Réalisme néerlandais et immigration

31 mai 2009 - 13h33 - Monde - Ecrit par : L.A

Les Pays-Bas ont mis au point depuis 2006 un test d’intégration pour les immigrants qui désirent s’y installer durablement. Alors ministre de l’intérieur, Nicolas Sarkozy citait cette mesure en exemple.

Les règles de l’inburgering ("entrée en citoyenneté") sont les plus sévères d’Europe. Approuvées par la plupart des formations politiques, hormis les Verts, elles ont été critiquées, parfois sévèrement, par des associations et des intellectuels. Ils déploraient que les thèmes des populistes et de leurs leaders successifs (Pim Fortuyn avant-hier ; Rita Verdonk hier ; Geert Wilders aujourd’hui) irriguent toute la classe dirigeante.

La justice a, elle aussi, fait entendre une voix discordante. En 2008, un tribunal a autorisé une jeune Marocaine à bénéficier d’un titre de séjour provisoire. Elle n’avait pu satisfaire à la double épreuve imposée - langue et culture. Et pour cause : elle était analphabète. Un autre juge a estimé que l’on ne pouvait, sans contrevenir aux directives européennes, imposer à une jeune Sri-Lankaise de disposer, dès son arrivée, de 120% du revenu mensuel minimum en vigueur aux Pays-Bas, comme le prévoit la loi.

Les autorités ont toutefois maintenu leur épreuve d’"entrée en citoyenneté". Celle-ci se déroule d’abord dans le pays d’origine, ou plus précisément à l’ambassade ou au consulat des Pays-Bas. Ensuite, pour ceux qui ont franchi le premier cap, dans une administration néerlandaise, cinq ans au maximum après l’arrivée dans le pays. L’objectif du gouvernement de centre droit au pouvoir jusqu’en 2006 était un peu trop transparent. Sous couvert de favoriser une meilleure intégration des étrangers par une connaissance du néerlandais et des rudiments de la vie en commun, il cherchait à réduire la pression des populistes et de tous les inquiets, martelant, comme Pim Fortuyn, que les Pays-Bas étaient "pleins". En clair, qu’il fallait resserrer très fortement le robinet de l’immigration, ce thème devenu le point de focalisation de la discussion publique.

L’assassinat du cinéaste Theo Van Gogh par un islamiste d’origine marocaine, l’épisode Ayaan Hirsi Ali, la députée d’origine somalienne dénonçant l’aveuglement et l’absence de réelle politique face aux dérives religieuses, le film anti-islam Fitna, de Geert Wilders... Tout cela fait un peu trop, pour un pays guère habitué aux débats polarisés. "La paix à la néerlandaise, souvent confondue avec l’harmonie, est perturbée. Ce pays a perdu ses repères et sa cohésion", dit le politologue Jos de Beus.

Des responsables ont d’ailleurs vite estimé qu’il fallait aller au-delà du test citoyen. Ils évoquent la nécessité d’un niveau d’éducation "suffisant" pour les migrants. Rita Verdonk, ancienne ministre de l’intégration et fondatrice de la formation Fier des Pays-Bas, estimait qu’il fallait généraliser l’épreuve d’admission à 250.000 personnes déjà installées aux Pays-Bas. Voire obliger tout un chacun à parler le néerlandais dans la rue. Le Parti libéral a proposé des tests ADN pour les femmes et les enfants candidats au regroupement. A Rotterdam, certains ont suggéré l’exil des jeunes (étrangers) violents dans des "campus" aux allures de camps de redressement ou l’expulsion des voisins (étrangers) trop bruyants vers la périphérie de la ville.

Dans un tel climat, les tests sont apparus comme de simples pièges, un faux nez inventé par un pays passé de trop de tolérance à trop d’intolérance. Leur principe, leur contenu, leur coût (350 euros, plus 70 euros pour le DVD, réalisé en 14 langues, qui permet de préparer l’épreuve) ont été dénoncés comme autant d’abus.

Pour en savoir vraiment plus, un journaliste flamand, Steven De Foer, ancien correspondant aux Pays-Bas du quotidien belge De Standaard, a eu l’idée d’enquêter en passant lui-même l’épreuve. Il a publié son récit dans le dernier numéro de la revue culturelle Ons Erfdeel, qui, en Flandre, oeuvre au rapprochement des cultures flamande, néerlandaise et française.

Joliment intitulé "Liberté religieuse, poitrine dénudée et vélo", l’article offre une vision plutôt positive. Le journaliste conseille même à d’autres pays - et en tout cas à sa région, la Flandre - de s’en inspirer.

En vérité, il n’a trouvé aucun excès et peu de clichés - du genre sabots, moulins à vent, tulipes et chou à la sauce blanche, l’un des plats nationaux - dans l’exposé de 100 minutes du DVD Naar Nederland - "Vers les Pays-Bas". Il a aimé les messages explicites, comme celui qui évoque les mauvaises conditions de logement des étrangers ou la maîtrise insuffisante de la langue nationale, "qui conduit à un chômage important, des problèmes de drogue et des bagarres dans les quartiers".

Assortis de conseils très pratiques et, donc, bien "néerlandais" - arriver à l’heure à un rendez-vous d’embauche, laisser ouverts les rideaux de la maison, bien utiliser les moyens de prévenir des maladies pour réduire le coût de la Sécu... -, le film cadre des sujets plus fondamentaux. L’indéfectible liberté religieuse - valant pour toutes les religions -, l’égalité hommes-femmes, la liberté des moeurs - d’où l’image d’une poitrine dénudée sur une plage.

Les critiques n’étaient-elles pas fondées, elles qui décrivaient les tests comme un moyen d’effrayer certains candidats ? "Pas vraiment", écrit Steven De Foer. "Les avertissements sont raisonnables, et souvent adoucis. Parlons plutôt d’une leçon de réalisme", dit-il. Une autre notion bien "néerlandaise"...

Source : Le Monde - Jean-Pierre Stroobants

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