“J’étais un fou de Dieu” Comment un intégriste repenti a failli devenir kamikaze

30 juin 2003 - 12h04 - Maroc - Ecrit par :

Il n’avaient pas eu des mes nouvelles depuis six mois. Le lendemain, je me suis rasé et j’ai mis mon jean et mon tee-shirt. Je suis redevenu Hamid et pas “le frère". J’ai retrouvé mon identité.

J’ai fait la rencontre de Hamid par hasard. Il cherchait du travail autant que gardien de nuit. Il m’a abordé dans la rue pour savoir si je ne connaissais pas quelqu’un qui avait besoin de ses services. Je lui ai promis que j’allais voir. Là, il m’a proposé de me laisser un numéro de téléphone où je pouvais le joindre. J’ai pris son contact et je suis repartie. À peine, j’ai fait quelques pas qu’un autre gardien de voiture à qui je laissais ma voiture m’interpelle.
Il me parle d’un air sérieux et me déclare que ce monsieur qui vient de m’approcher était un ex-islamiste et qu’il fallait que je m’en méfier. Je ne vous cache pas que ses paroles ont piqué ma curiosité. Je voulais en savoir plus. Alors, j’ai décidé de l’appeler. Mon interlocuteur était doublement surpris. Non seulement, il ne s’attendait pas à m’avoir au fil mais en plus je lui donnais rendez-vous dans un café au quartier du Maârif. Le jour J, je vais à sa rencontre, il m’attendait à côté du café.
Il n’osait pas entrer. Avec des yeux hagards, il me regardait. Je lui suggérais de m’accompagner pour discuter autour d’un café. Son étonnement était à son comble. Je ne voulais pas faire durer le suspens longtemps, j’ai attaqué le sujet directement. À mes premières paroles, il semblait effondrer. Il m’a dit qu’il voudrait oublier cet épisode de sa vie. Devant mon insistance, il se livre à moi, mais me fait promettre de ne publier ni son vrai nom ni sa photo. Le temps n’est pas aux confessions et surtout pas dans ce style.

Maroc Hebdo International : Comment avez-vous intégré le groupe islamiste Salafiste ?
• Hamid ben Mohamed : J’avais 15 ans, j’étais en dernière année du collège. J’habitais un quartier périphérique de Meknes “Borj Moulay Omar". J’étais un adolescent tranquille. Mes amis étaient pour la plupart des voisins du quartier. Nous avions pris l’habitude de nous réunir à côté d’une fontaine publique, le soir, après le dîner pour jouer aux cartes ou pour bavarder de tout et de rien.
Un jour, un groupe d’islamistes de cinq personnes nous a abordé. Nous les connaissions déjà de réputation et nous les voyons assez souvent car nous sommes du même quartier. Ils nous ont proposé de les accompagner à une soirée où il y aura à manger. Vous connaissez les folies de jeunesse, notre passe-temps favori était de faire les pique-assiettes dans des soirées où nous n’étions pas invités. Il est vrai que nous n’avions pas des affinités avec ce groupe, mais la tentation était grande. L’occasion de manger un repas de fête ne se présentait pas tous les jours. Alors, nous avons décidé à les suivre. Sur la route, chacun des islamistes a pris sous son aile un de mes amis. Ils ont commencé à nous poser des questions sur nos convictions religieuses.
• MHI : Quelles étaient leurs questions ? - Hamid ben Mohamed : Toutes simples. Est ce que tu fait ta prière ? Combien de fois par jour ? Tu lis le Coran souvent ou occasionnellement ? Tu aimes bien les plaisirs de la vie ? Est-ce que tu fumes de la cigarette ou du haschich ? tu fais le ramadan ? tu fréquentes des filles ? Au fait, c’était des questions qui concernaient notre vie privée.
• MHI : Et vos réponses ?
• Hamid ben Mohamed : Personnellement, je faisais ma prière et le ramadan. Pour les filles, je n’avais pas eu encore la chance de les connaître à part quelques petits flirts très éphémères. La cigarette, la drogue et l’alcool, je n’avais ni les moyens ni l’envie d’en consommer.

