Nadia Yassine

29 octobre 2005 - 18h13 - Politique - Ecrit par : Bladi.net

La succession possible de Abdeslam Yassine par sa fille Nadia, si elle se confirme et surtout si elle se réalise, sera une première dans le monde arabo-islamique. Mieux, une révolution culturelle.

Nadia Yassine, est-elle une image ou une réalité, un phénomène médiatique ou un vrai personnage politique ? La fille du chef de file islamiste, Abdeslam Yassine, accepte volontiers les interviews dans la presse écrite comme à la télévision, nationales ou étrangères. Ce qui lui a valu des épithètes affectueuses et ambigues, telles “égérie des islamistes” ou “pasionaria de l’islamisme”. Cette présence soutenue dans les médias a fait d’elle également, peut-être même à son corps défendant, l’héritière éventuelle de son père, à la tête d’Al Adl Wal Ihsane.

Visage avenant, maquillage discret, allure soignée sous l’enveloppe du voile et du vestimentaire de rigueur, parfaitement bilingue, la quarantaine à peine, cette jeune mère de quatre enfants ne cache pas son plaisir d’épouser les idées du Cheikh et de les exprimer dans le français châtié d’une ancienne élève du lycée Descartes de Rabat. La succession possible de Abdeslam Yassine par sa fille Nadia, si elle se confirme et surtout si elle se réalise, sera une première dans le monde arabo-islamique. Mieux, une révolution culturelle.

Rien que son évocation a déjà fait couler beaucoup d’encre et suscité plusieurs réactions. Cette éventualité est une impossibilité absolue pour les uns ; elle est par contre, souhaitable et même faisable pour les autres. Dans le camp de “à l’impossible nul n’est tenu”, on met en avant la doctrine en appelant à la rescousse la tradition. Les tenants de la pureté doctrinale, soutiennent que le dogme sunnite-malekite, à la différence du rite chiite, n’admet pas que la femme accède aux postes de pouvoir, encore moins qu’elle soit l’incarnation féminine de la fonction de guide spirituel. Quant à une « imama » de fait, elle est proprement impensable. On pourra toujours leur objecter que nous avons au Maroc des femmes juges et des femmes ministres, sans parler des charges d’autorités supérieures, civiles et militaires.

Ils vous répondent à l’unisson que, justement, l’organisation de l’État et de la société marocaines tient plus de la laïcité que d’une réplique parfaite du modèle islamique. L’idée même qu’une femme puisse diriger une jamâa islamia telle qu’Al Adl Wal Ihsane, est une hérésie inconcevable ; c’est un péché rien que d’y penser. Sauf que l’association de cheikh Yassine, si elle est hermétique, elle n’est pas pour autant monolithique. Elle n’est peut-être pas traversée par des courants très différenciés, mais des sensibilité assez nuancées y existent.

Incroyable mais vrai, il y a des féministes même parmi les barbus, à leur manière, bien sûr. Nadia pourrait en tirer profit. D’ores et déjà, elle peut compter sur la section de Casablanca qui lui est acquise ; sur les 20% de femmes dans les instances dirigeantes et sur quelques hommes influents dans les trois majliss (conseils) de délibération et de décision, tels Abdelwahad Moutawakil, Mounir Regragui, Mohamed El Abbadi, et son propre mari Abdellah Chibani. Il y aurait même un projet de révision de la charte de l’association, pour actualiser et moderniser le statut et l’image de la femme islamiste.

Nadia Yassine pourrait très bien être portée par ce féminisme rugueux et balbutiant. Elle s’en défend, évidemment, mais elle fait tout pour, et elle en a les moyens. Son dynamisme, sa facilité verbale, son à propos qui confirme à l’érudition, son sens de la rhétorique et son charme, jouent pour elle. De l’avis de ceux qui la connaissent ou qui la côtoient, “Nadia la bougeotte” jouit d’un respect indéniable parmi les siens et d’un sentiment où se mêlent curiosité et sympathie, dans l’opinion publique.

Dans ses multiples entretiens avec la presse, “Nadia la belle parleuse” n’a pas la langue dans sa poche. Ses critiques sont bien tournées mais virulentes. Tout y passe : la monarchie, le Premier ministre, le gouvernement, les partis politiques, le parlement... C’est à qui en prend pour son statut, et à qui en prend pour son grade. Plus politique que la militance islamiste de Nadia Yassine, il y en a peu ou pas du tout.

En fait, l’enjeu d’une femme cheftaine de l’une des factions les plus radicales de l’islamisme politique marocain, dépasse la personne de Nadia Yassine. Vu l’internationalisation du phénomène islamiste et ses dernières conséquences dramatiques depuis le 11 septembre 2001, moderniser l’islamisme en le féminisant est un message fort, une carte de visite séduisante à l’adresse du monde occidental. Nadia l’a parfaitement compris, d’où ses fréquentes déclarations à la presse étrangère. Tout compte fait, dès lors que l’islamisme politique est une donnée réelle et incontournable, ne vaut-il pas mieux qu’il soit conduit par une femme, le sourire en prime, que par un poilu hargneux et vociférant ! D’autant que cela confirmerait, un peu plus, « l’exception marocaine » en la matière.

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