Maroc : Le tourisme roi

8 mai 2007 - 00h57 - Maroc - Ecrit par : L.A

Création de six stations balnéaires, rénovation des sites existants, libéralisation du ciel... Sous l’impulsion de Mohammed VI, le pays vise les 10 millions de vacanciers en 2010. Sans tomber dans le bas de gamme

’est un site sauvage et magnifique, battu par les vents, entre océan et végétation luxuriante. De la plage déserte on aperçoit un champs d’éoliennes et une ville blanche au charme décadent que survolent quelques mouettes : située à 8 kilomètres d’Essaouira, Mogador, l’une des futures stations balnéaires du plan Azur imaginées par le Maroc, commence à prendre forme. Les engins de levage ont déjà moulé le terrain de golf, les tracteurs débroussaillent les futurs emplacements des hôtels et des villas haut de gamme, prévus dès la fin de l’année prochaine.

Et il n’y a pas que Mogador. De Tanger à Agadir, en passant par El-Jadida, Fès, Casablanca ou Marrakech, partout les grues et les bulldozers sont à l’œuvre. Un développement à marche forcée depuis que Mohammed VI a, le 10 janvier 2001, fixé le cap : 10 millions de vacanciers en 2010, avec la création de six stations au bord de la mer, la rénovation des villes existantes et la libéralisation du ciel. Six ans plus tard, à mi-chemin de la Vision 2010, ce pari audacieux est en passe d’être gagné. Déjà 6,6 millions de visiteurs se pressent au Maroc, tandis que les investisseurs accourent du monde entier pour construire le nouveau royaume du tourisme balnéaire.

« Impensable ! Inaccessible ! » Avec ses petites lunettes rondes qui lui donnent un air juvénile, Amyn Alami, PDG de la banque d’affaires CFG (Casablanca Finance Group) et rédacteur de la Vision 2010, se souvient encore avec amusement du scepticisme avec lequel ses propositions avaient été accueillies.

Pour les amateurs de mer et de soleil, il n’y avait qu’Agadir

« Bien sûr, cela semblait fou, à l’époque. Mais on ne peut pas décoller avec de petites ambitions. Il fallait rêver un futur idéal pour provoquer un vrai sursaut », plaide ce quadragénaire passionné. Une secousse salvatrice. Apprécié des Français - ce sont les premiers visiteurs du pays - le tourisme marocain, avec ses 2,3 millions de vacanciers par an, ne réussissait pas à décoller. « Nos produits, comme le circuit des villes impériales, avaient vieilli. Et il ne se passait plus rien », résume un professionnel. « Nous avions deux décennies de retard », renchérit Jalil Benabbes Taarji, président de la Fédération nationale du tourisme. De toute évidence, le Maroc devait reconfigurer son offre pour coller aux attentes des Européens. Avec une vraie priorité : créer de nouvelles stations. « Malgré nos 3 500 kilomètres de côtes, nous n’avions, en quarante ans, construit qu’un seul endroit consacré aux amateurs de soleil et de mer : Agadir », observe Jawad Ziyat, patron de Jet4you, la compagnie low cost de l’allemand TUI au Maroc et ancien directeur des investissements au ministère du Tourisme. Jusqu’ici, lorsque les touristes britanniques, allemands ou espagnols voulaient s’offrir des séjours balnéaires (le choix de 60% des vacanciers), ils pensaient en priorité à la Turquie, à la Tunisie ou à la Grèce. C’est cette clientèle familiale que le royaume aimerait aujourd’hui récupérer. « Elle est clairement devenue notre cœur de cible », martèle Adil Douiri, ministre marocain du Tourisme. C’est pourquoi Mazagan, Taghazout, Mogador, Lixus et Plage-Blanche pour l’océan Atlantique, Saidia pour la Méditerranée, qui verront le jour d’ici à 2010, sont au cœur du dispositif.

On ne retouche pas la géographie du pays simplement parce qu’on a la folie des grandeurs. Si le Maroc prévoit la création ex nihilo de véritables villes et le toilettage d’endroits mythiques comme Fès ou Tanger, c’est pour préparer l’avenir. « Le tourisme est une industrie transversale dont les effets se répandent sur tous les autres secteurs de l’économie, explique Amyn Alami : ce n’est pas un hasard si l’Espagne ou la Grèce sont entrées dans la Communauté européenne vingt ans après leur essor touristique. » Or, pour réussir, il fallait un vrai plan de bataille. « Auparavant, se moque Jalil Benabbes Taarji, il y avait autant d’idées que d’experts. La Vision 2010, elle, a le mérite de la cohérence. »

Ce modèle ambitieux aurait sans doute eu du mal à voir le jour sans la volonté de Mohammed VI, qui a permis de transformer le rêve en réalité. « Le projet, muni du sceau royal, a mobilisé une immense énergie », s’enthousiaste Amyn Alami. Sous l’impulsion du souverain, un partenariat public-privé, inédit, s’est mis en place.

