Maroc/Internet : La vie en virtuel

14 avril 2007 - 17h25 - Maroc - Ecrit par : L.A

Ils sont plus de 3000 Marocains à mener une vie parallèle sur Second Life, simulation de réalité virtuelle sur Internet. Et dans cet univers imaginaire, il y a même un autre Maroc… Nadia Miles, jeune fille de 22 ans, se promène sans véritable but dans une artère de Manhattan, faisant mine d’ignorer les quelques passants qui l’accostent. Au bout de quelques minutes de lèche-vitrine, elle finit par s’ennuyer ferme. Elle décide alors de changer de lieu.

Direction : une ruelle de Tokyo, où elle atterrit après quelques secondes. Étonnant ? Pas vraiment. Car Nadia Miles n’existe pas, du moins pas dans la vraie vie. Elle n’est que l’un des milliers de personnages de Second Life, la simulation interactive qui fait fureur sur Internet.

Second Life, littéralement “Seconde vie”, a été créé en 2003 par le studio de développement en ligne californien Linden Labs. Il s’agit d’un programme de réalité virtuelle, qui permet à ses “résidents” d’évoluer dans un monde onirique créé en grande partie par les utilisateurs eux-mêmes. Chacun de ces derniers y existe sous les traits d’un avatar, alter ego numérique créé de toutes pièces au gré des envies. On peut ainsi être une femme, un homme, un robot, un lapin, être grand ou petit, mince ou obèse, avoir quatre bras ou des ailes… et se déplacer à travers les continents en volant ou par “téléportation”.

Surtout, SL n’est pas à proprement parler un jeu : ici, pas de scénario préétabli, d’objectif à atteindre ou de mission à accomplir. Chaque personnage est libre d’aller où bon lui semble et de faire ce qu’il veut : créer des objets, bâtir des constructions ou tout simplement flâner à l’affût de rencontres, à travers les trois continents et la myriade d’îles qui émergent au fur et à mesure que le nombre d’abonnés croît.

Une véritable auberge espagnole qui, jusqu’à présent, a séduit pas moins de 5,2 millions d’internautes à travers le monde. Et le Maroc n’échappe à la fièvre SL. À fin mars 2007, ils étaient, d’après les statistiques officielles de Linden Labs, plus de 3100 Marocains à posséder un “second moi” cybernétique, plaçant ainsi le royaume à la tête des pays arabes et africains en nombre de “résidents”.

Des expériences inédites

Question : que viennent donc chercher ces centaines de Marocains dans un univers virtuel persistant ? “J’ai découvert Second Life grâce à un ami féru d’Internet. J’y suis venue par curiosité, mais rapidement, j’y suis devenue accro, explique la fameuse Nadia, avatar d’une jeune étudiante casablancaise dans la vraie vie, qui a préféré garder l’anonymat. Aujourd’hui, j’y ai plein d’amis. En gros, cela ressemble à un immense salon de discussion, mais avec des personnages presque vivants”. Idem pour Farid, informaticien casablancais de 30 ans, alias Fred Johansson sur SL : “Bien sûr, cela permet de rencontrer plein d’internautes des quatre coins du monde. Mais se promener dans un univers qui n’existe pas réellement et où tout est possible, c’est une expérience unique. Seul regret, le fait que je ne sois qu’un abonné basique limite énormément mes possibilités. Je ne peux rien créer, acheter ou vendre”. En effet, pour aller plus loin dans l’interactivité dans le monde de Second Life, il faut souscrire à un abonnement Premium, facturé une dizaine de dollars par mois. Chose impossible pour l’écrasante majorité des Marocains, qui ne détiennent pas de carte de crédit internationale. Du coup, cette contrainte les condamne à limiter leurs activités aux flâneries cybernétiques.

Pour autant, cela ne les empêche pas de vivre sur SL quelques expériences originales, souvent difficiles à réaliser dans la RL (contraction de “Real life”, la vie réelle). Si Nadia se complaît à changer constamment d’apparence et d’habits, Farid dit apprécier les concerts, les jeux de rôle et les virées en boîtes de nuit ou dans les casinos, ouverts 24 heures sur 24. Il avoue également tenter quelques irruptions dans les clubs de strip-tease ou dans les salons “mélangistes”, où les avatars se livrent à des orgies sexuelles débridées. D’après le même Farid, les espaces de sexe, très nombreux sur Second Life, seraient particulièrement prisés par les résidents marocains. “Dans ces espaces, il m’arrive souvent de rencontrer des internautes marocains. Ils sont là pour réaliser leurs fantasmes les plus fous, mais seulement dans l’espace virtuel”, commente Farid.

