Les mosquées après le 16 mai

7 juillet 2003 - 04h20 - Maroc - Ecrit par :

Certaines ont servi d′"écoles" aux kamikazes. Depuis,le pouvoir les surveille de près. Et ne sait pas vraiment quoi en faire .

Depuis le 16 mai, la question cruciale posée chaque vendredi dans les plus hautes sphères de l’Etat est la même : "quoi de neuf dans les mosquées ?". Depuis quelque temps, le contrôle est tellement strict, la présence des représentants des Habous si imposante, celle des forces occultes de sécurité si répétitive et les rapports de renseignement si expéditifs, que la réponse des 14.305 lieux de prédication est quasiment unanime : R.A.S. Dans cet intervalle, au moment où l’enquête officielle bat son plein, les services de sécurité ont eu carte blanche pour opérer le toilettage que nécessite le lendemain d’un drame national. Il en est résulté la fermeture pure et simple de centaines de garages et autres lieux de fortune où se réunissaient des bidonvillois, ou autres bannis des villes, pour prier. Plusieurs mosquées tenues par des particuliers (plus de 5 à Marrakech, 6 à Fès ...) ont été obligées de se séparer de prédicateurs zélotes dont les sermons injuriaient les juifs, excommuniaient le gouvernement ou encore critiquaient la politique pro-américaine de Rabat.
Entre-temps, le ministère de tutelle a pris le soin d’identifier les niches qui échappaient à son contrôle et procédé au remplacement des prédicateurs jugés indésirables, soit pour les écarter, comme ce fut le cas de Zemzemi à Casablanca (lire p. 27) soit pour les arrêter, comme Fizazi qui a "appelé au meurtre" à Tanger. Une fois cette vague de frénésie dépassée, plusieurs questions restent en suspens.

Quel statut pour les lieux de culte musulman ?

Leur statut est ambivalent, à plusieurs égards. Initialement, la mosquée est un lieu de prière, de quiétude et de refuge. Un horm, en arabe. Ceci ne suffit plus pour déterminer ce qu’est devenue la mosquée. Elle renferme trop d’enjeux politiques pour être réduite à un rôle exclusivement spirituel. Quels sont ces enjeux ? Il y a d’abord un rôle de légitimation politique. La prière étant faite au nom du roi, la mosquée est considérée par les oulémas comme un lieu d’allégeance régulier de la société envers Amir al mouminine. Depuis les années 70, l’Etat s’est senti concurrencé par des prêcheurs qui, au lieu de relayer son idéologie, se faisaient les porte-parole d’un islam plus rigoriste. C’est ce qui l’a amené à soumettre la construction des lieux de culte à l’approbation du gouverneur (dahir du 2/10/1984) et à fermer les mosquées entre les heures de prière. C’est ce qui a aussi motivé la construction de mosquées par l’Etat ou par souscriptions (Mosquée Hassan II), car ne l’oublions pas, à l’origine, les mosquées ont toujours été l’œuvre de donateurs privées. Cet interventionnisme n’a pas empêché deux phénomènes de se produire entre-temps : D’une part, la profusion de mosquées dans les quartiers périphériques, au point que le géographe Mohamed Nassiri trouve à Casablanca "une correspondance entre les lieux de protestation et les nouvelles agglomérations religieuses". D’autre part, la multiplication des canaux parallèles (mosquées privées récupérées en sous-main par des associations islamistes ...), dont les imams dits indépendants ont toujours eu beaucoup de succès pour leur populisme. D’où la question qui se pose aujourd’hui, comment maintenir le contrôle doctrinaire de l’Etat sur les mosquées sans braquer ou frustrer les populations ? La première réponse est d’ordre juridique et concerne l’interdiction de toute intervention partisane dans l’espace du rituel. Il n’y a qu’à voir à quel point le PJD cherche par tous les moyens à réfuter les attaques qui l’accusent d’avoir fait campagne dans les mosquées. La deuxième réponse, d’ordre religieux, consiste à exclure tout comportement aliénant, étranger au rite malékite, auquel les Marocains sont habitués depuis des siècles, pour créer une harmonie rituelle au sein des mosquées. La troisième, quasi démocratique, encore en gestation, consiste à mettre en place des conseils de mosquées, dans lesquels les habitants, clients, auraient leur mot à dire.

Quelle alternative au contrôle totalitaire du prêche ?

