France : Le premier Marocain à l’opéra

5 août 2003 - 11h57 - France - Ecrit par :

Premier Marocain et Arabe à chanter à l’opéra, Rachid Benabdeslam est contre-ténor. Zoom sur une carrière atypique liée au hasard et à une personnalité pétrie d’humour et de volonté.

Le regard rieur et une personnalité excentrique, Rachid Benadeslam nous entraîne dans son univers musical. Un monde où il a baigné dès l’enfance et pour lequel il s’est battu avant de partager la scène internationale avec les grands. Aujourd’hui, Rachid est contre-ténor, ce qui signifie pour les profanes que sa voix se situe entre celle du ténor et celle de l’alto. Autrement dit, une voix masculine aiguë. En France, son nouveau pays d’accueil, ils sont seulement une dizaine de professionnels à avoir cette voix. Elle est surtout utilisée dans le répertoire des musiques baroque et andalouse. Loin d′être grisé par son succès dans les opéras et les festivals internationaux, l’artiste couve encore une multitude de projets. Ils sont souvent liés au Maroc, là où il a vu le jour le 3 juillet 1970 dans une famille d’artistes. Son père, le célèbre compositeur Mohamed Benabdeslam, sa sœur Ghita à la carrière de chanteuse internationale et sa tante Bahija Idrissi, première voix féminine marocaine, ont tôt fait d’influencer le dernier rejeton de cette famille de onze enfants.

Rachid a ouvert les yeux sur la danse, le chant et la musique. En guise de jeux, il accompagnait les chants de sa sœur aînée tout en mémorisant inconsciemment les modes de musique. L’ambiance était à la fête, à l’affection et à la complicité. Marrant, sensible et farceur, le petit Rachid était le chouchou de ses sœurs jusqu’à ce qu’elles décident de se marier. Là, l’adolescent se sent un peu abandonné et incompris par des parents bien plus âgés que lui et souvent absents pour assister aux tournées de leur fille, Ghita. Pour panser ses blessures et meubler sa solitude, le jeune rebelle se crée son propre univers dans sa petite chambre de Rabat. Le rêve et le chant y sont omniprésents. Pas question pourtant de songer à une carrière artistique. Après un baccalauréat en lettres modernes au lycée Hassan II et un DEUG en littératures comparées française et anglaise, Rachid se destinait plutôt à l’enseignement universitaire. Cela aurait été sans compter sur les signes du destin, que les âmes sensibles ne manquent pas de saisir.

Rachid se souviendra toujours de ce moment de grâce qui le mena vers la musique classique alors qu’il se promenait tranquillement dans les rues du centre ville de la capitale. De la cathédrale s’échappaient "des voix célestes" qui figèrent ses pas. Le jeune homme en est bouleversé. Attiré par tant de beauté, il poussa la porte du lieu de culte pour écouter religieusement la chorale qui s’y tenait. Commence alors pour lui une nouvelle vocation. Rachid intègre cette chorale où ses talents le démarquent très vite du reste des élèves. Son professeur Louis Pérodin encadre de son mieux ce jeune virtuose à qui il ne peut plus rien apprendre au bout de trois ans, au risque d’abîmer sa voix encore "verte". Entre temps, le chanteur en herbe, passionné par son art, a abandonné ses études au grand dam de ses parents. Bien loin de l’encourager, son père cherche à lui faire regagner les bancs de l’université censés lui garantir une vie moins précaire que celle d’artiste. Il cherche à lui éviter les galères d’argent, la course aux spectacles, l’absence de protection juridique et de couverture sociale et surtout le manque de reconnaissance de la part des dirigeants du pays. Aujourd’hui, ce grand compositeur n’a droit qu’à une retraite de la RTM de 3000 DH par mois et à quelques trophées rouillés, ce qui révolte son fils.

