Quelles perspectives pour les enfants abandonnés ?

18 février 2007 - 00h00 - Maroc - Ecrit par : L.A

Le problème des enfants abandonnés a été longtemps un sujet tabou au Maroc. Aujourd’hui, de plus en plus, la loi et la société civile se penche sur ces enfants nés hors mariage ou enfants illégitimes.

Dans les centres où ces enfants sont déposés, aucun chiffre ne peut être donné. Le phénomène des enfants abandonnés qui prend de plus en plus d’ampleur est dû à plusieurs causes.

D’après une étude réalisée par la Ligue Marocaine pour la Protection de l’Enfance (LMPE) dans 6 centres d’accueil répartis sur les plus grandes villes du Royaume, les raisons principales de ce phénomène sont à la fois d’ordre moral, social et économique. Les enfants nés hors mariage viennent en premier lieu.

Souvent, des jeunes filles, espérant le mariage, se laissent enliser dans une relation douteuse qui finit par un enfant sur les bras et un père qui refuse d’assumer la responsabilité. Ces mères célibataires, sont souvent chassées par leurs familles et n’ont aucune issue sauf s’enfuir vers une autre ville, pour accoucher en cachette. Il y a aussi les enfants nés d’une relation incestueuse. Les dossiers de ce genre d’affaires sont sous le secret judicaire. Pourtant, d’après nos sources, plusieurs cas d’enfants déclarés comme abandonnés sont bel et bien des enfants nés de l’inceste.

Ces enfants issus de ce genre de drame sont condamnés à vivre en marge de la société, privés même d’un nom de famille.

Un enfant devrait avoir un père biologique, même par la force du test ADN et même si le père refuse le principe du mariage, au moins pour avoir un état civil. La justice au Maroc n’exploite pas encore, comme preuve de paternité, le test ADN. Cette pratique pourra changer catégoriquement la donne si elle est adoptée. Surtout que les docteurs en loi islamique ne sont pas contre le test ADN.

D’après une enquête de l’ONG Insaf à Casablanca, parmi les mères célibataires on retrouve les ouvrières, les femmes de ménage, les lycéennes et les étudiantes. Ces filles sont âgées de 16 ans à 34 ans.

Souvent, elles se retrouvent dans cette situation pour avoir cru à une promesse fallacieuse de mariage. L’enquête d’Insaf démontre que 50 % de ces mères célibataires ont été victimes d’une promesse de mariage non tenue, tandis que 28 % d’entre elles avouent que la grossesse est survenue à la suite d’une relation amoureuse. La prostitution arrive en troisième place avec 14 %, suivie du viol avec 8 %. Selon la loi, les mères célibataires sont considérées comme des prostituées et encourent de deux mois à un an de prison ferme.

Promouvoir la Kafala

La Kafala reste donc aujourd’hui la seule alternative pour ces enfants privés de famille.

Pour promouvoir cette pratique, la Ligue Marocaine pour la Protection de l’Enfance a annoncé en 2006 la création d’une association de parents adoptifs, en partenariat avec une ONG italienne et la contribution du Centre Lalla Meryem de Rabat. L’objectif affiché est d’accompagner les futurs parents dans les démarches à suivre en matière de Kafala.

La Ligue s’est également fixée pour objectif de promouvoir la Kafala en accompagnant des familles kafiles socialement et juridiquement, notamment en assurant la liaison entre ces dernières et le juge des tutelles et en les aidant à préparer les documents nécessaires. Plusieurs couples qui n’arrivent pas à avoir d’enfants veulent en adopter un, mais se heurtent à une multitude d’obstacles bureaucratiques. Souvent les couples candidats à la Kafala ignorent la différence entre Kafala et adoption, car la loi au Maroc interdit de faire porter le nom de famille du père adoptif à l’enfant. La Kafala est une adoption qui a une base légale et religieuse.

