L’immigration, une chance pour la France

5 février 2007 - 15h42 - France - Ecrit par : L.A

Qui ne se souvient de la loi « Stasi » ? C’était en 2003, la France mettait « un genou à terre » devant une situation complexe : l’application du principe de laïcité dans la République. L’Hexagone bouillonnait, les débats se multipliaient, au point où Jacques Chirac mante au créneau…

Pourriez-vous revenir sur les circonstances dans lesquelles Jacques Chirac vous a confié l’élaboration d’un rapport sur le principe de laïcité dans la République ?

Tout d’abord, à titre personnel, j’ai toujours été extrêmement attaché à la laïcité. Lorsque le président de la République m’a sollicité pour créer une commission de réflexion sur l’application du principe de laïcité dans la République, j’ai été à la fois honoré mais, surtout déterminé quant à la conduite des travaux dont l’issue revêtait un enjeu de taille, celui de la paix et de la cohésion sociale de notre société. Autant dire que la tâche était ardue !

On se souvient que certains médias avaient accueillis froidement vos recommandations !

Je rappelle que nos propositions ont été bien accueillies par l’opinion publique, preuve en est avec la loi votée à l’unanimité. C’est vrai que la recommandation ayant trait à l’interdiction de signes religieux ostentatoires à l’école a, plus où moins, créé des légères tensions dans les rangs d’une certaine presse qui a saisi la balle au bond pour tenter de polémiquer, là où les Français ont fait bloc. Que voulez-vous ? C’est vrai que le port du voile ne correspondait pas à notre conception de la laïcité. Je tiens à dire que l’école est un lieu où nous apprenons à nos enfants les valeurs de la République, et ce quelques soient leurs religions. Ceux sont ces valeurs qui nous unissent ! La France est un pays divers et soudé par un ensemble de valeurs.

Cependant, il semblerait que la signification de laïcité n’est pas identique pour tous ?

La laïcité n’est pas contre les religions, c’est la liberté pour tous les citoyens d’avoir ou pas une religion dans un Etat sans religion officielle. Les piliers de la République que sont liberté, égalité, fraternité s’inscrivent et renforcent ce principe. L’égalité, c’est un traitement commun pour toutes les religions. La fraternité nous impose qu’au-delà de nos différences politiques, religieuses, ethniques,… nous devons vivre dans la fraternité. C’est aussi un chrétien qui vous parle.

Plus de 25 ans après la sortie de votre livre, « l’immigration, une chance pour la France », vous venez d’écrire un ouvrage avec le même titre. 1/4 de siècle s’est écoulé sans que la France ne vous ait écouté, c’est un peu ça le message ?

C’est la réaffirmation que la France ne serait pas ce qu’elle est sans les flux migratoires. Effectivement, si je reviens à la charge avec force, c’est pour rappeler, clamer et tonner sur l’enjeu, la chance et le privilège que de compter sur des populations aussi diverses que variées et qui vivent, cohabitent ensemble et qui participent au développement de notre pays.

Durant des années, je me suis investi au service de l’autre, que ce soit au niveau local, régional, national ou international. Je puis vous dire qu’à partir du moment où chacun respecte son prochain, le considère à sa juste valeur celle d’être un Homme à part entière, les choses sont simples et les relations saines. Si au contraire, de part et d’autre, on se nourrit de préjugés, d’idées reçues,…à quoi bon s’efforcer de faire semblant puisqu’on a décidé de ne pas s’aimer ?

Suite aux évènements tragiques qui ont secoué la planète et marqué l’histoire à tout jamais (11 septembre 2001, attentats de Casablanca, Madrid, Londres,…), Zapatero a impulsé la création d’un cercle de haut niveau chargé de faire des recommandations quant à la cohabitation harmonieuse des civilisations.

Il y a effectivement un risque, une menace, c’est évident. La laïcité, précisément, doit être un bouclier pour faire face à un choc des civilisations présenté comme tel par certaines personnes. Chacun doit prendre conscience, vraiment, que la diversité est une chance inouïe. Cette prise de conscience doit se faire à tous les étages de nos sociétés, elle doit être universelle et adopté par tous. Faute de quoi, nous allons passer notre temps à nous épier, à nous provoquer,…jusqu’au point de nous détester. Nous devons être des promoteurs de la paix dans le monde, des VRP porteurs de valeurs communes comme la morale et la raison et des ouvriers oeuvrant pour l’harmonie entre les peuples. A ce titre, la France et le Maroc ont un rôle majeur à jouer et à assumer. L’entente parfaite entre nos deux pays devrait servir d’exemple à travers le monde.

En 2004, vous avez accompagné le président Chirac lors de son voyage en Algérie où un accueil des plus chaleureux lui avait été réservé. Un mot sur ce déplacement ?

