J.Stiglitz : « Libre-échange n’est pas échange libre »

20 février 2004 - 00h27 - Economie - Ecrit par :

Ce n’est pas tous les jours qu’on reçoit un prix Nobel d’économie. L’assistance très nombreuse, venue écouter le Pr Joseph Stiglitz à la Faculté des sciences économiques de l’Université Hassan II à Casablanca hier mercredi, ne s’y est pas trompée.

Le thème de la conférence était “à la recherche du développement durable à l’ère de la globalisation”. Fidèle lui-même, celui que les altermondialistes considèrent comme leur héros, a frappé fort avec une attaque en règle contre la manière dont le FMI a transposé le “consensus de Washington” dans les pays pauvres et contre les subventions agricoles qui laminent les paysans des pays pauvres.
Le consensus de Washington est un ensemble de recettes concoctées par le FMI, la Banque Mondiale et le Trésor américain, prônant l’austérité fiscale, l’élimination des barrières douanières, la libéralisation des marchés des capitaux, la flexibilité, la privatisation, etc.
Le Maroc en a été, comme bon nombre de pays, un terrain d’application avec les fameux programmes d’ajustement structurel dans les années 80. Des programmes qui ont, il faut le rappeler, permis de remettre de l’ordre dans les finances publiques et de stabiliser l’économie. “Est-ce qu’on nous prépare encore un autre schéma après l’apologie du libéralisme des années 80 ?”, s’interroge le Pr Youssef Tahiri devant le Prix Nobel. L’ancien ministre de l’Energie et des Mines de Youssoufi tente de faire un lien entre cette évolution et les débats de la campagne présidentielle aux Etats-Unis.
S’appuyant sur la dynamique des nouveaux pays industrialisés d’Asie du Sud-Est, qui contraste selon lui, avec l’échec des économies latino-américaines, l’ancien conseiller de Bill Clinton est persuadé que chaque pays peut s’approprier la mondialisation. Dans le premier cas, “on a tempéré les recettes du consensus de Washington tandis que dans le second, on a tout transposé, sans tenir compte des contraintes locales”. Avant les années 70, le Brésil avait connu un taux de croissance de 50% supérieur à celui de la décennie suivante. Chez le voisin argentin, autre élève zélé du consensus de Washington, la débâcle est sans appel.
Hier, la Corée du Sud et l’Inde ou la Chine aujourd’hui, tous ont bâti leur essor sur les exportations tout en maintenant des garde-fous à leurs frontières.
Si tous se sont engouffrés dans la mondialisation, c’est plus par la pénétration des marchés internationaux que par l’ouverture de leur propre marché que ces économies ont réussi leur décollage économique, explique le professeur Stiglitz. Elles ont à leur manière façonné la mondialisation, en se gardant par exemple de libéraliser totalement les mouvements des capitaux comme le suggéraient les experts de Washington. Pendant que ces pays frôlaient la croissance de 7-8% l’an, l’Amérique latine peine avec juste de quoi couvrir l’accroissement naturel de la population.
D’autre part, la politique du FMI reflète inévitablement les intérêts des élites locales et des économies occidentales, en particulier des Etats-Unis.
S’il ne partage pas l’idée selon laquelle le FMI a été une arme de destruction massive pour les pays en développement, Joseph Stiglitz pense néanmoins que les politiques préconisées par cet organisme ont souvent aggravé les problèmes qui nécessitaient son intervention mais elles en ont parfois créé, entraînant un accroissement de la précarité (pauvreté).
L’accord de libre-échange négocié actuellement avec les Etats-Unis était inévitable dans les débats. Les accords de libre-échange sont un parfait instrument de la mondialisation, mais “libre-échange ne veut pas dire échange libre”, prévient le Pr Stiglitz.
C’est juste une appellation générique largement tempérée par les barrières non tarifaires. La question centrale est la suivante : Est-ce que le bénéfice l’emporte sur les coûts ? A priori, il ne faut pas avoir de position théologique sur les accords de libre-échange qui sont par nature très complexes contrairement aux apparences. C’est par une évaluation chiffrée a posteriori que l’on peut apprécier les incidences.
Il reste que le cas du Mexique avec l’Alena ne peut, aux yeux du professeur américain, être rangé dans la catégorie des succès pour ce pays.

Abashi SHAMAMBA
l’economiste

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