Tanger et ses écrivains

18 décembre 2007 - 15h08 - Culture - Ecrit par : L.A

Ils sont nombreux les grands noms de la littérature à avoir séjourné à Tanger. Durant presque un siècle, la cité du détroit a été le théâtre de flâneries littéraires, de joutes verbales, d’intrigues, de sorties, de folies entre création, amour, désespoir et autres mythes urbains. Retour sur quelques épisodes inoubliables de la vie littéraire de Tanger.

Dans une conversation avec David Cronenberg, réalisateur du Festin Nu, son auteur, William Burroughs, disait sur le plateau de tournage devant une machine à écrire qui prendra toutes les variations de ses fantasmes, que « c’est à Tanger que j’ai rêvé d’une folie aussi crédible. Oui, un écrivain aux prises avec ses propres démons, comme moi quand je marchais tard dans la nuit, ivre et perdu dans les ruelles du soco. Oui, ce festin était le mien aussi ». Texte repris par Allen Ginsberg lors d’un passage télévisé où il était question de quelques poèmes écrits aussi à Tanger, pas loin de la plage, entre le Malabata et la gare ferroviaire. Mais pourquoi cette attirance pour Tanger ? Pourquoi un tel engouement ? Une espèce de folie créatrice qui s’empare d’un lieu et en suce le suc pour accoucher de quelques pages inoubliables de la littérature mondiale ?

Pour ne citer que quelques figures tutélaires de l’écriture du XXème siècle, on s’arrêtera à une liste restreinte autant il est difficile, même pour les historiens américains qui ont fait de nombreuses études sur l’apport de la ville de Tanger sur la littérature américaine moderne, de savoir qui a été réellement dans la ville.

Le sens de la liberté

Et cela a posé problème pour relater des faits sur la genèse de quelques livres modernes. On ne saura jamais où a été réellement écrit le ticket qui explosa de William Burroughs, pas plus qu’on ne saura si Allen Ginsberg à écrit The Howl dans un bar de Tanger ou à Coney Island. Reste que les écrivains qui ont marché dans cette ville sont légion, et pas des moindres.

De Truman Capote à Jack Kerouac en passant par Antoine de Saint-Exupéry, Tennessee Williams, Paul Morand, Roland Barthes, Jean Genet, Marguerite Yourcenar, Paul Bowles et Joseph Kessel, ce sont là de grandes figures du monde de la littérature, qui ont un jour décidé de venir vivre à Tanger et de sillonner aussi le Maroc pour rendre compte, dans plusieurs notes de voyage, de l’importance d’une telle escale dans leur vie d’hommes de Lettres. On lit dans une préface à un livre sur Tanger sorti aux USA, que ce sont ses passages répétés dans le café Hafa, qui ont donné naissance à une autre forme d’approche de la population tangéroise. « Il aimait venir boire un thé à la menthe et fumer le narguilé face au détroit de Gibraltar », se rappelle Simon-Pierre Hamelin, le responsable de la librairie des Colonnes.

Un monument à Tanger où pas uniquement Genet avait ses habitudes, mais tant d’autres noms. Entre le café Hafa et le centre ville, Genet avait le temps : « De rencontrer des hommes, des femmes, des gamins à qui il parlait, et souvent, au fil d’une discussion, il finissait dans un salon à boire un thé ou à manger en famille. Il s’était crée de nombreuses familles à Tanger ». De son côté, Paul Bowles, l’auteur d’Un thé au Sahara, venait souvent dans la même librairie : « C’est là qu’il rencontra Mohamed Choukri, un analphabète devenu grâce à lui un écrivain marocain reconnu », ajoute Simon-Pierre Hamelin. « Mais c’est au café Fuentes, près du marché du petit Socco, que les intellectuels se donnaient rendez-vous. Tennessee Williams y a écrit une pièce de théâtre, Camino Real, et Saint-Exupéry y aurait un temps élu domicile ». Saint-Exupéry avait cette fascination d’une ville étrange où tout pouvait arriver, ce qui fait dire à un de ses amis dans une de ses lettres que « comme le voyage dans les airs, certaines villes peuvent donner de beaux vertiges ».

L’une des places fortes de la ville reste le mythique hôtel El Minzah. Samuel Beckett et Tennessee Williams, y avaient leurs chambres réservées pour n’importe quel moment.