Le Maroc virtuel

Rassurez-vous : sur Second Life, le royaume n’est pas représenté que par des obsédés sexuels en polygones et en pixels. Si le Maroc ne dispose pas, à l’image de la Suède, d’une ambassade dans cet espace cybernétique, il y existe bel et bien, sous le nom poétique de Virtual Morocco. Ce Maroc virtuel, construit sur l’une des nombreuses îles de Second Life, est l’oeuvre d’une équipe d’enseignants et d’étudiants de l’Université américaine Johnson & Wales University, en partenariat avec le ministère du Tourisme marocain.

Au menu, un condensé de quelques monuments et lieux emblématiques de Casablanca, Rabat et Marrakech. “Nous avons voulu reproduire une sorte de best of du Maroc, dans le but de faire connaître le pays aux utilisateurs de SL et, avec un peu de chance, les inciter à visiter le pays”, explique l’initiatrice de l’idée, Hilary Mason (alias Ann Enigma sur SL), dans la note de présentation du projet.

Pour cela, six étudiants (cinq designers graphistes et un ingénieur marketing) se sont déplacés au Maroc, accompagnés de deux enseignants (résidents de SL sous les pseudonymes Ann Enigma et Desty Kenzo), pour tenter une immersion dans la culture locale. De retour aux Etats-Unis, le groupe s’est lancé dans la construction de ce Maroc virtuel, en utilisant les informations et impressions récoltées lors du voyage.

Le résultat est édifiant. Inauguré le 21 décembre 2006, Virtual Morocco se compose principalement d’une mosquée, d’un souk et d’une médina. Dès l’arrivée du visiteur, un tarbouche parlant, baptisé “Info Fez”, lui est remis pour servir de guide. Mention spéciale pour la réplique fidèle et très détaillée de la mosquée Hassan II, au réalisme impressionnant. Détail qui tue : pour y entrer, les visiteurs sont priés de retirer leurs chaussures. Le reste est malheureusement plus proche du cliché pour touristes. Le souk a droit aux inévitables marchands d’épices et de tapis et la Médina, graphiquement réussie, sort tout droit d’une carte postale bon marché. Idem en ce qui concerne le café Morocco, où le visiteur se voit offrir un verre de thé à la menthe et une chicha… ainsi qu’un spectacle de danseuses orientales. Pas la peine de chercher : l’affiche avec la mention “Le plus beau pays du monde” ne se trouve nulle part. Même dans un monde virtuel, ce ne serait pas crédible...

Business : Fausse réalité, vrais sous

Avec ses cinq millions de “résidents”, Second Life suscite bien évidemment l’intérêt des multinationales, qui y voient un vecteur de communication à des coûts dérisoires. Plusieurs grandes entreprises en ont fait une vitrine pour leurs marques, ainsi qu’un laboratoire de marketing alternatif. Le constat de départ est simple : l’avatar est un consommateur comme les autres, voire plus vrai que nature, puisqu’il n’est limité par aucune contrainte réelle. Il constitue alors une cible de choix pour tester de nouveaux produits et concepts. La voie a été défrichée par la marque américaine de prêt-à-porter, American Apparel, qui a ouvert une boutique virtuelle pour tester sa popularité. Plusieurs marques lui ont emboîté le pas : Toyota a lancé sur SL un nouveau modèle de voiture, Fox y a projeté en avant-première l’une de ses productions, alors qu’IBM a mis en vente des PC que les internautes peuvent commander et payer (via SL), pour les recevoir dans la vraie vie.

Mais SL a aussi ses propres entrepreneurs. En plus des magasins de vêtements, de meubles et autres accessoires pour avatars, certains abonnés se sont lancés dans des activités réellement lucratives. Anshe Chung, l’avatar d’une Allemande d’origine chinoise, a ainsi réalisé des bénéfices coquets en revendant des propriétés virtuelles. Il faut dire qu’à fin mars, Second Life brassait près de 1,5 milliard de Linden dollars (la “monnaie virtuelle” de SL), soit l’équivalent de 6,5 millions de dollars !

TelQuel - Hicham Smyej

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Sujets associés : Informatique - Internet

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