Entretien avec la presse régionale française

28 décembre 2008 - 23h55 - 1996 - Ecrit par : L.A

Le Roi Hassan II a accordé un entretien à un groupe de journalistes de la presse régionale française. C’est la première fois que le Roi reçoit des représentants de la presse régionale française. Les organes régionaux, représentés au sein de ce groupe, totalisent un tirage de quelque six millions d’exemplaires.

Je suis très heureux de recevoir la presse régionale française. Je pense que je n’ai pas besoin de vous souhaiter la bienvenue car, depuis longtemps, les Français qu’ils soient journalistes ou non se sentent chez eux ici chez nous. Je souhaite tout simple ment que votre voyage et vos recherches puissent vous procurer une meilleure connaissance du Maroc, plus profonde, plus analytique.

La presse parisienne est une chose importante, mais la France profonde reste informée par la presse régionale. Depuis la décentralisation, depuis la régionalisation en France, de grands pôles d’attraction, universitaires, industriels ou socio-économiques, ont vu le jour et suscitent notre curiosité et notre intérêt. C’est vous dire que notre rencontre n’est pas seulement une rencontre de courtoisie mais qu’elle est doublement intéressée et que nous serions très heureux que vous puissiez à travers ce que vous avez recueilli, à travers les questions que vous pourriez me poser, répercuter le Maroc de 1996 dans vos journaux, dans votre presse et de ce fait, dans l’opinion publique que vous éclairez. A partir de maintenant, Je suis à vous si vous voulez.

Intervention de Hubert Coudurier

Majesté, nous sommes profondément honorés que Vous ayez voulu nous recevoir dans Votre Palais au terme de cette visite riche d’enseignements. C’est une heureuse surprise. Forte de sa diversité et de ses six millions de lecteurs, la presse régionale est un média de proximité qui n’en est pas moins à l’écoute du village global dont parlait Marshall Mac Luhan.

Toutefois, l’image n’a pas remplacé l’imprimerie. Elles coexistent comme c’est le cas dans cette délégation. Alors, nous sommes bien conscients que le Maroc est à un tournant de son histoire alors que le processus démocratique à dose adaptée, comme Vous l’avez dit un jour, arrive à maturité. Nous aimerions donc Vous interroger sur la réforme constitutionnelle en cours, sur les perspectives économiques du Royaume, l’intégration européenne, bien entendu les relations franco - marocaines , ou encore la paix au Proche-Orient. Alors pour la première question, je passe la parole à mon confrère Paul Nahon.

Majesté bonjour, permettez-moi de faire un petit retour en arrière. Il y a trente-cinq ans, Vous engagiez le Maroc sur la voie de la démocratie en adoptant une Constitution, et Vous amarriez votre pays à l’Europe et à l’Occident. Alors, j’aimerais savoir qu’est-ce qui à l’époque, Vous a permis de faire ces choix ? Quels étaient les éléments en Votre possession pour faire ce choix, alors que d’autres pays autour de Vous faisaient des choix stratégiques radicalement différents ?

Tout simplement, d’abord une connaissance, Je ne dirai pas scientifique mais instinctive, viscérale et génétique de mon pays et de mes concitoyens. J’ai tout de suite compris qu’il n’était pas question de mettre les Marocains en bleu de chauffe et de les embrigader dans le parti unique et dans l’économie planifiée. Du reste c’eut été un paradoxe, car Dieu a doté ce pays sur le plan naturel, d’une telle diversité de richesse qu’elle soit agricole, minière, hydraulique, touristique et autres, qu’il était difficile de faire de la monoculture économique. Je vous ai dit donc, que ce n’était pas une analyse, je n’avais pas assez passé de temps sur le Trône du Maroc, c’était plutôt la réaction génétique de quelqu’un qui connaissait parfaitement ses concitoyens, et qui voulait pour eux, la liberté de penser, de se réunir, de s’exprimer et, comme nous venons de le confirmer dans la Constitution la liberté d’entreprendre. Telles étaient les raisons.

Ce que Vous venez d’expliquer, nous en avons vu l’évolution année après année, et la réforme institutionnelle qui vient d’être adoptée par le pays, en est la meilleure illustration. Je voudrais bien savoir, si cette réforme institutionnelle, de Votre point de vue, est un achèvement définitif, ou est-ce encore une étape de quelque chose en devenir ? Est-ce que la Monarchie de cette fin de vingtième siècle sera les grands traits de la Monarchie au 21ème siècle ?

