Fragile embellie pour l’économie marocaine mais ...

15 avril 2003 - 11h57 - Economie - Ecrit par :

Le Marocain, volontiers râleur, ne se plaint pas toujours à bon escient. Le « maroco-pessimisme », très en vogue, surtout quand il s’agit d’économie, reflète davantage un trait culturel qu’une réalité palpable. Les jeunes élites du royaume, formées à l’occidentale, souffrent de la comparaison avec la France ou l’Espagne.

« C’est notre base de référence qui est délirante, explique un économiste. Ici, nous sommes ambitieux, mais nous perdons complètement de vue les réalités. Qu’on le veuille ou non, le pays arrive quand même en 127e position au classement du développement humain. Par contre, s’il a un potentiel énorme et sous-exploité, les choses évoluent, discrètement, mais dans le bon sens. Or les gens ne perçoivent aucun de ces deux phénomènes. »
Pourtant, le choix d’ancrer l’économie marocaine à l’Europe et aux États-Unis s’est traduit par une ouverture du marché intérieur, jadis chasse gardée d’une élite affairiste hassanienne recroquevillée sur ses privilèges. L’arrivée de groupes étrangers comme Vivendi Environnement, Accor, Volkswagen, l’équipementier japonais Yazaki, et d’une multitude de groupes arabes détenus par des Saoudiens, mais dirigés « à l’américaine », a créé une saine émulation. Le capitalisme marocain, volontiers rentier, a été sommé de réagir. « Nos capitaines d’industrie ont été piqués dans leur orgueil », raconte Yosr Tazi, consultant et animateur d’une émission télévisée sur l’économie. « La pression des opérateurs étrangers les a amenés à investir au Maroc au lieu de laisser dormir, dans les banques ou à l’étranger, les fortunes considérables qu’ils avaient amassées. Car sinon, ils auraient été évincés de leur marché domestique. »

Pour renforcer l’attractivité du Maroc, des efforts de simplification administrative ont été réalisés. Les investisseurs, qui se plaignaient du manque de lisibilité des circuits de décision, constatent d’ores et déjà un changement. La réforme de la direction des douanes, réalisée par Abderrazak el-Mossadeq, l’actuel ministre délégué aux Affaires économiques générales (voir « Confidences » page 58), est souvent citée en exemple. L’informatisation des déclarations a obligé les transitaires à s’équiper et a limité « les manipulations humaines » et les jeux d’influences. Il fallait quinze jours et une débauche d’interventions pour faire sortir les marchandises des entrepôts. Elles sont désormais dédouanées en vingt-quatre heures. L’autre point de blocage, qui concernait l’accès au foncier, est en passe d’être surmonté. Posséder un terrain est obligatoire pour pouvoir implanter une usine. Cette disposition a alimenté la spéculation, les lotissements en zone industrielle étant acquis longtemps à l’avance pour être revendus avec une grosse plus-value. La pénurie était organisée, au grand dam des investisseurs potentiels. Désormais, les propriétaires de parcelles situées en zones industrielles sont tenus de viabiliser ou de revendre les terrains dans l’année de leur acquisition, sous peine d’expropriation. Effet garanti...

D’une manière générale, les marchés se sont ouverts, fonctionnent de manière plus fluide et transparente. Bien sûr, l’accès au crédit reste limité. Le système bancaire manque de réactivité et n’accompagne pas suffisamment les jeunes promoteurs. La prudence des banquiers confine souvent à la frilosité - il est vrai cependant que les problèmes de recouvrement de créances sont légion. Selon le magazine Economia, le volume des créances douteuses de l’ensemble du système bancaire marocain (y compris les banques publiques) a dépassé les 3 milliards de dollars fin 2002. Mais des dispositifs alternatifs ont été imaginés. Sous l’impulsion de Moustapha Bakouri, son directeur, la Caisse centrale de garantie s’est davantage tournée vers les PME et PMI. Une fois leur projet garanti, les jeunes entrepreneurs éprouvent moins de difficultés à décrocher des crédits. Dar ad-Damane, l’autre institution de garantie, met maintenant son expertise à la disposition des créateurs d’entreprise en réalisant des études de faisabilité. Un signe qui ne trompe pas, enfin : les jeunes diplômés en Europe reviennent. Pour créer leur affaire plutôt que pour reprendre celle de leurs parents.

L’abolition totale des frontières douanières, dans le cadre de l’accord d’association Maroc-Union européenne signé en 1996, suppose la poursuite des efforts de mise à niveau des entreprises. Sinon le tissu économique sera submergé par la concurrence des produits étrangers. Mais cet accord peut aussi permettre un réel décollage, avec une accélération du rythme des délocalisations. Un certificat d’origine marocain permettra à une société asiatique implantée dans le royaume d’exporter vers l’Europe en échappant aux barrières tarifaires. La réalisation d’un grand marché maghrébin constituerait, assurément, un plus : beaucoup de firmes multinationales considèrent l’Afrique du Nord comme une seule entité, et souhaiteraient faire jouer des synergies entre les trois pays du Maghreb central. Loin d’être concurrents, le Maroc, l’Algérie et la Tunisie pourraient être complémentaires. L’association avec l’Union européenne permettra surtout aux industriels, les premiers à se plaindre de l’étroitesse du marché intérieur et de la faiblesse du pouvoir d’achat des Marocains, de toucher un marché européen recouvrant près de 400 millions de consommateurs.

Ces perspectives prometteuses ne doivent pas pour autant faire oublier les handicaps structurels du pays. Très dépendante des précipitations, l’économie est duale. Des pans entiers du territoire ont été laissés à l’abandon et vivent grâce aux revenus aléatoires de l’agriculture, de l’informel ou de la contrebande. La croissance doit profiter à tous, ce qui est loin d’être le cas actuellement. Parallèlement à la mise à niveau de l’économie, le gouvernement semble décidé à prendre à bras-le-corps les problèmes sociaux endémiques. Construction de 5 000 kilomètres de routes pour désenclaver l’intérieur du pays, électrification des campagnes, mise en valeur du Nord, délaissé pendant le règne de Hassan II, scolarisation des enfants, lutte contre l’analphabétisme - qui frappe la moitié de la population. Les chantiers ne manquent pas, et le Maroc aurait besoin d’un véritable « plan Marshall ». Mais les marges de manoeuvre budgétaires sont très restreintes. Et la conjoncture internationale tendue n’augure rien qui vaille. Avec la guerre en Irak, une part des dépenses d’investissement risque d’être affectée au soutien de l’activité. L’impact du conflit pourrait amputer de 10 % le rythme d’expansion de l’activité touristique. Et un probable ralentissement de la demande en Europe, faire diminuer de 3 % les exportations de biens et services du Maroc. La flambée du brut a déjà grevé la facture énergétique, et les compagnies d’assurances américaines, qui garantissent les investissements, considèrent, en dépit du bon sens, le Maroc comme un pays à risques...

Samy Ghorbal, envoyé spécial pour lintelligent.com

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