Cette initiative de la Ligue Marocaine pour la Protection de l’Enfance pourra mettre fin à l’amalgame et contribuer à une définition claire de la Kafala au Maroc.

La définition de l’enfant abandonné

L’article 1er de la loi n° 15-01 relative à la kafala définit l’enfant abandonné comme étant tout enfant de l’un ou l’autre sexe n’ayant pas atteint l’âge de dix huit années grégoriennes révolues lorsqu’il se trouve dans l’une des situations suivantes : S’il est né de parents inconnus ou d’un père inconnu et d’une mère connue qui l’a abandonné de son plein gré ; s’il est orphelin ou s’il a des parents incapables de subvenir à ses besoins ou ne disposant pas de moyens légaux de subsistance ; s’il a des parents de mauvaise conduite n’assumant pas leur responsabilité de protection et d’orientation, comme lorsque ceux-ci sont déchus de la tutelle légale ou lorsque l’un des deux, après le décès ou l’incapacité de l’autre, se révèle dévoyé et ne s’acquitte pas de son devoir à l’égard de l’enfant.

La déclaration judiciaire d’abandon

Le procureur du Roi près le tribunal de première instance du lieu de découverte ou de résidence de l’enfant, de sa propre initiative ou après avoir été avisé par des tiers, place provisoirement l’enfant dans un établissement sanitaire ou dans un centre ou établissement de protection sociale s’occupant de l’enfance, relevant de l’Etat, des collectivités locales ou des organismes, organisations et associations disposant de moyens matériels et humains suffisants pour assurer la protection de l’enfant abandonné. Il procède à une enquête au sujet de l’enfant et présente la demande de déclaration d’abandon au tribunal. Il entreprend, le cas échéant, les démarches d’inscription à l’état civil.

Le tribunal procède à toutes les enquêtes et expertises qu’il juge nécessaires. Si les parents sont inconnus, il prononce un jugement qui sera affiché pendant trois mois, accompagné du portrait et des renseignements sur l’enfant dans les bureaux de la collectivité locale et du caïdat du lieu où ce dernier a été découvert. Si personne ne se présente après ce délai, le tribunal prononce un jugement par lequel, il déclare l’enfant abandonné.

Le juge des tutelles assure la tutelle des enfants abandonnés, conformément aux dispositions du code de la famille et du code de procédure civile. La prise en charge de l’enfant abandonné se fait conformément aux dispositions de la loi sur la kafala.

La Kafala

La loi sur la kafala organise la procédure de prise en charge, définit son contenu, précise les personnes ou organismes à qui elle peut être confiée, le contrôle de son exécution, et l’inscription de l’enfant sur les registres d’état civil. Elle prévoit dans quelle mesure l’opinion de l’enfant peut être prise en considération.

La kafala est accordée par une ordonnance du juge des tutelles à la personne ou l’organisme désireux de l’assurer, après une enquête pour s’assurer si cette personne (ou cet organisme) remplit les conditions fixées par la loi. L’ordonnance désigne la personne (ou l’organisme) comme tuteur de l’enfant désigné par le juge. Elle est susceptible d’un appel qui a lieu en chambre de conseil. L’ordonnance est exécutée par le tribunal de première instance dans les quinze jours de son prononcé. L’enfant est remis à la personne ou à l’organisme qui le prend en charge en présence du représentant du ministère public, de l’autorité locale et de l’assistante sociale concernée, le cas échéant. Un procès verbal est dressé à cet effet.

L’article 2 de la loi définit la kafala comme étant l’engagement de prendre en charge la protection, l’éducation et l’entretien d’un enfant abandonné, au même titre que le ferait un père pour son enfant. La kafala ne crée pas de lien de filiation avec l’enfant recueilli et ne confère aucun droit à la succession.

Aux termes des articles 22 à 24, la personne ou l’organisme assurant la kafala est chargée de l’exécution des obligations relatives à l’entretien, à la garde et à la protection de l’enfant et veille à ce qu’il soit élevé dans une ambiance saine, tout en subvenant à ses besoins essentiels jusqu’à ce qu’il atteigne l’âge de la majorité légale, conformément aux dispositions du code du statut personnel relatives à la garde et à l’entretien des enfants.

