Rachida Louali : Professeur de souvenirs ...

26 avril 2004 - 10h40 - Maroc - Ecrit par :

Rachida Louali, 36 ans, est formatrice au quartier hommes de la maison d’arrêt de Strasbourg. Son métier : réapprendre le français et parfois la lecture à ceux qui l’ont oubliée.

L’« école » de la maison d’arrêt n’a rien d’une école ordinaire. Dans la salle de classe où le soleil peine à entrer, les élèves ont tous passé la vingtaine. Sur leurs tables, ni cahiers ni pâtés, mais des ordinateurs allumés sur des exercices pour adultes. Le niveau correspond au CE1.
Rachida circule d’un élève à l’autre, accorde des adjectifs, aide à cliquer avec la souris. « Rachida, quand je sors, je t’enverrai une médaille », rigole Chérif. Devant son écran, il est perdu dans un plan de Paris. Le jeu consiste à repérer des noms de rues. « J’avais le sens de l’orientation, mais je l’ai perdu ici, avec tous ces barreaux... » Chérif et son frère Saïd occupent la même cellule. Pour eux, les cours de français avec Rachida, « c’est comme une bouffée d’oxygène ».

A la bonne porte

Rachida ne réapprend pas seulement à lire aux détenus illettrés (20% de la population pénale), elle les aide à rédiger leur courrier, essentiel en prison. « Ici, tout passe par l’écrit », déplore-t-elle. « Pour aller à l’"école", voir le médecin... C’est un problème pour beaucoup de prisonniers. » Chérif et Saïd confirment : « On a dû travailler à 14 ans. Les ordinateurs et tout, ça nous dépasse. » Rachida elle-même ne s’est pas faite en un jour à la bureaucratie pénitentiaire. « Je lui ai donné quelques ficelles », reconnaît Patrick Zilliox, surveillant à la maison d’arrêt. « Ici, il faut savoir toquer à la bonne porte. »
Née à Casablanca, venue en France à huit ans sans parler un mot de français, Rachida avoue avoir « pas mal galéré ». Après un DEUG de droit inachevé et le rêve avorté de trouver du travail au Maroc, elle évolue entre chômage, intérim et stages de « redynamisation » à l’ANPE. « J’ai tout fait : dame de compagnie chez une vieille dame, ouvrière, femme de ménage... » Elle suit une formation de secrétaire-comptable, mais a peu d’entrain pour ce métier.

Pas par hasard

« On est toujours à la recherche de quelque chose », avoue-t-elle. Etudiante, elle a été marquée par une courte expérience d’éducatrice scolaire à la Meinau. Et puis, « on ne vient pas par hasard dans le milieu de la formation. » Enfant, elle était écrivain public pour les amis et voisins de ses parents : « J’ai commencé à remplir des feuilles d’impôts à l’âge de onze ans. »
Elle passe un diplôme de formatrice et devient en 1998 salariée d’Emergence, une association de formation et réinsertion. Depuis quatre ans, elle enseigne le français aux détenus de la maison d’arrêt, illettrés ou étrangers. « Je préfère dire en situation d’illettrisme, Je pars du principe qu’ils savent des choses. » Le milieu est dur pour une jeune femme, mais ses origines lui valent la confiance « des gitans, des étrangers et des Arabes. Pour certains, je viens de leur cité. »
Rachida rit quand ses élèves voient en elle un modèle de réussite. « Les travailleurs sociaux sont mal payés. Il faut être maso pour faire ce métier ». Tellement que Rachida est aussi trésorière bénévole d’une association humanitaire, « Les enfants de Marco Polo », qui a financé une école au Népal pour d’autres exclus notoires : les enfants d’intouchables.

Catherine Piettre pour Dna.fr

Bladi.net Google News Suivez bladi.net sur Google News

Bladi.net sur WhatsApp Suivez bladi.net sur WhatsApp

Sujets associés : Education - Femme marocaine - Prison

Ces articles devraient vous intéresser :

Maroc : les femmes divorcées réclament des droits

Au Maroc, les appels à la réforme du Code de la famille (Moudawana) continuent. Une association milite pour que la tutelle légale des enfants, qui actuellement revient de droit au père, soit également accordée aux femmes en cas de divorce.

« Épouse-moi sans dot » : un hashtag qui fait polémique au Maroc

Le hashtag « Épouse-moi sans dot » qui s’est rapidement répandu sur les réseaux sociaux ces derniers jours, a suscité une avalanche de réactions au Maroc. Alors que certains internautes adhèrent à l’idée, d’autres la réprouvent fortement.

Maroc : plus de droits pour les mères divorcées ?

Au Maroc, la mère divorcée, qui obtient généralement la garde de l’enfant, n’en a pas la tutelle qui revient de droit au père. Les défenseurs des droits des femmes appellent à une réforme du Code de la famille pour corriger ce qu’ils qualifient...

Écoles privées au Maroc : mauvaise nouvelle pour les parents

Mauvaise nouvelle pour des parents d’élèves au Maroc. Des écoles privées prévoient d’augmenter encore leurs frais de scolarité à la rentrée prochaine.

L’humoriste Taliss s’excuse après avoir insulté la femme marocaine

L’humoriste Taliss de son vrai nom Abdelali Lamhar s’est excusé pour la blague misogyne qu’il a faite lors d’une cérémonie organisée en hommage aux Lions de l’Atlas qui ont atteint le dernier carré de la coupe du monde Qatar 2022. Il assure n’avoir pas...

Maroc : des centres pour former les futurs mariés

Aawatif Hayar, la ministre de la Solidarité, de l’intégration sociale et de la famille, a annoncé vendredi le lancement, sur l’ensemble du territoire du royaume, de 120 centres « Jisr » dédiés à la formation des futurs mariés sur la gestion de la...

Youssra Zouaghi, Maroco-néerlandaise, raconte l’inceste dans un livre

Victime d’abus sexuels et de négligence émotionnelle pendant son enfance, Youssra Zouaghi, 31 ans, raconte son histoire dans son ouvrage titré « Freed from Silence ». Une manière pour elle d’encourager d’autres victimes à briser le silence.

Le Maroc confronté à la réalité des violences sexuelles

Les femmes marocaines continuent de subir en silence des violences sexuelles. Le sujet est presque tabou au Maroc, mais la parole se libère de plus en plus.

Vacances scolaires : alerte d’Autoroute du Maroc

La Société Nationale des Autoroutes du Maroc (ADM) a recommandé aux usagers de se renseigner sur l’état du trafic à l’occasion des vacances scolaires qui débutent ce week-end.

Maîtrise de l’anglais : le Maroc à la traîne

Alors que les Marocains délaissent de plus en plus le français pour l’anglais, le Maroc est encore à la traîne quant à la maitrise de langue de Shakespeare.