Vous savez, il n’y a pas de stade dans les institutions qu’elles soient monarchistes ou républicaines. Ce n’est pas un costume que l’on change pour le début du siècle, la moitié du siècle et la fin du siècle. C’est une adaptation constante entre ce qui doit être fait et ce qui se fait. La Monarchie chez nous est une Monarchie tout à fait particulière. On a l’impression qu’elle se mêle de tout, du plus petit détail jusqu’à l’essentiel. C’est peut-être vrai, mais, quel est ce pays au monde dirigé par un Roi ou une Reine ou, par lettre, l’on sollicite du Roi de vouloir bien choisir un nom pour le fils ou la fille qui vient de naître dans un foyer ? Quel est ce pays ou ce système où on demande au Souverain de bénir la circoncision de l’aîné ? Ce sont là les traits particuliers de la Monarchie marocaine. C’est la vie d’une grande famille, très unie mais qui, comme dans toutes les familles, peut connaître des problèmes internes qui, aux yeux des autres, pourraient avoir des conséquences profondes et irréversibles. Mais c’est entièrement faux. Ce sont toujours, au maximum, des querelles de famille, des malentendus, mais la colonne vertébrale demeure, le lien d’amour demeure. Ce que je souhaite, c’est que ceux qui me succéderont puissent trouver en eux-mêmes de l’amour, encore de l’amour et toujours plus d’amour pour chacun des Marocains, qu’ils le connaissent ou qu’ils ne le connaissent pas, qu’il appartienne à tel le tendance ou à tel parti. Nous sommes tous les fils d’une même terre, nous buvons la même eau, nous respirons le même air et prions le même Dieu et dans la même langue. Nous devons toujours et jusqu’à la fin du monde, travailler ensemble pour la grandeur de ce pays. Voilà l’éthique de notre Monarchie.

Le fait marquant des dernières semaines, c’est que l’opposition ait approuvé le référendum constitutionnel et qu’elle semble prête à gouverner si du moins les élections lui donnent la majorité. A Votre avis, est-ce que l’opposition est prête à gouverner, car ce la fait longtemps qu’elle n’a eu d’expérience gouverne mentale, et a-t-elle un projet alternatif ? Peut-il y avoir un projet alternatif ?

Je pense que tout Marocain, conscient, comme je l’ai dit tout à l’heure de sa marocanité et de son patriotisme, confronté à la responsabilité de gouverner, est capable de mener ce pays à bon port. Il n’y a pas plusieurs issues pour un patriote, il n’y en a qu’une : travailler pour le bien général, oublier la partisanerie, s’élever au dessus des vagues pour pouvoir scruter l’horizon, planifier dans le cadre national, régional, continental et international. Je ne pense pas qu’une partie de la population de ce pays puisse prétendre pouvoir gouverner et l’autre, avoir la crainte de gouverner. Tous sont capables de le faire.

Majesté, dans quelques semaines au terme des élections législatives, il peut arriver que l’actuelle opposition devienne la majorité. Vous rentreriez alors, dans un processus que l’on a appelé en France la cohabitation. Est-ce que Vous pourriez expliquer pour les Français, quelle est la différence entre notre cohabitation et ce qui peut se passer demain au Maroc ?

Il ne faut pas faire de superposition parce qu’il n’y a pas d’homothétie. D’abord, parce que Je n’ai pas de parti politique. Je ne peux donc pas dire que J’ai été amené là où Je suis par un mouvement politique ou par un courant d’idées. Je ne suis donc l’homme lige de personne ni l’adversaire de personne. Bien au contraire, Je suis celui-là même qui doit, la main dans la main avec l’équipe au gouvernement, faire ce qu’il faut pour le bien de ce pays. Il faut bien se dire que nous ne sommes pas dans un jeu de fête foraine. Nous ne sommes pas en train de tirer à la carabine sur des pipes ou sur des objets qui tournent. Nous sommes là en train d’édifier notre pays solidement, rudement et sérieusement. Il ne saurait donc y avoir de superposition. Moi, Je ne fais partie d’aucun parti politique, Je n’ai pas fait de campagne électorale, Je n’ai pas battu la campagne et les villes pour qu’on m’élise, Je m’appuie sur la société marocaine, sur le peuple marocain et c’est tout. Il ne peut y avoir chez nous de cohabitation, nous sommes tous en état de cohabitation étant des concitoyens.

Majesté, puis-je préciser un peu cette question ? Vous êtes le Souverain du peuple marocain. Il y a aussi une certaine souveraineté populaire. Si vous vous trouvez en face d’une majorité qui a des options qui ne sont pas exactement les Vôtres, que se passe-t-il ?

