Les peuples des sables

5 avril 2006 - 21h11 - Maroc - Ecrit par : Bladi.net

Loin de l’effervescence de Marrakech, le sud du pays recèle des trésors encore préservés. Des hauts plateaux de l’Atlas aux dunes ocre du désert.

La beauté se mérite. Pour franchir les chaînes de l’Atlas, il faut emprunter le col de Tizi-n-Tichka, une route de montagne étroite, sinueuse et interminable. Après des heures de zigzags au-dessus des ravins, la longue bande de bitume qui mène jusqu’à Ouarzazate est une délivrance. Sur cette terre rêche plissée par le vent, on a bâti des châteaux de sable, fragiles citadelles battues par les tempêtes. Inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco, le village fortifié Aït Benhaddou est l’un des plus beaux de la région. Ici, on vit passer Jésus, Lawrence d’Arabie et de féroces gladiateurs... made in « Ouarzawood ». Un surnom donné à la région en raison des quatre studios de cinéma installés en ces lieux. A Aït Benhaddou, où une vingtaine de films ont été tournés, tous les mythes se confondent, pour la plus grande joie des habitants. Même si, aujourd’hui, la plupart d’entre eux vivent au village, de l’autre côté de l’oued, ils vous ouvrent, pour 10 dirhams, la porte de leur maison de famille et vous font grimper sur la terrasse pour admirer la vue : roches lunaires et palmeraie verdoyante, c’est un paysage magnifique, âpre et doux comme le thé que l’on vous sert...

Plus loin, dans les vallées du Dadès et du M’Goun, les casbahs aux tours crénelées par l’usure du temps se fondent dans les roches ocre et rouges. Au printemps, de jeunes Berbères aux fichus colorés cueillent les précieux pétales de Rosa damascina, variété introduite au Maroc par les pèlerins de Damas et dont le parfum sucré et enivrant embaume la vallée les jours de grande récolte. A El-Kelaa M’Gouna, les 4 x 4 croisent des gamins à califourchon sur des ânes et des femmes pliées sous le poids des fagots de bois ou de fourrage. La vie est rude et pourtant, depuis des siècles, les tribus berbères nomades s’agrippent au djebel Saghro, à la beauté farouche. A l’automne, ils s’installent dans la vallée mais, dès les beaux jours, les bergers montent avec familles et bêtes vers les alpages du Haut Atlas.

Villages de carte postale et hospitalité

La famille Aït Mraou vit tout l’été en altitude sous la tente que Fatima a tissée en poils de chèvre ou de chameau. « On n’y reste souvent qu’une nuit. Le lendemain, on repart, suivant toujours le troupeau, qui va là où l’herbe est plus abondante. » Fatima et Saïd ont huit enfants. D’avril à octobre, ils mènent une existence chiche sur le toit de l’Atlas, où le pâturage est dru et nourrissant. Sans montre ni électricité, sans école pour les enfants, sans hôpital ni cimetière : « Quand on est malade, on n’a pas grand-chose. Des plantes comme le thym ou l’armoise... », soupire Fatima. Cependant, pour rien au monde elle n’abandonnerait la transhumance et son mode de vie ancestral. Gorges profondes, villages échappés d’une carte postale où les maisons de terre surplombent un lacis de ruelles sombres, masses ocre des ksour au pied desquels s’étendent de beaux vergers, hospitalité berbère... On comprend la fascination qu’ont exercée de tout temps les vallées du Haut Atlas sur les aquarellistes et les voyageurs en mal d’authenticité.

A mesure que l’on avale les kilomètres et que l’on s’approche de Merzouga, le paysage se désertifie. Le désert, qui paraît s’étendre à l’infini, est parfois interrompu par une fêlure naturelle, un oued, le lit fossile d’un ancien torrent, ou par une vieille piste, abandonnée depuis que les aventuriers ont troqué le dromadaire pour le 4 x 4. Ici, l’indice de modernité se mesure à l’avancée du bitume. Hassan Aït Ali en sait quelque chose. Ce fils du désert était nomade jusqu’à ce que la grande sécheresse de 1979 l’arrache à son enfance. « Il n’y a quasiment plus de nomades aujourd’hui. L’alfa [une herbe qui sert à la fabrication du papier] a disparu, on a dû se sédentariser, travailler dans les mines de plomb et de cuivre, puis dans le tourisme. Quand j’étais petit, on nous disait : “Si tu regardes les touristes, tu iras en enfer ! ” Aujourd’hui, ce sont eux qui nous font vivre et qui apportent le goudron. C’est mieux pour circuler, mais moins bien pour la nature... » En 1991, avec son frère Ali, Hassan a ouvert Kasbah le Touareg, la première auberge face à l’erg Chebbi - seul erg saharien de tout le Maroc. De la terrasse, le spectacle est féerique. Chauffées à blanc par le soleil, de grandes dunes - certaines atteignent 250 mètres de hauteur - changent de couleur selon les caprices de la lumière, passant de l’ocre pâle à l’orangé, du rouge au cramoisi. Quand le jour tombe et que la lumière caressante adoucit les contours des dunes, le silence s’empare de Merzouga et le froid commence à envelopper hommes et bêtes. « Ici, on ne compte pas en kilomètres, mais en jours de piste, pas en degrés centigrades, mais en nombre de djellabas portées les unes sur les autres », prévient Ali. Comme tous les soirs, les visiteurs, les frères Aït Ali et leur vaste tribu se retrouvent devant le feu de cheminée, bercés par les chants berbères entonnés par les jeunes guides de la casbah.

Portes décorées et modestes vestiges
Ali, qui connaît chaque dune et tous les méandres des pistes, sait que le désert reste indomptable : « Si on s’est enlisé et qu’on est complètement bloqué, il faut brûler la voiture pour que des gens viennent à votre secours. » Sur les flancs des roches volcaniques de l’oued Ziz, il sait reconnaître une vraie gravure rupestre d’une fausse, dessinée par un petit malin. « Souvent le même qui a décollé la pierre avec la gravure authentique pour la vendre... », dit-il en souriant.

Après des kilomètres de piste cahotante, une femme surgie de nulle part nous hèle. Drapée d’un tissu noir, Fatma nous invite à boire le thé. Comment refuser quand on sait qu’il faut une heure de marche avant le puits le plus proche ? Veuve, elle survit avec ses cinq enfants grâce à leur petit troupeau. Des nomades cloués au beau milieu de ce désert, comme leurs chèvres au piquet, par la sécheresse qui sévit depuis plus de vingt-cinq ans. Une vie fruste et, pour seul contact avec le monde moderne, un téléphone portable, suspendu à la corde à linge... Fatma n’aura qu’une requête, qu’on la dépose en ville. Pas à Merzouga, un bled avec deux épiceries, un café et plus de faux guides que d’habitants. A Rissani. La dernière ville au seuil du désert, une vraie, avec deux banques, un hôpital, des marchés et un « parc aux ânes » où convergent tous les paysans de la région. Difficile d’imaginer que cette petite ville fut jadis la cité légendaire de Sijilmassa. C’est d’ici qu’au XIe siècle un ermite entraîna au nom d’un islam plus pur les seigneurs du désert, les Almoravides, à la conquête de l’Ifriqiya et de l’Espagne califienne. Seules deux portes décorées et quelques modestes vestiges témoignent de la splendeur passée... En homme sage du désert, c’est Hassan Aït Ali qui aura le mot de la fin : « Ce que j’aime avec le désert, c’est que quoi que tu fasses, berger ou roi, la tempête effacera les traces de tes pas... et les dunes seront à nouveau vierges. »

Anne Tasca - L’Express

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