La personne qui assure la kafala bénéficie des prestations sociales allouées aux parents pour leurs enfants. Elle est civilement responsable de l’enfant pris en charge. Si elle décide de faire bénéficier l’enfant pris en charge d’un don, de legs, de tanzil, le juge des tutelles veille à l’élaboration du contrat nécessaire et à la protection des droits de l’enfant. La personne qui assure la kafala peut quitter le Maroc avec l’autorisation du juge des tutelles. Les services consulaires sont alors chargés du contrôle de l’exécution des obligations du kafil. Le contrôle de l’exécution de la Kafala incombe au juge des tutelles dans la circonscription duquel est situé le lieu de résidence de la personne assurant la Kafala.

Données quantitatives : Les institutions de bienfaisance

Les institutions de bienfaisance sont gérées par des associations caritatives créées à cet effet. Elles sont régies par le Dahir de 1958, réformé en 2002 régissant les associations. Il n’existe pas de texte spécifique organisant les institutions de bienfaisance dont le contrôle incombe à l’Entraide Nationale.

Le nombre de ces institutions ainsi que les effectifs des bénéficiaires enregistrent un important accroissement.

Selon une étude gouvernementale réalisée en 2006, la majorité des pensionnaires sont des garçons appartenant davantage au milieu urbain. Quant aux raisons de placement, elles sont souvent inhérentes à la pauvreté et à différents problèmes sociaux, autres que la perte des parents, avec respectivement 66% et 22%.

La répartition géographique montre que la région Souss Massa Draa vient en tête avec 158 institutions de bienfaisance, suivie de celle de Marrakech Tensift Al Houz avec 64 institutions, alors que la région Oued Dahab Lagouira ne fait état que d’une seule institution.

Les associations pour enfants abandonnés

La société civile au Maroc a été à l’avant-garde pour mettre la lumière sur les enfants en situation difficile et lever les tabous qui entouraient l’existence de ces derniers.

Les actions entreprises par la société civile en matière de sensibilisation et de plaidoyer auprès des responsables gouvernementaux ont largement contribué à l’adoption et à la révision de la législation régissant les enfants vivant dans des conditions difficiles (réforme de la loi sur la Kafala ; les nouvelles dispositions protectrices des codes pénal et de la procédure pénale ; les dispositions de la nouvelle loi sur l’état civil, etc.). Par ailleurs, un grand nombre d’initiatives prises en faveur des enfants abandonnés a été l’œuvre des associations et des ONG, qu’il s’agisse d’actions d’assistance juridique et psychologique, d’éducation ou de formation et de prise en charge.

Expérience de la ligue Marocaine de Protection de l’Enfance

La Ligue Marocaine pour la Protection de l’Enfance accueille les enfants privés de famille, de la naissance à 3 ans au niveau de six centres d’accueil, en attendant leur prise en charge dans le cadre de la kafala ou leur reprise par leurs parents.

Les six centres dépendant de la Ligue sont implantés à Rabat, Marrakech, Taroudant, Kenitra, Oujda et Laâyoune. Les enfants de plus de 3 ans non pris en charge par des kafils sont accueillis au centre Lalla Amina de Ben Slimane. Les pensionnaires de ces centres bénéficient des prestations suivantes : examen clinique et bilan sanguin systématique pour le dépistage de l’hépatite B et C, la syphilis et le SIDA ; vaccination contre les six maladies cibles ; suivi médical, soins préventifs et dépistage des cas de malformation ; alimentation équilibrée répondant aux besoins nutritifs et alimentaires de l’enfant ; activités éducatives, sportives, artistiques et récréatives.

Le Reporter - Mohamed El Hamraoui

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Sujets associés : Famille - Lois - Pauvreté - Enfant - Kafala

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