C’est une bonne question d’école. D’abord, Je ne pense pas que les problèmes qui se posent au Maroc puissent avoir plusieurs clés pour leur solution. Les problèmes idéologiques sont des problèmes désuets pour l’instant, et Je pense qu’ils le sont pour toujours. Reste maintenant les méthodes employés. La Constitution est très claire. Elle dit que si le Parlement vote une loi et qu’elle ne plaît pas au Souverain, il demande une seconde lecture. Si la deuxième lecture ne change rien à la loi et s’il y a vraiment, Je ne dis pas conflit - il ne saurait y avoir de conflit - si nous arrivons à une impasse, alors le Roi soumet à référendum la loi sur laquelle il n’est pas d’accord. Si l’arbitrage populaire donne raison au Parlement, le Roi s’incline, car le référendum s’impose à tous. Si l’arbitrage populaire donne raison au Souverain, il a la possibilité et le droit - mais Je ne pense pas qu’il le ferait systématiquement - de renvoyer cette Chambre devant ses électeurs pour se remettre à jour. Donc en fait et en droit, toutes les hypothèses ont été examinées. Nous ne seront jamais pris de court.

Majesté, une petite question politique également. Personne ne sait le résultat qui va sortir des urnes si les élections ont lieu dans 36 mois ou au mois de juin comme on le laisse entendre aujourd’hui dans la presse. A votre avis, quelle part d’expression faut-il concéder aux partis islamistes ou en tout cas à leurs représentations ? Est-ce qu’il y a une spécificité marocaine dans le traitement de ce problème qui se pose à tout le Maghreb ?

D’abord chez nous, sur le plan formel, il n’y a pas de parti islamiste. Aucun parti jusqu’à présent n’a déposé une requête pour se constituer sous cette appellation, ni n’a été autorisé à la faire. Nous sommes tous des Musulmans, le préambule de la Constitution dit que l’islam est la religion de l’Etat marocain. De ce fait, le législateur ne peut être qu’en conformité avec les préceptes et les lois de l’Islam. Je ne vois pas très bien ce qu’un parti islamique pourrait apporter de nouveau dans notre législation. Naturellement, notre législation tient compte d’abord du fait que nous sommes musulmans. Donc, nous légiférons pour le général et non pas pour le particulier. Prenons le cas - un cas très facile qui existe pour nous - le cas des casinos par exemple, puisqu’il faut parler de choses concrètes : Le jeu, comme vous le savez, est interdit par la religion musulmane. Eh bien, notre loi parce qu’il faut tenir compte des touristes, il faut tenir compte de l’environnement, notre loi fait obligation à tout directeur ou responsable de casino, de demander à chaque joueur à son entrée dans l’établissement, sa carte d’identité. S’il se trouve qu’il est musulman, il doit être systématiquement refoulé. S’il est accepté dans l’établissement de jeux et s’il s’avère que les autorités le sachent, l’établissement doit être fermé. Donc, nous sommes obligés de légiférer pour le général mais nous laissons des fenêtres pour le particulier. Ceci fait partie de l’éthique de notre religion. Le Prophète - sur Lui Salut et la Paix - lorsqu’il s’est installé à Médine, n’a pas demandé à la communauté juive de quitter la ville. Pas du tout, au contraire, ils ont cohabité en tant que fils d’Abraham et il légiférait pour les Musulmans qui étaient à Médine tout en respectant ses concitoyens de ville qui étaient à Médine et qui étaient de religion juive. Lorsque le Khalif Omar est allé faire sa prière à Jérusalem, il n’y avait pas de mosquée. Ses compagnons lui ont demandé d’aller faire la prière - puisqu’il n’y avait pas de Lieu saint - dans l’église ce qui est pour nous une faculté, une obligation quand il n’y a pas d’autre Lieu saint : L’église ou la synagogue. Il a refusé d’y aller. Pourquoi ? Il a dit à Ses compagnons : je fais la prière du vendredi dans l’église, on pourra s’en prévaloir pour un jour, la prendre aux chrétiens et en faire une mosquée. Donc, toujours cette règle de la généralité pour les Musulmans et de l’exception pour celui qui n’est pas musulman et qui est d’une religion du livre.

Majesté, au cours des entretiens que nous avons eus, nous avons entendu de la part du personnel politique, en tout cas de certains d’entre eux, des critiques assez vives formulées contre ce qu’on appelle les technocrates. Ce qui nous fait penser, pour nous, Français, un peu aux critiques exprimées contre la pensée unique. Je voulais savoir si dans Votre opinion, ces critiques étaient fondées partiellement ou si c’était un problème important ?

