Le Maroc face au défi de l’immigration subsaharienne

12 janvier 2009 - 11h14 - Maroc - Ecrit par : • Journaliste Free lance, • Doctorant en Sciences Economiques, • Président du Forum de la Jeunesse Rurale FOJER

Les mouvements de population concernent aujourd’hui toutes les régions du monde entier. Selon l’organisation internationale de migration (OIM) environ 192 millions de personnes se trouvent hors de leur pays de naissance, soit à peine 3% de la population mondiale, pour un peu plus de 2% il y a quarante ans. Les femmes représentent la moitié des migrants soit 49,6%.

Cette population migrante est inégalement répartie dans le monde : selon L’OIM, en 2005 environ 62 millions sont allés du sud vers le nord, 61 millions du sud vers le sud, 53 millions du Nord vers le Nord et 14 millions de Nord vers le sud. Ainsi seuls 54% des migrants vivants dans les pays du Nord sont originaires du Sud. Quant aux réfugiés ils sont 16 millions en 2007.

Aujourd’hui, plusieurs facteurs mettent le phénomène migratoire essentiellement Nord-Sud au cœur des préoccupations mondiales. L’existence de véritables réseaux clandestins d’immigration, qui concernent aussi bien les hommes, les femmes que les mineurs soumis à des traitements intolérables, montrent l’importance de ce phénomène. La lutte contre la migration illégale et le trafic des êtres humains nécessite un combat efficace dans le cadre d’un partenariat viable et solidaire tout en respectant les droits fondamentaux.

La gestion des flux migratoires exige également une réponse cohérente abordant, dans une perspective globale et équilibrée, les différents aspects et les diverses phases de processus migratoire dans le cadre d’une démarche impliquant les pays d’origine, de transit et de destination.

Au Maroc, ce sujet est primordial, d’abord en raison de l’importance du pays et de sa place en tant qu’acteur incontournable dans la gestion du dossier de l’immigration aussi bien, sur le plan régional qu’international. Plusieurs experts européens et africains reconnaissent l’expérience marocaine en la matière.

Dans ce même ordre d’idées, les bons résultats réalisés ces dernières années prouvent que notre pays est devenu un modèle en matière de gestion des flux migratoires et qu’à bien des égards, son expérience peut servir d’exemple, et la tenue de la première conférence euro africaine sur la migration à Rabat est une reconnaissance en quelque sorte des efforts fournis par le Maroc et de ses positions dans ce domaine.

Au niveau législatif, le Royaume du Maroc a adopté une nouvelle loi sur la migration, entrée en vigueur en novembre 2003. Parallèlement à cette réforme juridique le royaume a engagé une réforme institutionnelle par la création en 2004 de la Direction de la migration et de la surveillance des frontières. Ces mesures entreprises par l’Etat marocain expliquent fondamentalement la volonté des responsables marocains de faire face aux changements structurels que connaît le phénomène migratoire.

Au cours de la dernière décennie, Le Maroc est devenu à la fois un pays d’émigration et d’immigration. Des flux de migrants en provenance de l’Afrique subsaharienne transitent par le Maroc dans l’espoir de rejoindre l’Europe. La migration subsaharienne a pris au Maroc des dimensions importantes, elle est devenue visible dans différentes villes du royaume aussi bien du Sud que du Nord.

L’examen de la migration subsaharienne dans sa dimension socio-économique renvoie à quatre interrogations principales : Pourquoi les migrants subsahariens quittent leurs pays ? Comment voyagent-ils ? Quels sont leurs aspirations ? Le Maroc seul pourra-t-il faire face à cette migration illégale ?

Le nombre des migrants subsahariens au Maroc est souvent difficile à déterminer puisque la majorité d’entre eux vivent dans la clandestinité. Selon des estimations établies par l’AFVIC et l’Association médecins sans frontières, le nombre de migrants subsahariens dans les principales villes du Maroc est de 3000 à Rabat, 2000 à Casablanca, 600 à Oujda, 600 à Laâyoune et 300 à Tanger. Ils ont emprunté des routes, souvent plus longues, plus couteuses et plus dangereuses. Des dizaines d’entre eux ont été blessés ou abandonnés, sans eau ni vivre, dans le grand Sahara.

Après un itinéraire migratoire caractérisé par une grande précarité et une complexification des moyens, ces migrants subsahariens se retrouvent piégés en situation de transit au Maroc. Les motifs de leur migration sont nombreux et non réductibles au seul facteur d’ordre économique, quelle que soit son importance, puisque souvent ce sont les riches qui partent les premiers.

Cependant un grand nombre d’entre eux fuient leurs pays d’origine pour des raisons liées à la pauvreté au chômage, à la précarité etc. D’autres facteurs non économique facilitent la mobilité des subsahariens à savoir : le volume croissant des échanges, la rapidité et le bas prix des transports et la facilité accrue des communications. Tous ces éléments les encouragent davantage à émigrer au-delà de leurs frontières nationales.

La mondialisation, un plus large accès à l’information et à l’internet ont sans doute rendu les jeunes subsahariens plus conscients des possibilités qui font défaut dans leur pays. La télévision et les récits des migrants les incitent aussi à rêver d’ailleurs.

