 1984, ont été des moments forts dans ma prise de conscience.

Les "contraintes" de votre engagement politique, sont-elles identiques à celles d’un candidat belgo-belge ?

Les contraintes sont les mêmes au niveau de l’engagement citoyen et associatif sur des questions politiques…..Mais, il va de soi, que la carrière politique au sein d’un parti nécessite, en plus des compétences personnelles, de pouvoir compter sur des réseaux et une culture politique plus ou moins ancienne. Ces deux éléments, résultat d’une accumulation d’expériences historiques et de traditions, parfois familiales, ne sont pas toujours réunis chez les élus d’origine étrangère qui sont, pour la plupart, issus de milieux ouvrier ou associatif, comme moi . Ceci étant, l’absence de ces « atouts » ne constitue pas un obstacle insurmontable dans l’engagement politique.

Vous êtes député PS. Pourquoi avoir choisi cette famille de pensée ?

Compte tenu de mon engagement citoyen et du rôle historique du PS pour la défense de la classe ouvrière, la lutte contre le colonialisme et le racisme. Aussi, de par ma conception d’une société égalitaire et solidaire, j’ai décidé, naturellement, en 2000, d’y adhérer….En d’autres termes, j’étais socialiste et progressiste avant d’adhérer au parti socialiste.
Même si les chiffres pourraient le laisser penser, être d’origine marocaine ne conduit pas nécessairement et « naturellement » vers le PS. Cela dit, le parti socialiste a toujours été très volontaire dans l’intégration des militants d’origine étrangère en politique et en son sein. Sur les 17 élus au Conseil bruxellois, 13 sont PS. Au Sénat et à la Chambre des Représentants, la très grande majorité des mandataires d’origine étrangère sont socialistes, sans oublier les deux ministres, Fadila Laanan à la Communauté française et Emir Kir, au Gouvernement de la Région bruxelloise. Et que dire du président PS, Elio Di Rupo, d’origine italienne et fils de mineur ?

De quelle nature sont vos relations avec les MRE qui ont rejoint le camp de la droite ?

A titre personnel, j‘estime que certains élus d’origine marocaine au sein de la droite et de certaines composantes du mouvement réformateur en particulier, oublient trop facilement les positions démagogiques et hostiles aux immigrés des partis de droite. Néanmoins, nos relations, en dehors des liens personnels que nous pouvons parfois avoir, sont basées comme il se doit en démocratie, sur le respect de l’adversaire politique. Les choix des uns et des autres se doivent d’être assumés et nos prises de position politique, au-delà de notre origine commune, traduisent très sensiblement les choix idéologiques de nos partis respectifs au sein du parlement, où nous votons.

En Europe, et dans le monde en général, la montée du communautarisme inquiète voire alarme. Qu’en pensez-vous ?

Cela m’inquiète évidemment. C’est la conséquence de l’incapacité des « grands ensembles » de garantir l’existence significative et pérenne de repères, des réalités locales et de proximités dans le cadre d’une matrice commune, égalitaire et juste. La cause en est la destruction et l’anéantissement du temps et de l’histoire au profit de l’instant présent. Ce choix de l’instant et du présent passe irrémédiablement par l’anéantissement de l’historicité des peuples et provoque ainsi leurs révoltes. Le communautarisme est une des illustrations est une des illustrations de cette déviance. Le racisme en est l’aboutissement extrême.

En Belgique, parle-t-on d’un vote "musulman" ?

En Belgique, contrairement à la France ou à d’autre pays, le « vote musulman » n’est pas un épouvantail crédible. D’autres éléments d’explication sont nécessaires pour justifier l’adhésion et ensuite le vote, pour tel ou tel parti. Le vote musulman ou plutôt le vote des musulmans, compte tenu du système électoral belge, ne peut être l’exclusivité d’un parti, quel qu’il soit. Les musulmans ne semblent pas se déterminer sur l’unique facteur du soutien qu’un parti accorde ou non à l’Islam pour voter, même s’ils sont sensibles à l’attention accordée par ces partis à la question de l’Islam.

Revenons au Maroc et à l’échéance politique 2007. Le PJD semble "favori" de ce scrutin ?

Je n’ai pas connaissance des derniers sondages relatifs à ce sujet Par ailleurs, si vous faites référence au sondage organisé par l’institut américain républicain de l’année dernière, je pense que celui-ci contenait trop d’approximations et a semblé être incomplet au sujet des résultats. Les commanditaires en ont fait une lecture parcelisée et sélective. Il n‘en reste pas moins que le PJD en s’inscrivant dans le champ de l‘Etat de droit et de la démocratie, comme les autres partis, doit pouvoir concourir avec les mêmes droits et les mes devoirs sur l’échiquier politique marocain.

Quelle est la lecture de la communauté MRE belge, de celle de l’exécutif belge, quant à l’éventualité de voir un parti "islamiste" diriger le Maroc ?

Je ne peux me prononcer pour l’ensemble des MRE mais ceux-ci sont attentifs à l’évolution de la situation politique marocaine. Quant à l’exécutif belge, je ne peux évidemment préjuger de son appréciation future, mais, comme il est tradition dans les relations internationales, et de surcroît entre Etats amis, celui-ci veillera avant tout à prendre acte du choix des Marocains, à apporter son soutien à la démocratie et à s‘assurer de l’existence des garanties nécessaire pour un scrutin juste, transparent et équitable.

Combien de « beurs » siègent au Parlement ?

Le système belge peut paraître complexe de l’extérieur. En effet, il y a 7 parlements et 6 gouvernements, « de quoi y perdre son latin ». De ce fait, la Belgique compte 7 assemblées constitutives où la représentatativité de membres issus de la communauté marocaine est intéressante. Ainsi, ils sont 7 à sièger au Parlement fédéral, 4 au sénat et 3 à la Chambre, le Parlement de la communauté française en compte 3, 2 au Parlement flammand,et 13 au Parlement Bruxellois. En tout est pour tout, ils sont 25 « beurs » à exercer des mandats électifs en Belgique dont 17 d’entre eux portent les couleurs du parti socialiste.

Boukourna, un parlementaire au service des... MRE ?

“Par mon origine et mon histoire et pour les avoir vécues et affrontées, je suis très sensible aux discriminations qui visent une partie de la population, dont je suis issue. Certains de ces problèmes continuent malheureusement d’affecter cette partie de la population. Néanmoins, nonobstant ma préoccupation permanente pour ces questions, ainsi que pour le développement des relations entre les habitants, je m’inscris dans le programme du PS qui tente d’apporter des réponses aux préoccupations des citoyens qui se reconnaissent dans ce combat”. Il ajoute “qu’au delà de ces questions, je suis en tant que mandataire politique, un représentant de la nation Belge. Si je reste particulièrement attentif et attaché à ma communauté d’origine, il n’en reste pas moins que je réponds aux questions qui la touchent principalement par une action politique qui tient compte de l’intérêt de l’ensemble des habitants, sans exception aucune”, conclut-il.

La Nouvelle Tribune - Rachid Hallaouy

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