Double nationalité, chance double ?

20 décembre 2005 - 19h27 - Maroc - Ecrit par :

Préparer un meilleur avenir aux enfants, trafiquer dans la tranquillité, échapper aux lois marocaines. Les raisons de la double nationalité sont nombreuses. Certains en profitent pour fructifier leurs affaires occultes.

J’avoue que quand je montre mon passeport français, l’accueil est différent, ça passe mieux disons. Mais si j’avais commis un délit, je ne pense pas que ma nationalité française m’aurait servi à quelque chose ». Voilà ce que pense un Marocain résidant en France. C’est tout à fait vrai d’ailleurs. Plusieurs Marocains ayant la double nationalité exhibent plus volontiers leurs documents étrangers que leurs pièces d’identité marocaines chaque fois qu’on le leur demande. Pourquoi ? « Les autorités marocaines ne traitent pas les Marocains d’une façon égale. Si tu as la double nationalité tu as beaucoup d’avantages, surtout en justice », explique un autre Franco-Marocain. « On t’appelle monsieur et on te dit bonjour, merci, c’est déjà beaucoup ! », lui rétorque un troisième.

La nationalité est un enjeu certes, mais il dépasse souvent ces questions de tous les jours. Plusieurs personnes pensent qu’en acquérant la double nationalité, cela leur permettrait de bénéficier d’une certaine immunité sur le sol marocain. Ce qui n’est pas tout à fait vrai.

En 1995, la campagne anti-drogue menée par l’Unité de coordination de la lutte antidrogue (UCLAD), sous l’autorité du ministère de l’Intérieur, a débouché sur l’arrestation, le 19 décembre de la même année, d’Abdelaziz El Yakhloufi, à Tétouan. Or ce même El Yakhloufi possède la double nationalité marocaine et espagnole. On a découvert alors qu’il était un des plus grands caïds du nord du pays. Son business englobait toute une filière, allant du transport au stockage de la drogue dans sa réserve de chasse de la région de Tétouan, et l’envoi en Espagne par voie maritime. Il disposait de comptes bancaires un peu partout, au Maroc, à Gibraltar, en Espagne et même au Canada, et possédait également plusieurs sociétés dans ces pays ainsi que des biens immobiliers.

Avec sa double nationalité, ce trafiquant pouvait espérer échapper à la justice marocaine puisqu’il lui suffisait de faire quelques kilomètres pour se retrouver « chez lui » à Sebta. Finalement, il a été appréhendé et a écopé de 10 ans de prison, double nationalité ou pas.

Un passeport pour la grande délinquance

La question des trafiquants est d’ailleurs un des thèmes majeurs des relations entre l’Espagne et le Maroc. Mohammed VI avait d’ailleurs déclaré lors d’une interview accordée au journal français Le Figaro : « Ce que nous n’acceptons pas, c’est que Madrid dise que toutes les difficultés de l’Espagne viennent du Maroc. Qu’il y ait des mafias au Maroc qui vivent de l’émigration clandestine et du trafic de drogues, c’est vrai. Mais en Espagne il y a aussi des mafias et elles sont plus riches qu’au Maroc (...). Quant aux trafiquants de drogue marocains ils ont des passeports espagnols et des comptes bancaires en Espagne. Ce n’est pas nous qui leur avons accordé une double nationalité. Disons que la responsabilité est partagée, mais du côté du Maroc c’est beaucoup par manque de moyens ».

La double nationalité n’est pas à mettre en cause en elle-même. C’est surtout son exploitation à des fins peu avouables qui est en question. Cela rappelle un peu la situation du Maroc peu avant et durant le protectorat, quand les riches marchands marocains se mettaient sous la protection de la France dans leur propre pays. Situation bizarre qui enlève tout son sens à la citoyenneté. Il semble que la même mentalité sévit aujourd’hui. Avoir la double nationalité est vu comme une sorte de moyen magique pour échapper à « l’intérieur ». C’est pourquoi, les nationaux ne résistent pas trop lorsque quelqu’un les invite à changer de sol.

Les Marocains, pourvu qu’ils aient les moyens financiers et aussi la volonté, peuvent s’établir dans d’autres pays où ils auront toutes les facilités pour obtenir la nationalité. Le Canada est un pays qui ne cache pas ses projets tendant à recruter des Marocains riches afin qu’ils y investissent leurs fortunes. Tout le monde ne peut évidemment pas être candidat, puisqu’il faudrait disposer d’une somme assez conséquente pour cela : 5 millions de dirhams en devises. Rien de moins. Le Canada avait instauré, en 1986, un système judicieux pour attirer les étrangers à travers le programme d’immigration des investisseurs. Le problème n’est pas qu’un tel programme existe. C’est le fait qu’il y ait des Marocains prêts à tenter l’aventure. La raison peut être trouvée dans la situation propre au Maroc. Tout le monde n’en pense pas la même chose et certains préfèrent s’installer ailleurs. Au moment où plusieurs MRE préfèrent revenir définitivement au pays et y investir leurs économies, des citoyens ne pensent qu’à quitter pour un avenir meilleur. Une autre nationalité est toujours la bienvenue. Mais on ne parle pas de nationalité malienne ou égyptienne. On recherche surtout les nationalités européennes, canadienne et américaine. Et on fait l’impossible pour les obtenir.
Les mariages mixtes sont devenus une méthode largement utilisée et les Marocaines, quand approche le mois de l’accouchement, font le voyage pour donner naissance à leur bébé en terre américaine ou européenne. Ce n’est pas tout. On a l’impression que ce phénomène est limité à des citoyens vivant dans des conditions difficiles. Ce n’est plus le cas, puisqu’on compte de plus en plus les doubles nationalités parmi les classes les plus aisées.

Hakim Arif - La Vérité ( article paru en juin 2005)

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