Vous savez, les technocrates, il en faut toujours. De plus en plus, il nous faudra des technocrates. Tout dépendra du pouvoir que nous leur donnerons et du pouvoir de décision que nous leur déléguerons. Mais se passer des technocrates, faire la critique systématique des technocrates, c’est, Je pense, ne pas vivre son siècle, une question de mesure.

Majesté, je voulais revenir sur la question de l’islamisme, vous savez que c’est quelque chose qui obsède nos lecteurs et je voulais vous demander si à travers la réforme que vous engagez, le maître mot de "L’alternance" qui nous a été répété par tous nos interlocuteurs, le Maroc espère offrir un modèle contre ces dérapages de l’intégrisme ?

Je ne vois pas en quoi l’alternance peut être un remède contre l’intégrisme. L’alternance est à appréhender sur les plans politique et démocratique. Mais l’alternance à droite ou l’alternance à gauche, ne peut pas être considérée comme étant un remède contre l’intégrisme. Une petite précision : Chez nous, je tiens à dire que nous n’avons pas d’intégrisme. Nous avons du fondamentalisme. Je pense que la langue française a bien fait d’avoir ces deux adjectifs : "fondamentaliste" et "intégriste". Le Marocain est fondamentaliste et nous avons des fondamentalistes, mais nous n’avons pas des intégristes et nous souhaitons ne jamais en avoir.

Majesté, à propos de fondamentalisme ou d’intégrisme, comment voyez-vous l’évolution de votre voisin, l’Algérie, sur ce problème d’intégrisme ? Est-ce qu’on est au bout d’un processus en Algérie, est-ce que cela vous semble à maturité ?

Je préfère ne pas répondre à cette question parce que cela pourrait être considéré comme une immixtion dans les affaires d’un pays voisin frère, et Je préfère me taire.

Majesté, si vous le voulez bien, nous allons passer aux relations bilatérales franco-marocaines, est-ce que vous avez le sentiment depuis l’arrivée au pouvoir de Jacques Chirac qu’il y a eu un changement fondamental dans ces relations bilatérales ?

D’une façon général, les relations franco-marocaines ont toujours été bonnes. Nous n’avons, grâce à Dieu, depuis l’indépendance, jamais eu de problèmes. Cette coopération évolue avec le temps et avec les hommes naturellement qui sont à la tête de la France. Il est certain, que l’homme étant homme, et les hommes étant des hommes, les relations personnelles peuvent avoir des répercussions personnelles et humaines sur les relations entre deux pays. Il se trouve que mes relations avec le Président de la République sont des relations extrêmement amicales, loyales et anciennes. Elles datent de vingt ans. On peut dire que dès leur naissance, elles étaient complètement désintéressées. Je ne puis que me réjouir qu’il soit à la tête de la France et que, de ce fait, nos problèmes soient bien saisis et bien compris.

Majesté, Vous avez dit souvent que pour Vous une politique d’immigration réussie, c’était le retour des ressortissants de votre pays une fois acquise une certaine expérience. Il se trouve que la réalité est un peu différente, qu’il y a beaucoup de Marocains qui, en fait, s’implantent en France et dont les enfants deviennent Français. Est-ce que Vous allez prendre des positions avec l’avenir à ce sujet ou essayer de faire évoluer les choses autrement ?

Je pense que ce qui importe pour le Maroc, c’est que toute personne qui porte l’étiquette marocaine, se comporte d’une façon digne de son pays. Comme vous le savez, chez nous, la nationalité ne se perd pas, car il y a le lien d’allégeance perpétuelle, et c’est ce qui fait qu’ils ont beaux être français pour certains, nous les considérons toujours moralement comme tenus par l’éthique marocaine et par le comporte ment qu’ils doivent avoir à l’étranger en respectant les droits et les usages du pays d’accueil. Nous ne comptons prendre aucune mesure dans ce sens. Au contraire, si nous pouvons faire en sorte qu’une grande partie d’entre eux puisse revenir chez nous, ils seront les bienvenus, car ils seront "pleins d’usage et raison", comme dit le poète. Ils seront à ce moment là des agents économico-sociaux et des citoyens de haut niveau.

Majesté, la presse marocaine se fait de puis quelques jours l’écho d’une très vive polémique déclenchée en France par Jean-Marie Le Pen sur l’inégalité des races. Nous aimerions connaître votre sentiment sur un tel débat et savoir quelle serait l’attitude du Maroc, si le président du Front national décidait de se rendre dans votre pays ?