MHI : Comment elle s’est passée, cette première soirée ?
• Hamid ben Mohamed : Nous avons longuement marché avant de rentrer dans une maison. Nous étions conviés à enlever nos chaussures et à faire les ablutions. Nous sommes entrés dans une grande pièce avec pour tout ameublement un épais tapis et un lustre au plafond. Nous nous sommes installés autour d’une table basse. Un jeune du groupe islamiste nommé “Abou Jihad", qui deviendra par la suite mon parain, s’occupait de la table. Il a ramené une grande assiette qui contenait cinq poulets rôtis et un grand panier de pain.
Comme boisson, nous avions eu droit à une carafe d’eau, mais il ne fallait pas boire en mangeant. Par la suite, le chef du groupe s’est avancé pour conduire la dernière prière de la journée. Cela a pris plus de temps parce que nous avons fait la prière surérogatoire.
Vers le coup de dix heures, nous les avons quittés. Ils nous ont demandé si nous pouvions passer la nuit avec eux pour faire la prière du lever du jour. Nous avions refusé. “Abou Jihad " nous a accompagnés alors jusqu’à la porte pour nous dire que nous étions les bienvenus et que ce style de soirées religieuses étaient organisées trois fois par semaine.
• MHI : Donc vous n’étiez pas obligés de les fréquenter, ils vous ont laissé le choix ?
• Hamid ben Mohamed : Pas tellement. “Abou Jihad" passait nous voir à chaque fin de la journée pour savoir si nous allions venir. Il insistait jusqu’à ce qu’on finissait par le suivre. Mes autres amis ne voulaient pas, mais Hassan, mon ami, et moi étions consentants.
• MHI : Est-ce que les autres veillées religieuses ressemblaient à la première ?
• Hamid ben Mohamed : Oui, elles étaient toutes pareilles. À part qu’après nous étions obligés de passer la nuit pour faire la prière du " fajr " ensemble. Mais, les soirées ne se passaient dans la même maison. À chaque fois, on changeait de local.
• MHI : Est–ce que les propriétaires de maison se réunissaient avec vous ?
• Hamid ben Mohamed : Non, les propriétaires étaient souvent absents. En tant que débutant, je n’avais pas le droit de poser des questions.
J’avais la permission de manger, de dormir, de lire le Coran, faire la prière, écouter les leçons religieuses dirigées par le chef de la cellule que l’on appelait “Akh Akbar" (grand frère).