Des vols Casablanca-Paris à 48 euros

L’accord a été signé cinquante jours après l’attentat du 11 septembre 2001, en dépit des craintes que l’on pouvait alors nourrir pour le développement du tourisme mondial. Les attentats de mars 2003 à Casablanca et le démantèlement, au cours des dernières années, de plusieurs cellules salafistes - de jeunes kamikazes se sont fait sauter le mois dernier avec leur ceinture d’explosifs - n’ont pas fait fléchir cette détermination. La monarchie y a mis les moyens. « Son implication s’est notamment traduite par une allocation du Fonds Hassan II (150 millions d’euros) pour des projets d’infrastructure », explique le ministre du Tourisme. Une dynamique qui a convaincu des investisseurs tels que Colony Capital (Taghazout), Fadésa (Saidia et Plage-Blanche) et Risma (Mogador).

« Aujourd’hui, tous les verrous ont sauté », affirme Adil Douiri. Après le foncier, l’afflux de capitaux étrangers et l’implication des banques marocaines - qui, elles, ont un peu tardé - le ciel lui-même s’est enfin libéralisé. « Une décision clef », assure le ministre du Tourisme. « On ne pouvait faire venir autant de monde en préservant le monopole de Royal Air Maroc [RAM] ! » s’exclame un professionnel. C’est surtout l’arrivée des compagnies à bas coût qui constitue la véritable révolution. Outre EasyJet et Ryanair, des acteurs locaux tels qu’Atlas Blue (émanation de RAM) et Jet4you sont désormais de la partie. La baisse tarifaire a été si radicale que les Marocains ont eu du mal à y croire. « Lorsque nous avons proposé un Casablanca-Paris à 480 dirhams [48 €], beaucoup nous ont appelés pour nous demander si le trajet se faisait en car ! » raconte Jawad Ziyat. « Cette émulation va permettre l’augmentation de la clientèle individuelle », se réjouit Amyn Alami. « Beaucoup de golfeurs européens utilisent les vols low cost », confirme Rachid Satori, directeur du Sofitel d’El-Jadida, qui dispose d’un des plus beaux terrains de golf du Maroc.« Le succès appelle le succès », constate Kamal Bensouda, PDG d’Atlas Hospitality, filiale de RAM et deuxième groupe hôtelier du Maroc derrière Accor. Certaines zones, parmi les plus touristiques, sont menacées de surcapacité. Comme à Marrakech.

Paradis des jet-setters de tous horizons, la Ville ocre a aujourd’hui la fièvre. Les immeubles en construction sont si nombreux que, pour un peu, ils cacheraient l’Atlas. Vitrine du Maroc, Marrakech est victime d’un engouement excessif, avec une spéculation immobilière effrénée, un pittoresque qui tend à disparaître et des embouteillages dignes de Paris. Attirés par les paillettes et la clientèle richissime, tous les grands hôteliers ont décidé de s’y installer, de Four Seasons au Ritz-Carlton, en passant par Lucien Barrière, qui va ouvrir un établissement de 86 chambres et construire 30 riyads de luxe. « En 2000, Marrakech possédait 8 000 lits. Quatre ans plus tard, elle en affichait 16 000. Et on parle de 32 000 pour 2010, soit presque autant que Rome ou Londres. C’est absurde ! » tempête un expert. Ces chiffres sont d’autant plus fous que le plan prévoyait bien pour la ville impériale 16 000 lits... mais seulement en 2010 ! « La ville joue perso ! » s’emporte un hôtelier.

Le piège du tourisme de masse devrait être évité.

Une accusation que le wali de Marrakech, Mounir Chraïbi, repousse d’un revers de main : « Nous avons dépassé les capacités programmées, mais le gouvernement nous a autorisés à décrocher », proteste-t-il. Et d’énumérer une liste de projets étourdissants, représentant 3 milliards de dollars (2,2 milliards d’euros) en 2005 et 4 milliards de dollars (3 milliards d’euros) en 2006. Cette boulimie arrange les autorités, car « elle permet, dénonce un expert, de compenser le retard dans la construction des stations balnéaires ». Pour le moment, la ville star affiche complet. Mais qu’en sera-t-il demain ? « Il ne faut pas tomber dans le piège espagnol du tourisme de masse », prévient un professionnel du secteur.