Il est certain que, subjectivement, n’étant pas de la race de M. Le Pen, Je suis parmi les races qui sont en dessous de la barre. Donc subjectivement, Je me sens concerné. J’en ris. Pour l’instant, souhaitons que nous en restions au stade du rire et que nous n’allions pas plus loin, mais, ce serait vraiment anachronique que de remettre sur le théâtre de l’histoire, une plaie comme le racisme ou comme la guerre des religions ou comme l’intolérance qui ont été à la base de toutes les guerres fratricides de l’humanité, du vieux continent avec le peuple arabe et le peuple musulman.

Majesté, si l’on passe rapidement au domaine économique, il y a depuis plusieurs années, une politique d’ajustement structurel qui est suivie au Maroc, et qui est en partie, imposée par la mondialisation de l’économie. Est à ce qu’elle n’est pas dans une certaine mesure, paradoxale avec la nécessité de redistribution qui s’impose aujourd’hui pour garantir la stabilité au pays ?

Ecoutez, ce que vit l’Europe actuellement me donne à penser que l’ajustement structurel est un mal qui est en partage actuellement. Ce que le Fonds monétaire international a imposé aux pays en voie de développement, Maastricht est en train de l’imposer actuellement aux pays européens et Je ne souhaite qu’une chose, c’est que les pays européens en tirent une leçon et qu’ils comprennent, maintenant qu’ils sont en phase de P.S., c’est-à-dire de programme d’ajustement structurel par rapport à l’Europe, quelles sont les souffrances qui nous ont été imposées, à nous pays en voie de développement que nous avons dû supporter et que nous supportons encore. Ce n’est qu’un juste retour de la justice immanente, et Je pense qu’il y aura plus de charité dans le jugement européen à l’égard des pays en voie de développement.

Majesté, pour favoriser l’émergence économique du Maroc, vous avez besoin de plus, sans doute, d’investissements étrangers. Qu’est-ce que vous pourriez dire aux investisseurs étrangers pour les persuader de venir dans votre pays ?

Ce que Je souhaiterais leur dire, c’est qu’il n’y a plus de contrainte, il n’y a plus de bureaucratie, il n’y a plus de tracasseries administratives. Vous n’aurez droit qu’à une seule signature et vous pourrez vous installer tranquillement. C’est ce que j’aimerais leur dire, et c’est ce que Je M’évertue à réaliser depuis des années face à l’immobilisme administratif et au maquis - c’est un véritable maquis juridique, réglementaire et autre - devant lequel l’investisseur étranger se trouve lorsqu’il vient investir au Maroc. Donc, s’il y a quelque chose à faire, ce n’est pas à eux de le faire, c’est à nous de le faire pour qu’ils viennent. Et ils seront toujours accueillis les bras ouverts.

Majesté, pour passer à la politique européenne et étrangère, qu’attendez vous de la conférence de Barcelone II qui aura lieu l’an prochain au Maroc ? Et cette idée de pacte de stabilité pour la Méditerranée qui est une idée ancienne, trouve-t-elle une concrétisation à travers cette conférence ?

Je pense qu’il ne faut pas mettre la charrue avant les boeufs. Je ne sais pas si la conférence de Barcelone qui devrait se tenir au Maroc, aura lieu. Ce qui se passe au Moyen-Orient, fait que beaucoup de pays arabes particulièrement, risquent de ne pas y participer et le Maroc parmi eux. Ce sera dommage pour la Méditerranée, pour Mon pays qui doit l’accueillir, mais enfin s’il faut passer par là, nous passerons par là.

Pour être un peu plus explicite sur la question, Majesté, Vous pensez qu’une crise importante est en train de naître autour du processus de paix au Proche Orient ?