Connaissant fort bien l’exemple égyptien, l’islamologue Malika Zeghal précise qu’il "n’y a pas de contrôle absolu du prêche, mais juste des effets d’annonce à des moments cruciaux (appréciez le parallèle avec le 16 mai). Et que faire face à une énorme demande populaire de prêche non contrôlé, l’Etat doit relever le défi de trouver des prédicateurs aptes à être contrôlés et crédibles". Le Maroc a déjà connu au temps de Basri, une politique de prêches officiels, dictés, insipides. Aujourd’hui, pour éviter cette forme grossière de mise sous tutelle, le ministère des Habous prépare un bulletin mensuel qui donnerait des orientations générales aux imams et prédicateurs. "Ceci va juste être un levier de propagande et peut également décrédibiliser le prêche", estime Mohamed Tozy. Au ministère, la cause est entendue. L’approche à adopter vis à vis des prédicateurs "libres" est encore ambiguë. Elle comporte une part de dirigisme (lire p. 26). Elle comporte aussi une attitude libérale, selon laquelle "on ne doit pas sacrifier la liberté de prédication par une censure frileuse". Mais prise dans sa globalité, l’attitude est plutôt contraignante. Voilà le discours à peine conçu qui sera dorénavant servi aux prédicateurs : "Messieurs, sachant que vous êtes dans une société qui compte en son sein des instituions démocratiques (Parlement, médias ...), vous n’avez plus besoin de continuer à assumer toutes vos anciennes responsabilités d’Al amr bil maarouf wa annahy âni al mounkar (commandisme du bien et pourchas du mal*) quel que soit le contexte. Puisque le parlementaire le fait dans ses investigations, le journaliste par l’information et la dénonciation. Consacrez-vous, donc, à l’annonce des grands principes et à la promotion des règles de l’éthique. Cela vous mettra en garde contre la polémique, l’erreur d’appréciation du néophyte, l’erreur technique de jugement et la flagrante contradiction avec la politique de l’Etat". S’agit-il d’une auto-censure orchestrée ? C’en a tout l’air. Mais c’est aussi une manière, estime Tozy, de "les ramener à leur sphère de spécialité et les soumettre comme les journalistes à des lois contre la diffamation ou la diffusion de rumeurs". Mais cela ne limite-t-il pas la marge de manœuvre de ces prédicateurs indépendants ? Hier, l’immixtion de l’Etat était flagrante. Ali Kettani a été obligé de remettre à feu Hassan II les clés de sa mosquée le jour de la révocation de l’imam rebelle Zouhal. Aujourd’hui, elle se fait avec doigté, ou presque. Et elle risque, hélàs, de produire l’effet inverse. Puisque la demande en prêches qui collent à l’actualité risque d’être démultipliée. Et là, si ce ne sont pas des prédicateurs autorisés qui le font, les "clients du discours religieux" trouveront refuge devant des télévangélistes habiles, style Amr Khalid, ou d’autres encore plus ultra, comme Youssef El Qardaoui. En tous cas, l’offre existe hors des mosquées.

Quelles pistes le Maroc peut-il explorer ?

Il est clair que contrairement à l’Egypte qui a transformé Al Azhar en clergé et à la Tunisie qui a créé le Mufti de la République, le Maroc est le seul à avoir choisi de ne pas créer une instance centrale de ce genre. Quelles options lui reste-t-il, donc, pour réguler le champ religieux et maîtriser la relation Etat-société qui transite par le lieu de culte ? "Choisissant la voie de l’Etat de droit et du pluralisme, il ne peut que renforcer son arsenal juridique, par des lois contre l’atteinte à la liberté individuelle et doter ses conseils des oulémas d’un rôle plus effectif sur le terrain, en les amenant à ne pas se contenter de la cooptation par le roi lors des causeries religieuses", suggère M. Zeghal. Pour sa part, Tozy considère que l’enjeu est plus celui de la formation et de "la mise à niveau de ces oulémas. Pour le moment, ils sont en partie corrompus, en grande partie extrêmement conservateurs et proviennent parfois de filières qui en font plus des idéologues que des doctes". Ces garde-fous, le ministre de tutelle en est conscient. Mais il n’est pas dans une logique de rupture brusque avec le passé. Ce sur quoi il table est la réconciliation des Marocains avec l’Etat, afin que la demande actuelle d’un discours populiste baisse et qu’elle puisse être suppléée par un discours béatifiant. En attendant, il chercherait moins à chasser les critiques qu’à réconcilier les gens avec leur lieu de culte. Ce ne sont pour le moment que des intentions. Serait-il prêt à le désacraliser pour qu’il redevienne ce lieu d’échange, de savoir, de culture et de débat religieux, qu’il a toujours été, dans l’histoire du Maroc ? Sommes-nous prêts à franchir le pas ou trop frileux pour y songer ? La question reste en suspens.

* Traduction officielle de Jaquels Bercque

Telquel, Maroc

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Sujets associés : Terrorisme - Religion - Attentats de Casablanca

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