Une dérive possible lorsqu’un pays développe trop rapidement son tourisme, comme l’Espagne des années 1960. Pour le Maroc, le dilemme est douloureux. Comment garder des recettes exceptionnelles par tête de vacancier - 1 200 euros par séjour, contre de 400 à 500 euros pour le reste du pourtour méditerranéen - tout en voulant faire exploser la fréquentation ? Et, interroge un spécialiste, « comment trouver sa place entre le modèle de l’île Maurice, qui freine les implantations, et celui de la Turquie, qui espère 40 millions de touristes en 2012 ? »

Le Maroc promet aujourd’hui qu’il évitera les écueils de ses voisins. « Nous ne visons pas 30 millions de visiteurs », plaide Amyn Alami, qui prône un « balnéaire intelligent », comme à Mogador, la station qu’il aménage avec Risma. « Avec 10% de constructions, ce sera le plan d’occupation des sols le plus faible du monde », assure André Azoulay, l’âme du renouveau d’Essaouira et conseiller du roi. « Ni notre infrastructure, qui privilégie les quatre-étoiles, ni le prix du foncier ne permettent un tourisme bas de gamme », affirme Abbas Azzouzi, directeur général de l’Office national marocain du tourisme.

Pour l’instant, le Maroc préfère se féliciter de ses résultats encourageants. « Le pays a rattrapé son retard. De produit de niche il s’est transformé en destination à part entière », se félicite Faouzi Zemrani, président de la Fédération nationale des agences de voyages du Maroc. Et ce n’est pas fini. « Dès 2009, révèle le ministre du Tourisme, la Vision 2020 verra le jour. » Abbas Azzouzi, quant à lui, rêve déjà aux stations balnéaires qui pourraient voir le jour sur les 1 500 kilomètres de côtes du Sahara, au sud d’Agadir... Encore faudrait-il que la guerre des sables, qui empoisonne depuis plus de trente ans les relations entre le Maroc et l’Algérie, trouve enfin une solution.

Accor voit grand

C’était en 1996, lors d’une rencontre entre Hassan II et Jacques Chirac. Au roi, qui se plaignait du manque d’empressement des entreprises européennes au Maroc, le président français avait répondu qu’il allait lui envoyer son « hôtelier préféré ». C’est ainsi que Gérard Pélisson, patron cofondateur d’Accor, reçu en audience royale, signait, la même année, un accord avec le gouvernement marocain. Dix ans plus tard, Accor est devenu le premier hôtelier du Maroc, avec plus de 3 000 chambres et 1 million de nuitées. Sous la houlette de Marc Thépot, PDG d’Accor Maroc depuis 2001, le groupe a multiplié les projets, comme le mégacomplexe de Casa City (750 chambres prévues). Mais Accor n’est pas seulement un opérateur. « Il prend des risques, via son fonds d’investissement Risma », apprécie un banquier. Dans le cadre de la Vision 2010, l’hôtelier participe à l’aménagement de Mogador, près d’Essaouira. « Nous sommes devenus une locomotive pour le pays, affirme Marc Thépot. Ici, c’est ce qu’on appelle un lièvre. » Mais pas celui de La Fontaine. Accor, lui, est parti à point pour arriver le premier…

Profession butler

Il arrive, tout souriant, sur sa voiturette électrique, prêt à satisfaire les moindres caprices de ses clients. Antoine, un jeune Français de 27 ans aux lunettes rondes, est butler - majordome - à l’hôtel Es Saadi, à Marrakech. Un drôle de métier, déjà pratiqué dans les grands palaces de l’île Maurice ou de Thaïlande, qui consiste à se mettre, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, au service de vacanciers aussi riches qu’exigeants. Le butler peut aussi bien apporter une assiette de pâtisseries à 4 heures du matin que réserver des places pour un spectacle. Antoine, lui, s’occupe de la dizaine de villas somptueuses - de la Favorite aux Mille et Une Nuits - construites dans le parc de l’établissement. Mais, pour profiter de ces petits palais avec piscine privée et de la bonne humeur du jeune Français en uniforme violet, il faut pouvoir investir de 10 000 à 15 000 dirhams pour une seule nuit, soit entre 1 000 et 1 500 euros.

L’Express - Corinne Scemama

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