« Chichamania » ou l’envie d’être différent ?

8 mai 2007 - 12h55 - Maroc - Ecrit par : L.A

La « chicha » est devenue une sublime tendance, elle cultive une apparence de convivialité et cache un danger subordonné De nos jours, plus personne ne l’ignore. Ce tabagisme appelé « chicha » a séduit un très grand nombre de Marocains, tous âges et sexes confondus. Une séduction qui a existé depuis le 18ème siècle, ces vers de Lamartine en témoignent :

« Quand ta main approchant de tes lèvres mi-closes, du tuyau de jasmin vêtu d’or effilé, ta bouche en aspirant le doux parfum des roses, fait murmurer l’eau tiède au fond du narguilé ».

Au Maroc, cette tendance ravageuse a fait couler beaucoup d’encre, les médias ont relaté ses dangers insoupçonnés, son rituel et sa polémique d’interdiction.

Sur Casablanca notamment, c’est officiellement interdit mais ce n’est pas pour autant que ce phénomène a disparu. Mais que cache ce monde d’extasie ? Qu’abritent ces moments d’évasion ? Confessions d’un serveur de narguilé. Serveur dans un célèbre salon situé sur le Boulevard d’Anfa, Ahmed - nous préférons l’appeler ainsi puisqu’il préfère garder son anonymat- nous révèle quelques détails.

17h00 : Entre les maintes allées et retours pour servir des boissons, Ahmed commence à servir ses habituels clients de « chicha ». « Ce n’est qu’au début de soirée et en fin d’après-midi qu’arrivent les premiers adeptes, c’est la fin de leur vacation. Le nombre est plus élevé les vendredi et samedi soir ». Au Maroc, la chicha est souvent appelée « maâsala », « Le patron achète un stock de tabamel ou tabac à narguilé, il se vend à18 DH, c’est un mélange de glycérine, de tabac et de différents aromes, pomme, fraise, poire, menthe, pour maintenir son effet, on ne rajoute que du charbon », explique Ahmed.

En effet, la chicha est une pipe à eau qui permet de fumer une préparation à base de tabac nature ou aromatisé aux fruits. La fumée est aspirée par un tuyau flexible et traverse un vase rempli d’eau pour faire refroidir la fumée. A ce propos, Ahmed nous en donne un petit cours de lexicologie : la douille, « douiya » c’est la partie supérieure de la chicha, l’endroit où l’on met le papier d’aluminium et le tabac, parfois elle est en terre cuite « ettine », parfois en métal.

Ensuite, il y a la cheminée, c’est le lien entre le vase et la douille et c’est par là où passe la fumée, souvent en bois ou en métal. Le tuyau, quant à lui, est le moyen pour tirer et avoir de la fumée, il se fixe sur la cheminée. Un peu plus en bas, vous trouverez le vase, et c’est là où l’on met l’eau pour que la fumée se « stocke ». Quant au cendrier, c’est la partie purement esthétique de la chicha.

Dans certains cafés narguilé casablancais, ce jargon est devenu très maîtrisé par les consommateurs et les serveurs.

« Tout ça je l’ai appris en servant, ce n’est pas sorcier ! A force de forger on devient forgeron non ? », affirme Ahmed.

Concernant la durée de vie d’une chicha, elle est étroitement liée avec le nombre des consommateurs, « lorsqu’une seule personne la commande, cela peut aller de 30 à 45 minutes, mais généralement c’est tout un groupe de personnes qui se font passer la même « chicha », dans ce cas elle ne dure que 15 minutes ».

A Casablanca, toute personne peut accéder à l’un des nombreux lieux clos dans lesquels la chicha est consommée. Sa disponibilité et son prix en sont facteurs. En effet, les prix varient d’un quartier à un autre, par exemple dans les quartiers populaires, « Sbata, Hay Mohammadi, Derb Soltane », la marge des prix varie entre 20 et 30 DH. Et c’est là qu’on entend la fameuse réplique « Wahed maâsala » on se croirait bel et bien dans l’un des célèbres cafés égyptiens.

Par ailleurs, dans les quartiers chics comme « Mâarif, centre-ville », c’est entre 40 et 60 DH.

Par contre, dans les quartiers huppés de la ville et dans les boites de nuit, les prix marquent un véritable écart, ils commencent à 90 DH et atteignent les 150 DH, si ce n’est pas plus. Le narguilé est populaire aussi bien auprès des hommes que des femmes, tant parmi les jeunes que chez les personnes les plus âgées.
Ahmed ajoute que « nos clients disent que c’est un moment d’évasion, et source de détente et plaisir qui favorise le relâchement ». A première vue, le narguilé se fume posément, le temps semble suspendu et on se livre à un véritable « envol ».

La pratique peut-être solitaire, accompagnée de musique et d’un livre ou encore dans une méditation rêveuse chez les sublimes. Mais dans la plupart des cas, et surtout chez les jeunes, elle se fume en collectivité, ses adeptes possèdent généralement un seul « tuyau » qui passe d’un fumeur à l’autre. La « chicha » en tant que phénomène social, peut constituer un véritable indicateur pour comprendre l’évolution de la société.

L’ignorer, et donc faire l’impasse sur l’activité quotidienne de dizaines de milliers de personnes qui rêvassent durant des heures. Faut-il peut être se rendre compte de l’existence de ce « passe-temps idiot », jadis réservé aux oisifs ? Faut-il faire face à la persévérance des cafés narguilés à l’approche du troisième millénaire ?

Les effets sur la santé

Malgré les idées reçues, la chicha a des conséquences néfastes sur la santé, en effet le charbon dégage du monoxyde de carbone qui est très toxique car il se fixe sur les cellules des poumons et empêche l’absorption d’oxygène. De plus, fumer le narguilé est la première méthode qui rejette le plus de CO2 dans l’air ambiant.

Au Maroc, souvent les cafés à chicha sont des lieux clos, cependant l’intoxication des fumeurs est plus renforcée. Ainsi, même sans fumer le narguilé, les personnes qui inhalent ce substitut subissent un tabagisme passif très intense.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) dénonce la croyance selon laquelle la chicha serait relativement inoffensive. Il s’est avéré que l’eau retienne une partie de la nicotine, les fumeurs sont incités à inhaler plus profondément. Cela les expose à des quantités plus importantes de carcinogènes et de monoxyde de carbone.

Le Matin - Rajaa Kantaoui

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