Elle n’est pas en train de naître, elle est née. Souhaitons qu’une mort subite vienne mettre fin à l’existence du nouveau né. Nous sommes en état de crise, il ne faut pas le cacher. C’est une crise qui, malheureusement, bouche l’horizon sur les cent-quatre-vingt degrés du champ visuel. Il fut un temps, après la défaite de 1967, où les Arabes ont dit les fameux trois "non" : non à la reconnaissance (d’Israël), non aux négociations, non à la paix (avec Israël). Ne voit-t-il pas que trente ans après, c’est le gouvernement israélien qui s’identifie au refus et qui à son tour exprime trois autres : pas de terre contre la paix, pas d’Etat palestinien, pas de discussions sur Jérusalem. Nous nous trouvons trente ans après avec les trois "non", mais de l’autre côté. Alors, où est le trou de service comme disaient les aviateurs avant d’avoir le radar et avant d’avoir le V.O.R ? Ils attendaient le trou de service quand le ciel était couvert pour pouvoir atterrir. Où est le trou de service ? Je ne le vois pas. Et si ça continue ainsi, Je crains - non pas du côté des responsables, mais des opinions publiques, de ceux qui ne sont pas responsables mais qui existent - Je crains de nous trouver devant des faits, Je ne dis pas irréparables - il n’y a pas d’irréparable - mais des faits qui seraient extrême ment préjudiciables à un rêve qui commençait à devenir réalité.

Majesté, si Vous le permettez, je voudrais revenir sur cette question, du Moyen-Orient et sur l’irréparable. Diriez-vous, comme Vous l’aviez dit il y a quelques mois après Oslo, après Camp David il y a quelques années, que le processus est irréversible aujourd’hui, ou Vous avez changé d’avis après les premiers mois de M. Netanyahu au pouvoir ?

Il est irréversible et c’est ce que Je voudrais que le gouvernement israélien comprenne. Il est irréversible.

Pensez-vous que le gouvernement israélien a compris qu’il est irréversible ?

En tout cas, d’après ses actes, il ne paraît pas l’avoir compris. Je ne sais pas ce qu’il nous réserve, mais d’après ses actes aujourd’hui, il paraît ne pas l’avoir compris.

Vous pourriez faire des propositions publiques pour sortir de l’impasse actuelle ou pas ?

Je n’ai pas à faire de propositions. La meilleure proposition que J’ai, c’est que nous reprenions les choses où elles ont été laissées en l’état par le précédent gouvernement. C’est ce qu’on appelle la continuité de l’Etat, et une certaine continuité de l’Etat d’Israël. Il faut que l’Etat d’Israël, s’il veut être crédible, respecte cette continuité de l’Etat. Il ne saurait y avoir de solution de continuité, il ne saurait y avoir qu’une continuité.

Majesté, comment analysez-vous la crise irakienne actuellement ? Pensez-vous que dans le contexte du processus de paix au Moyen-Orient, c’est un facteur aggravant et que pensez-vous de l’attitude des Etats-Unis particulièrement dans ce contexte ?

Il est certain que la situation irakienne pèsera lourd non pas maintenant mais dans une décennie. Elle pèsera lourd d’abord sur le plan social, et la région en paiera la note. Elle pèsera lourd sur le plan démographique, car avec les Kurdes au nord et les Chiites au sud, cette distinction sur le sol de l’Irak n’est pas faite pour calmer une région qui s’enflamme rapidement. Tout ce qui se passe en Irak actuellement aura des répercussions incontestablement sur les années à venir. De quelles amplitudes et de quelle nature seront-elles ? Je ne saurais vous le dire, mais compte tenu de ce qui se passe actuellement, nous devrons un jour passer à la caisse, nous devrons le payer, Je m’excuse de cette expression, mais nous devrons le payer d’une façon ou d’une autre.

Nous aimerions savoir un peu plus sur ce que Vous pensez de l’attitude des Etats-Unis actuellement sur la crise irakienne ?

Je pense que l’attitude des Etats-Unis n’est pas complètement étrangère à des considérations de la politique intérieure. Mais je suis heureux de constater qu’ils ont fait marche arrière ces derniers temps. Du reste, nous avons été nous même avec tous les autres pays arabes amené à protester contre le regain de tension dans la région. Même les pays les plus concernés, à savoir les pays du Golfe, ont refusé pour certains d’entre eux, de prêter leurs aérodromes pour le décollage ou le refueling des aéronefs américains. Je ne pense pas que les Etats-Unis se dirigent vers une nouvelle guerre contre l’Irak. L’Amérique n’aurait du reste, aucun Intérêt à le faire. Je ne vois pas ce qu’elle y gagnerait. L’Irak, non plus, n’aurait rien à gagner en déclenchant des hostilités contre les Etats-Unis. Je pense que d’un côté comme d’un autre, il faut oublier Saddam Hussein. Il est là et bien là, et parler un peu du peuple irakien dont les enfants, les vieillards et les femmes meurent par dizaines de milliers faute de médicaments, de soins, de nourriture. Se focaliser sur une personne, n’a jamais constitué un élément de guérison ou de solution de problèmes.

19/09/1996

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