Expulsés sans toit ni droit

8 décembre 2007 - 01h12 - Economie - Ecrit par : L.A

Rue Al Mourrakouchi, à deux pas du supermarché Label’Vie, dans le quartier Anfa, à Casablanca, une dizaine de tentes se dressent sur un sol non pavé. Frêle et sec, les yeux bleu passé, Mohamed Jari désigne la première à partir de la droite. “C’est ici qu’elle habitait”, lance-t-il, parlant de Fatna, une octogénaire décédée la veille. “Sa fille l’a
emmenée à l’hôpital, mais c’était trop tard. Ils lui ont dit que son cœur avait gonflé à cause du froid”. Depuis huit jours, la vieille femme vivait dans la rue, parmi les 27 familles expulsées du bidonville voisin le lundi 19 novembre.

Deux cent treize personnes auxquelles les forces de l’ordre ont réservé un déploiement impressionnant : “Il étaient un millier”, avancent plusieurs témoignages. “J’ai cru qu’ils venaient arrêter des terroristes cachés dans le bidonville”, ajoute Hakima Hallaoui, employée de la pharmacie Lopez, sise dans la même rue. Dans la petite communauté encore choquée, on évoque les chiens, les coups de matraque et l’encerclement. Une femme enceinte a été emmenée au poste, menottes au poignet, “pour avoir crié ‘Vive le roi’”, raconte cette vieille femme, exhibant une grosse ecchymose au genou droit. Des baraques que Mohamed Jari, gardien de voitures, sous-louait à ces familles, il ne reste pratiquement rien. Juste des amas de tôle et de plastique, des portes défoncées et des toits affaissés, mêlés aux ordures et aux cadavres de chats, dégâts collatéraux de l’opération d’expulsion. En larmes, Halima El Kord fait visiter ce qui était la baraque où elle vivait depuis soixante ans. “Comment ont-ils pu faire ça, avec le froid, la pluie, et l’Aïd El Kébir qui arrive ?”, se lamente-t-elle.

Imbroglio juridique

Depuis quarante ans, les 1325 m2 du 17-19, rue Al Mourrakouchi (ex-Villa “Maria Luna”), sont au cœur d’un imbroglio juridique opaque. Extirpant de sa jellaba une liasse de documents, Mohamed Jari explique que son père, Mohamed Chafaï, ancien boucher, agriculteur et propriétaire de chevaux, avait acheté ce terrain à Abraham Azra dans les années 60, pour 24 500 DH. En 1967, alors que le propriétaire voulait annuler la vente -dont seules deux tranches avaient été réglées- le tribunal a donné raison à Mohamed Chafaï, l’enjoignant à effectuer la dernière tranche du paiement, soit 13 240 DH. L’homme s’en acquittera en 1982. “Abraham Azra était parti en Israël, on avait perdu son contact, justifie Mohamed Jari. Et nous payons des impôts depuis 1962 !”, poursuit-il en montrant des photocopies de reçus. Mais dès l’année 1985, deux des fils Azra se manifestent, réclamant un loyer au prétendu “propriétaire” du terrain. Celui dont la part correspond au 17-19 finit par la vendre pour 195 000 DH à un certain Abdelkrim Sbaï, détenteur du titre foncier n° 2558c. Le 19 août dernier, il se présente rue Al Mourrakouchi avec un huissier, pour exiger l’expulsion des habitants. “Je m’y suis opposé. J’ai passé 24 h au commissariat, demandant à voir l’ordre d’expulsion. Mais on a refusé de me présenter au procureur”, raconte Mohamed Jari.

Depuis leur expulsion, aucun représentant de l’autorité ne s’est déplacé auprès des 27 familles. Seule maigre assistance : des tentes mises à disposition par la commune, “suite à un coup de fil de l’élue locale, la ministre Yasmina Baddou”, nous assure-t-on. Comme une patate chaude, tout le monde se refile le dossier : “Je ne sais rien”, lâche le secrétaire du gouverneur, M. Bayou. “Je n’ai rien à voir avec ça”, assure M. Oumlil, secrétaire général de la commune d’Anfa. Quant au caïd, il aurait demandé “que l’on dégage la rue en installant les tentes sur la parcelle évacuée”, ironise le fils de Mohamed Jari. Personne pour expliquer la violence de l’intervention ou annoncer une quelconque perspective de relogement, théoriquement préalable à l’expulsion. “La commune et la préfecture doivent faire une proposition concertée au ministère. Je n’ai encore rien reçu”, précisait par téléphone le ministre de l’Habitat, Taoufiq Hejira, le jour de sa réunion avec le wali… à l’issue de laquelle 8 milliards de dirhams ont été engagés pour résorber les 480 bidonvilles du Grand Casablanca.

TelQuel - Cerise Maréchaud

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