Balade dans le monde des Marocains de Bruxelles

30 novembre 2007 - 00h22 - Belgique - Ecrit par : L.A

Dimanche 18 novembre. La capitale belge connaissait un froid glacial sous un soleil tamisé. Mon arrivée à Bruxelles a coïncidé avec une grande marche organisée par les défenseurs d’une Belgique unie. Elle a rassemblé environ 50.000 manifestants, selon le chiffre avancé par le chauffeur de taxi qui me transportait de l’aéroport à mon hôtel. Pour y arriver, il était obligé de faire un détour énorme. Après avoir déposé mes bagages dans ma chambre, j’ai décidé d’aller faire un tour dans les quartiers où résident les Marocains, histoire de tâter le pouls pour savoir ce qu’ils pensent du Maroc, leur pays d’origine.

Nos ressortissants constituent la deuxième communauté étrangère en Belgique, après les Italiens. Ils sont médecins, pharmaciens, avocats, techniciens de l’informatique, professeurs, hauts cadres, députés et même ministres, qui vivent en parfaite intégration dans la communauté belge, constituée de Flamands et de Wallons. D’autres sont employés dans l’immobilier, l’hôtellerie et la restauration.

Le "pays des bonnes frites" compte, en tout, 300.000 ressortissants marocains. Ce chiffre ne comprend pas la troisième génération qui acquiert automatiquement la nationalité belge, au nombre de 100.000, ni les Marocains vivant dans la clandestinité. Nombre d’entre eux bénéficient de la double nationalité. Une grande majorité réside à Bruxelles, principalement dans sept communes populaires comme Molenbeek-Saint-Jean, Saint-Josse-ten-Noode ou Schaerbeek. Il existe aussi une grande concentration de Marocains venus surtout des régions de l’Oriental, du Rif, de Tanger, des provinces de Tiznit et du Souss.

Et c’est avec une grande fierté qu’on évoque le jumelage entre la commune de Molenbeek-Saint-Jean et la commune d’Oujda Sidi Ziane. D’autres Marocains vivent en Flandre et en Wallonie, autour d’Anvers et de Gand. Ils sont devenus, grâce à cette politique d’ouverture, une vraie communauté intégrée, loin du concept étriqué de minorité d’immigrés repliés sur eux-mêmes.

Farid El Ghrich, journaliste, est venu depuis plus d’un mois directement de Bruxelles pour s’installer au Maroc. Il porte un regard, à la fois témoin et contemplatif : "J’ai passé plus d’un quart de siècle au plat pays qui est le mien, grâce -rétroactivement- à mes deux gouvernements respectifs, belge et marocain, qui se sont mis d’accord en février 1964 pour que je puisse voir le jour là-bas". Un autre Marocain, natif de Bruxelles, donne, lui aussi, un très bon exemple de réussite professionnelle. Rachid, 27 ans, travaille comme serveur au restaurant de l’Organisation de l’alliance atlantique nord (OTAN), et ne parle que le français et le rifain. Ses parents sont originaires de la région d’Al Hoceima. "J’ai visité Al Hoceima, pour la première fois, l’année dernière et j’ai bien aimé le paysage. Toute ma famille est ici en Belgique.

J’ai constaté que la ville racontée par mes parents est tout à fait une autre aujourd’hui. J’aimerais bien y retourner un jour". A proximité de la gare ferroviaire de Bruxelles-Midi, sur l’avenue de Stalingrad où se trouvent plusieurs établissements commerciaux appartenant à des Marocains, l’ambiance est plutôt bon enfant. Les cafés et les bistros du coin sont pleins à craquer de ces jeunes qui jouent aux cartes et d’autres qui évoquent la nostalgie du bled. La plupart se retrouvent chaque jour au salon de thé "Al Amana" ou à la crémerie "Marrakech".

Certains d’entre eux ne parlent pas l’arabe, mais arrivent à s’adapter à une société aux changements profonds. "Mrahba, Khouya", (Bienvenue, mon frère), me lance Rahim, propriétaire d’un petit snack à "durum" et frites, bien situé au centre de la ville, pas très loin de la fameuse place de la Bourse. Le "durum", sorte de merguez est fort apprécié par les Marocains, tandis que la frite fait partie du patrimoine culinaire et culturel des Belges. Leur amour pour cet aliment savoureusement peu diététique est d’ailleurs sans limite. Il faisait moins de quatre degrés dehors et son accueil réchauffe le cœur. "Je suis très content de te recevoir. Moi, je suis natif de Nador et ça fait une dizaine d’années que je vis en Belgique. J’ai habité Anvers, Liège et Namur avant de m’installer définitivement à Bruxelles", me renseigne-t-il. A son côté, Abdeljalil, chauffeur de bus, âgé de 26 ans, venu acheter un sandwich, réplique que "l’intégration se passe plutôt bien. Et les Belges ne sont pas tous racistes.