Ces migrants partent non seulement pour eux même, mais aussi pour leurs familles ou leurs communautés. Ils leurs envoient des fonds pour améliorer leurs conditions de vie. Par exemple, d’après une étude de la Banque Mondiale, l’argent envoyé par les maliens de France a contribué à la construction de 60% des infrastructures de ce pays.

Les résultats d’une enquête (1000 subsahariens enquêtés) réalisée au Maroc récemment par Le Comité International pour le Développement des Peuples (CISP) sur les migrants subsahariens en transit au Maroc durant la période mars-avril 2007 indiquent que les Nigériens sont les plus nombreux (15,7%) suivis en seconde position par les Maliens (13,1%). Viennent ensuite les Sénégalais (12,8%), les Congolais (10,4%), les Ivoiriens (9,2%), les Guinéens (7,3%) et les Camerounais (7%). Puis, et en nombre plus restreint, les Gambiens (4,6%), les Ghanéens (4,5%), les Libériens (3,8%) et les Sierra léonais (3,1%).

L’enquête a également permis de relever le statut juridique de ces migrants dont 76% vivent au Maroc « sans papiers », 21,5% sont demandeurs d’asile et seul un faible pourcentage de 2% affirme avoir obtenu le statut de réfugié.

Les données de l’enquête sur les itinéraires empruntés par ces migrants subsahariens indiquent que 68,8% arrivent par voie terrestre et 13,2% par voie aérienne. Le principal point d’accès par la voie terrestre est la frontière avec l’Algérie (environ 73,5%).

D’après les résultats de l’enquête, seuls 10,6% des enquêtés veulent retourner chez eux. Une infime minorité (2,3%) déclare vouloir rester au Maroc. Alors que 72,6% entendent réaliser leur projet migratoire. Il s’agit pour eux d’un projet de vie… jusqu’à la mort.

Devant cette nouvelle physionomie de la migration subsaharienne, le Maroc à lui seul ne peut pas gérer ces flux illégaux. Il est très important que tous les pays, qu’ils soient d’origine, de transit ou de destination, coopèrent et essayent de trouver des solutions innovantes à ces questions dans le cadre d’une coopération internationale.

De ce fait, Notre pays est appelé à inscrire la question des subsahariens dans un cadre stratégique qui repose sur cinq composantes : les réformes législatives et institutionnelles, la sécurité, la coopération internationale (Sud-Sud et Nord-Sud), la sensibilisation et la communication et enfin le développement et le co-développement.

Au niveau sécuritaire, notre Pays doit adopter un plan d’action sécuritaire qui cible non pas le migrant mais surtout les réseaux qui exercent des activités illicites très lucratives et qui profitent de la vulnérabilité, de la précarité et de la pauvreté des gens.

Au niveau de la coopération Sud-Sud, Notre pays est appelé à coopérer avec tous les pays, qu’ils soient d’origine ou de transit. Il est urgent de monter avec ces pays un modèle de coopération très efficace à travers des retours volontaires. Le Maroc doit également approfondir son dialogue politique et opérationnel avec l’Union européenne en matière de migration et de développement et instaurer une coopération basée sur l’encouragement de flux légaux comme réponses aux flux illégaux.

Une autre façon d’aborder le problème d’immigration subsaharienne est de considérer que les solutions ne peuvent se limiter au renforcement des contrôles aux frontières, à la surveillance policière et à l’édification des murs tant que des hommes et des femmes dénués de tout seront prêts à risquer leur vie pour tenter de se construire un autre avenir en Europe

Dans cette optique, la coopération Nord-Nord passe par une aide aux pays d’origine à se développer et l’instauration d’une stratégie internationale de coopération au développement qui aura pour objet le développement économique et social durable des pays en développement et plus particulièrement les plus défavorisés d’entre eux.

Cette « stratégie » s’articulera autour d’un certain nombre d’axes pour assurer le développement durable, telles que le maintien de la paix et la sécurité et l’application des principes d’une bonne gouvernance. L’accent sera mis également sur la construction de grandes infrastructures dans le domaine des transports, de l’eau, de l’énergie, des télécommunications et de l’éducation, sans oublier le rôle que pourra jouer la mise en place de programmes d’échanges de jeunes entre les pays africains et européens.

L’aide européenne à l’Afrique et les investissements direct étrangers (IDE) sont également important du fait qu’ils vont contribuer au maintien de la croissance économique et la réduction de la pauvreté, donc une augmentation de cette aide de 17 milliards d’euros par an à environ 25 milliards d’euros d’ici 2010, afin d’atteindre 0,56% du revenu national brut (RNB) d’ici 2010, et 0,7% d’ici 2015, est devenu une nécessité impérieuse.

Outre les mesures entreprises par les Etats, la société civile marocaine constitue un acteur d’une importance cruciale notamment en matière de sensibilisation, de communication et d’assistance humanitaire en faveur des migrants subsahariens qui se trouvent sur le territoire marocain.

Au Maroc, les débats sur les migrations subsahariennes sont désormais à l’ordre du jour. Face aux défis de cette question les pays concernés doivent trouver une réponse coordonnée aux exigences des économies et des dynamiques démographiques africaines et européenne.

Rachid Beddaoui

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Sujets associés : Immigration clandestine - Pauvreté - Développement

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