Tout à fait. Ce voyage en Algérie, un pays que je connais bien, a été tout simplement un moment inoubliable. Officiels et société civile ont assuré un comité d’accueil grandiose et haut en couleur à l’égard d’un chef d’Etat étranger. Je me souviens de l’immense émotion qui avait envahi Jacques Chirac. De mon côté, j’étais à la fois surpris et fier que l’Algérie, avec à sa tête le président Boutelfika, nous reçoivent avec les honneurs car c’était la France qui était ainsi saluéé, congratuléé, par le peuple algérien. C’était vraiment formidable !

Et votre degré de relation avec le Maroc ?

Quel pays agréable ! Je tiens à préciser que lorsque pour des raisons professionnelles ou privées, je ne peux me rendre au Maroc tout les deux, trois mois, je ressens un vide, un manque qui me pourrit la vie. Et je n’exagère pas ! Le pays est train de se construire, les réformes vont bon train, les orientations sont sages et constructives,… Bref, toutes les conditions sont réunies pour que le Royaume puisse relever les défis qui s’offrent à lui. En outre, et c’est un secret de polichinelle, Jacques Chirac a une relation affective avec le Maroc et son peuple. Pour preuve, le niveau de proximité avec Sa Majesté Mohammed VI, avec qui il entretient une relation toute particulière.

Pour ma part, je me sens plus proche du Maroc, de l’Algérie, que de la plupart des pays européens.

Pour revenir aux affaires franco-françaises et les récents évènements survenus dans les banlieues. Avec le recul, qu’en pensez-vous ?

Plusieurs niveaux de lectures sont possibles tant les raisons sont multiples. Cependant, cette situation a été l’expression des politiques publiques dédiées à l’intégration loupée. Je le dis et je le répète une fois de plus, nous devons être tous égaux et jouir des mêmes droits à partir du moment où chacun remplit ses devoirs. Pour être en adéquation avec ce cadre, indiscutable, nous devons lutter face à toutes formes de discriminations. Au début des années 1980, j’ai tiré la sonnette d’alarme contre ce fléau qui commençait à gangrener notre société d’où la rédaction de mon premier livre et son intitulé. Je ne peux concevoir qu’un traitement « à la carte » puisse prendre racine dans les esprits.

La sortie de votre livre coïncidait avec l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand et avec la montée en charge du FN. Son leader, Jean-marie Le Pen, vous a plusieurs fois pris pour cible, non ?

Oh oui ! Militants et élus du FN avaient crié au scandale, des mobilisations et des manifestations étaient organisées pour boycotter la sortie du livre. Je m’en souviens comme si c’était hier. Je voudrai préciser que ma démarche ne se voulait pas politique au sens « électoraliste » du terme mais, elle avait pour objectif de poser le débat sur l’intérêt majeur et prendre en considération la réalité de l’immigration afin de conduire des politiques favorisant l’intégration des jeunes issus de l’immigration. Car, déjà à ce moment là, la montée du FN était la résultante de ces questions non traitées.

Vous êtes donc toujours convaincu que l’immigration est une chance pour la France ?

Bien entendu ! Toutefois, deux conditions doivent être remplies. Primo, la volonté clairement affichée de vouloir s’intégrer par le respect des valeurs de la France. Secundo, la volonté sincère d’accueillir les migrants. Cela peut paraître simple mais, parfois, la réalité est tout autre.

Votre pronostic sur l’élection présidentielle 2007, « Sarko » ou « Ségo » ?

« Sarko ! »

Bernard Stasi, en bref

Né le 4 juillet 1930 à Reims (de père espagnol et de mère cubaine), Bernard Stasi est diplômé de l’ENA en 1959, il fut conseiller de différents ministres de 1963 à 1968, avant de devenir député de la Marne (1968/1973), puis de 1974 à 1993 sous l’étiquette du Centre des démocrates sociaux (qui devint une composante de l’UDF). Il a été vice-président de l’Assemblée nationale (1978/1983), président de la région Champagne-Ardenne (1981/1988), député européen (1994/1998) et Maire d’Epinay de 1970 à 1977 et de 1983 à 2000.

En outre, il fut ministre des Départements et Territoires d’Outre-mer dans le gouvernement Messmer II. Et de 1998 à 2004, il a occupé le mandat de Médiateur de la République, auquel titre il présida la commission « Stasi » chargée du rapport sur la laïcité en France. Bernard Stasi est membre du comité de parrainage de « la Coordination française pour la décennie » pour la culture de la paix et non-violence.

Pourquoi Chirac m’a choisi ?

A la question, pourquoi Chirac vous a choisi ? Bernard Stasi répond « peut-être car, tort où à raison, je suis perçu comme une personne consensuelle qui place l’intérêt général au dessus des intérêts politiques. Avec Jacques Chirac, nous avons une connivence de pensée. Je dis peut-être tout haut ce qu’il pense tout bas… ». Au rayon des anecdotes, le fervent défenseur de la laïcité revient sur une discussion strictement privée avec le président Boutelfika. « Alors que le projet de loi sur la laïcité poursuivait son chemin, le président algérien m’invitait à Alger pour lui expliquer la laïcité. Au fil des minutes, il déclarait, « mais alors, l’Algérie est un pays laïque ! ».

La Nouvelle Tribune - Rachid Hallaouy

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