Il suffit d’avoir une vie décente pour qu’on te respecte". Pourtant, Olivier Bailly, journaliste belge écrivait qu’il était "difficile de chiffrer les discriminations subies par la nouvelle génération de Belges d’origine marocaine". A cette discrimination à l’embauche, liée à la discrimination à la formation, s’ajoutent les frustrations quotidiennes. M. Allouchi, 27 ans, vit depuis toujours dans le centre de Bruxelles. Travailleur social, acteur et metteur en scène, il se sent Belge, sauf quand il se voit "Marocain dans le regard de l’autre". Entre 18 et 24 ans, il a expérimenté les contrôles policiers incessants. "Je comprends pourquoi : si le signalement de la personne recherchée mentionne un jeune d’origine marocaine, ils ne vont pas arrêter des blonds". Ahmed Medhoune, chercheur à l’Université libre de Bruxelles (ULB), parle d’"identités abîmées".

Il soutient que "les Marocains forment principalement un groupe d’immigrés économiques. Ils se situent en bas de la hiérarchie économique, étant issus d’un pays en voie de développement – même si son essor économique est rapide. Ils pâtissent des nombreux stéréotypes véhiculés à leur sujet. L’élève marocain a un statut particulier : son capital symbolique diffère de celui de l’élève belge, même défavorisé, dans la mesure où il cumule migration économique et culture musulmane".

L’avenue Stalingrad dispose aussi de supermarchés à la marocaine, de salons de coiffure et des agences de voyages. Cependant, les habitants et le quartier Midi sont confrontés à un problème d’expropriation. Plusieurs maisons mitoyennes ont été détruites pour lancer des chantiers d’Espace Midi et d’Atenor-BPI. Des projets jugés modernes et porteurs par la région. Saïda, pharmacienne raconte le calvaire de sa famille, priée de quitter le logement témoin de sa naissance. "Sans préavis, les autorités locales ont commencé à démolir les maisons concernées par l’expropriation. Mon père a été obligé de nous trouver une autre habitation de location ailleurs. C’est inhumain !".

Le problème des clandestins revient aussi souvent dans mes discussions avec les ressortissants marocains de Belgique. "Sans gouvernement et faute de critères de régularisation, l’Etat belge, son ministère de l’Intérieur et son office continuent leur travail : arrestations et rafles, enfermements et expulsions de personnes étrangères, qui pourtant ne demandent qu’à pouvoir participer et contribuer positivement au développement de ce pays", s’indigne Iqbal, la trentaine. Soutenus par de nombreux syndicalistes, militants associatifs, intellectuels et des foules de citoyens, des centaines de sans-papiers marocains organisent régulièrement marches et sit-in pour la régularisation de leur situation.

De l’autre côté de la ville, la rue du Brabant, parallèle à une entrée secondaire de la gare du Nord située dans le fameux quartier de Schaerbeek, plusieurs commerces ressemblent à ceux de Derb Omar à Casablanca. Il s’agit d’une longue rue avec un tas de magasins tenus principalement par des Marocains et des Turcs. Là, on peut acheter les textiles, babioles, décors, tapis, lustres… Les clients sont aussi originaires du Maroc. Les commerçants dans cet espace réalisent des chiffres d’affaires impressionnants, d’après les dires de certains.

Très critiques, ces derniers ne cachent pas leur amertume quand on évoque les opportunités d’emploi à Bruxelles et l’éventualité d’un retour au bled. Certains d’entre eux se contentent encore de percevoir des allocations de chômage. Il faut noter que si le chômage touche davantage les non-Belges, Marocains et Turcs constituent à eux seuls 33,7% des chômeurs étrangers, alors qu’ils ne représentent que 18,9 % de cette catégorie de la population. "Je regrette que l’on pense à nous seulement à l’occasion de la journée nationale, célébrée le 10 août", me lance Samir, encore chômeur à l’âge de 29 ans.

Le Matin - El Mahjoub Rouane

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