• MHI : De combien de personnes se composaient ces cellules et quelle était la moyenne d’âge ?
• Hamid ben Mohamed : On était entre 10 et 20 personnes. Nous avions tous entre 13 et 25 ans.
• MHI : Quelles étaient leurs professions ?
• Hamid ben Mohamed : Il y avait une majorité d’étudiants.
• MHI : Et vos activités au sein de la cellule ?
• Hamid ben Mohamed : Au départ, comme je vous ai dit, il fallait juste suivre le rythme. Par la suite, le grand frère nous demandait d’inviter aux soirées religieuses d’autres personnes de notre entourage. De temps en temps, on nous conviait à de distribuer des tracts où il était écrit qu’il faut sauver les Musulmans parce qu’ils sont en perdition et qu’il faut combattre le mal qui sévit dans notre société. En somme, il fallait combattre le mal et faire le bien.
• MHI : C’est quoi le bien ?
• Hamid ben Mohamed : On avait une longue liste de restrictions. Dans un premier temps ils nous ont laissé libre. Mais dès qu’ils ont senti que nous étions bien endocrinés, ils ont commençé à nous imposer beaucoup de choses. Nous sommes devenus mûr pour entrer en action.
• MHI : Par exemple ?
• Hamid ben Mohamed : Déjà, notre apparence vestimentaire devait changer. Il ne fallait plus mettre des habits européens mais des tenues afghanes. Interdiction de se parfumer, de se raser, de laisser tes cheveux découverts. Sinon ta prière n’est pas acceptée.
Il fallait quitter l’école parce que l’enseignement n’était pas à la hauteur et qu’il nous ne apprenait que les mauvaises choses.
Après mon obtention du brevet, j’ai abandonné les études. J’ai dû me consacrer à ma mission qui est de combattre le mal. En plus, avec les veillées religieuses presque quotidiennes, j’avais du mal à me réveiller pour aller au lycée. Je m’entraînais aux arts martiaux dans une salle de sport du quartier où se trouvaient plusieurs “Frères". Je devais être prêt à tout moment pour aller au “Djihad" qui est un devoir tout musulman.
• MHI : Expliquez-moi, comment ?
• Hamid ben Mohamed : La plupart des leçons religieuses étaient axées sur ce thème précis qui est le “Djihad". “le Grand frère" nous expliquait toujours la nécessité pour tout musulman de combattre dans le chemin de Dieu. Pour rendre à l’islam sa pureté originelle et arrêter l’essor de l’athéisme et du sionisme.
Il était important de combattre avec nos frères palestiniens, tchétchènes et afghans. Il fallait les aider à libérer leurs terres.
• MHI : Vous êtiez prêt à mourir pour la liberté de la Palestine ?
• Hamid ben Mohamed : Oui, bien sûr, c’est une noble cause.
• MHI : Même en Kamikaze ?
• Hamid ben Mohamed : Oui, parce qu’il n’y a d’autres armes pour combattre en Palestine à part les bombes humaines. De plus, en toute logique, je devais espérer de goûter au délice du paradis dans le cas ou je devais mourir en martyr. Et c’est le souhait de tout bon musulman.
• MHI : Alors si vous étiez encore avec le groupe salafiste, vous auriez pu être l’un des kamikazes de Casablanca ?
• Hamid ben Mohamed : Non, jamais. Moi, j’aurais choisi de mourir pour la noble cause. En quelque sorte, j’étais un fou de Dieu certes, mais pas au point pour sacrifier ma vie pour tuer des innocents.
Les kamikazes de Casablanca, eux, ont tué leurs frères de religion et leurs compatriotes. Toute la différence est là. Il faut distinguer entre “le djihad" dans le chemin de Dieu et le crime. Les kamikazes de Casablanca sont des criminels et non pas des martyrs.
• MHI : Est-ce qu’il y avait une compensation à votre adhésion au groupe salafiste ?
• Hamid ben Mohamed : Oui, il faudrait dire qu’il m’aidaient beaucoup financièrement et mentalement.
• MHI : D’où provenait cet argent ?
• Hamid ben Mohamed : Cela dépend. Après mon expérience au sein de la cellule, j’ai su que les groupes que nous formions n’étaient que des petites cellules au sein d’un réseau. Nous n’étions pas que des étudiants.
Il y avait des gens bien placés qui nous soutenaient et qui finançaient les veillées religieuses, les inscriptions dans les salles de sport et les locaux de réunion. Mais ceux-là, je n’ai jamais pu les approcher. Je n’étais qu’un petit maillon dans une chaîne.
• MHI : Vous étiez sans travail ?
• Hamid ben Mohamed : Non. “El Amal Ibada" (le travail est une prière). Chacun faisait le métier qu’il maîtrisait le plus soit artisan soit marchand ambulant.
“Abou Jihad" m’ a aidé à devenir un vendeur de cassette du Coran. Par la suite, j’ai changé de marchandise, je vendais des sous-vêtements masculins. La plupart du temps, nous étions soutenus par la cellule.
Et nous choisissions des métiers qui nous laissaient le temps libre pour accomplir nos missions au sein de la cellule.
• MHI : Pourquoi êtes-vous tombé dans leur piège ?
• Hamid ben Mohamed : Au départ, on ressent une certaine quiétude. J’étais en paix avec moi-même. Je ne me posais pas des questions existentielles. Je suivais la troupe. J’étais jeune et j’avais besoin de repères. Dans notre quartier, il était très facile de tomber dans le piège de la drogue, j’ai préféré la religion. Je croyais que j’étais dans le droit chemin. Je ne fumais pas, ne buvais pas et faisais ma prière.
• MHI : Pourquoi avez-vous quitté cette cellule ?
• Hamid ben Mohamed : Le rythme devenait de plus en plus difficile pour moi. J’étais coupé de la vie. J’existais juste au sein de la cellule. Je n’avais plus de relation avec qui que ce soit. Je me sentais isolé. En plus, les gens nous craignaient dans la rue. Personne ne nous parlait, on nous évitait. Mais l’incident qui m’a persuadé de laisser tomber une fois pour toute, c’est une descente de la police. Un soir, pendant une veillée religieuse, les policiers nous ont embarqués. Nous étions une quizaine de personnes. Ils nous ont posé de tas de questions. Nous avons été tous passés à tabac. Nous avons été arrêtés pendant une vingtaine de jours avant d’être relâchés.
Pendant mon incarcération, je ne comprenais rien. Personnellement, j’ai cru que j’étais sur le droit chemin. J’étais choqué quand j’ai su que j’étais un hors la loi. Après nous avoir relâché, les policiers m’ont menacé.
Ils m’ont dit que si on vous retrouve encore une fois, vous serez morts. Pour moi, c’était la fin de mon escapade. Mes parents et mes cinq sœurs étaient contents de me retrouver.
Il n’avaient pas eu des mes nouvelles depuis six mois. Le lendemain, je me suis rasé et j’ai mis mon Jean et mon Tee-shirt. Je suis redevenu Hamid et pas “le frère". J’ai retrouvé mon identité.
• MHI : Combien de temps êtes-vous resté dans cette cellule salafiste ?
• Hamid ben Mohamed : Cinq ans, de 1990 à 1995. Je l’ai intégrée à 15 ans et je l’ai quittée à l’âge de 20 ans. Ce n’était pas facile de prendre cette décision. Je savais que j’allais être exposé à des représailles. Moi-même, j’ ai été chargé de punir un repenti quand j’étais à la cellule salafiste. Mais je ne les redoutais pas, je voulais reprendre ma liberté à n’importe quel prix. J’ai fui Meknes pour venir à Casablanca. J’ai travaillé en tant que gardien de voitures pendant trois ans avant d’être concierge d’immeuble dans un quartier de Casablanca. Actuellement je suis au chômage.
• MHI : Vous avez quel âge ?
• Hamid ben Mohamed : J’ai 27 ans.
• MHI : Quel est votre regret ?
• Hamid ben Mohamed : Avoir abandonné mes études pour suivre un groupe d’impies.

Article paru dans le journal Maroc Hebdo

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