Malgré cela, Rachid ne s’est jamais laissé décourager. Il a fait le choix de se battre envers et contre tout pour un art faisant désormais partie de lui. Un combat loin d’être évident dans un pays où la formation musicale est souvent assimilée à un luxe dérisoire. Sans sa bonne étoile, Rachid aurait probablement dû renoncer à sa vocation. Le directeur du centre culturel Français de Rabat en a décidé autrement. Séduit par la voix de l’artiste, il lui promet une bourse du gouvernement français à condition qu’il puisse intégrer le Conservatoire national supérieur de musique de Paris. Pour réussir le concours d’entrée, Rachid s’attelle à la tâche. Il se lance sur les traces des célèbres compositeurs en apprenant à déchiffrer leurs partitions. Sa bonne humeur et sa spontanéité conquirent un jury composé de grands maîtres de musique. Ce candidat atypique retenu après maintes épreuves avait eu la chance de ne pas être conscient des habitudes rigoureuses et du prestige de ce concours existant depuis plus de deux siècles. Les postulants s’y préparent depuis leur enfance. Rachid est retenu parmi 10 candidats sur 300, sous réserve de redoubler ses efforts par rapport aux autres élèves du conservatoire afin de combler ses lacunes. C’est ce qu’il fit en mettant entre parenthèses pendant trois ans ses loisirs et son insouciance. Passé ce délai, le jeune virtuose obtient en 1996 le premier prix de chant à l’unanimité avec félicitations du jury et une récompense d’une année d’insertion professionnelle. De cette expérience, le chanteur garde de grands souvenirs, liés à une totale liberté de voyager, de choisir ses professeurs et de passer maints concours internationaux.

Par la même occasion il multiplie les formations et les diplômes, tels celui du chœur, diction lyrique anglaise, diction lyrique allemande, de piano, d’ensembles vocaux et autres. Commence alors pour lui le début d’une vraie carrière. Il est admis dans la troupe de l’opéra national de Lyon, avec des rôles comme Apollon dans l’opéra "Apollon et Hyacinthe" de Mozart. Il participe aux plus importantes manifestations mondiales de chants comme le festival d’art lyrique d’Aix-en-Provence, le festival des musiques baroques de Beaune, le théâtre des Champs Elysées, la tournée mondiale avec l’Académie européenne à New-York, Londres, Paris, Lausanne… Outres ces prestations il est finaliste de divers concours internationaux comme celui de Bilbao, de Vienne et de Murano. Rachid évoque avec humour le concours de Bilbao où les organisateurs eurent bien du mal à trouver un drapeau marocain pour récompenser le lauréat. Malgré toutes ces consécrations internationales, Rachid s’interroge sur le rôle de la musique dans son pays d’origine. Participer un jour à la création d’une scène lyrique est sa principale ambition, afin de permettre au Maroc d’être propulsé à la pointe artistique et musicale mondiale. Conscient de sa chance, il aimerait que son cas ne soit plus le fruit du hasard, mais celui d′une volonté politique de créer une catégorie de chanteurs à la renommée internationale.

Pour cela, Rachid multiplie les projets. Il rêve d’un opéra en langue arabe avec des instruments de musique arabes et autres, qui saurait toucher des millions d’autres personnes jusqu’à présent totalement ignorantes de cet art réservé à l’Occident. Le jeune homme ambitionne aussi de créer avec d’autres artistes une association susceptible de participer au débat culturel du royaume. Il compte également fonder un ensemble musical où chaque musicien "assumerait sa responsabilité de musicien dans un répertoire arabo-andalou et persan choisi". En attendant la réalisation de tous ces projets Rachid ne chôme pas. Depuis trois ans, il a entamé des recherches sur le patrimoine musical classique des Arabes en se penchant plus particulièrement sur la période du XIème siècle où se trouvait déjà un subtil mélange entre musique occidentale et arabe dans la cour des souverains abbassides. Ce mélomane à l’énergie débordante est aussi compositeur. Il aime le mélange des genres, tout en s’inspirant surtout d’un répertoire exclusivement occidental. Outre sa passion pour la musique, Rachid a bien d’autres penchants comme le cinéma, la poésie arabe, la natation et la gastronomie. Il avoue que pour déguster un tagine de "khlii", il serait presque prêt à interrompre l’un de ses concerts.

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