Les secrets de la ville

Deux grandes figures de la littérature et du théâtre modernes. On dit que Samuel Beckett a eu de nombreuses discussions sur son Watt ou Murphy avant de les soumettre à l’impression ? Fin de partie, œuvre de théâtre de grand calibre a été pensée dans l’une des chambres d’El Minzah. « Il y a des situations dans l’œuvre de Beckett qui sont proches de celles qu’il a vécues à Tanger. Il a lui-même raconté à Jean Vilar comment certaines de ses connaissances de la ville avaient prise sur les caractères auxquels il donnait naissance. Même le Godot pourrait avoir des attaches avec Tanger, une ville que Beckett aimait presque autant que Dublin ou Paris », lit-on chez Jean-Pierre Richard dans une note pour son œuvre sur Genet, qui, lui, avait une attirance pour le théâtre de Samuel Beckett.

De nombreuses amitiés lient tous ces écrivains à cette ville, et plus tard, Mohamed Choukri rendra compte de toutes ses rencontres. Comme « la Villa Muniria où séjournèrent les fameux Beatniks : Kerouac, Burroughs et Ginsberg, El Minzah qui vit passer Jean Genet et les Rolling Stones, la Villa de France où Delacroix et Matisse séjournèrent ; la Pension Fuentes qui accueillit Camille Saint-Saëns ; le Dean’s Bar auquel Francis Bacon ou encore Ian Fleming faisaient honneur à son champagne… ». Une ville, des lieux, des visages et un foisonnement littéraire qui a pris corps dans quelques endroits aujourd’hui disparus ou sous la menace de destruction. D’ailleurs, d’autres figures ont vanté les charmes d’une ville dont le fin mot demeure, malgré le temps qui passe, le mystère. On pense à Pierre Loti, Maurice Ravel, Paul Morand, Antonio Gaudi qui laissa à Barcelone des empreintes indélébiles de son amour pour la ville de Tanger.

Le grand socco de Joseph Kessel

L’une des pages célèbres du Festin Nu de William Burroughs a été écrite, selon de nombreux éditeurs, à El-Muniria, un hôtel moins prestigieux que le Minzah, mais qui a eu ses heures de grande gloire. Et de là, vers la médina pour une autre oeuvre magistrale qui a pour titre ? : Au grand Socco de Joseph Kessel.

L’œuvre entière se décline en méandres sur le parcours d’une ville. Tanger y est en filigrane, grande, mystérieuse, humaine, inhumaine, tentaculaire presque. On y ourdit des conciliabules, on y tombe amoureux, on y vit des chagrins, on y écrit sa vie, et souvent on part ailleurs, avec le cœur lourd de celui qui « laisse derrière lui un lieu de sa naissance ». D’ailleurs, une des histoires d’amour les plus folles prit corps dans la librairie des Colonnes : « Marguerite Yourcenar passait régulièrement saluer le propriétaire, un archéologue belge fou amoureux d’elle qui lui fit monter en bague une pièce antique à l’effigie d’Hadrien ! », raconte Simon-Pierre Hamelin.

C’est dire qu’il y a des villes qui ont la magie de créer le mythe. Il suffit d’y déambuler pour croire à de nouvelles naissances. Pierre Loti a comparé Tanger à Istanbul, le Bosphore en moins, mais la mer est là, souveraine : « comme une invitation au voyage ».

Une ville, des paysages

Pour d’autres écrivains comme Paul Morand, la vie à Tanger revêt ce caractère humain très particulier. « Ouvert la nuit » reste une œuvre qui pourrait, par endroits, nous renseigner sur la place qu’occupe un lieu dans l’imaginaire d’un écrivain.

Mais cette ouverture peut aussi devenir une fermeture comme dans son œuvre « Fermé la nuit », qui est un écho de l’autre. Kerouac disait à Cassidy, de retour de Tanger, après un long séjour inoubliable, qu’il était prêt à refaire sa vie au Maroc, vivre jusqu’à sa mort à Tanger au même dans le Sud.

L’auteur de Sur la route et des Vagabons célestes avait cette faculté de tout laisser derrière lui et de prendre un nouveau départ. Mais Tanger lui a donné la puissance de donner à son œuvre une flexibilité autre. Il en parle avec Gaysin en utilisant des mots simples : « Tanger n’est pas une ville, mais un amour. Comme un être humain, elle est en moi. Mes écrits lui doivent beaucoup et surtout mon esprit et mon cœur ». Pour d’autres, la ville aura été une réelle muse, dans le sens premier d’une inspiration forte. On y vient, on y séjourne, on y fait une place, on ne veut plus la quitter. Surtout si le souci littéraire est important. Ecrire n’est pas chose aisée, disait Beckett, et on ne peut pas écrire partout.

Quand on a la chance de le faire dans un endroit, il devient élu. « J’ai beaucoup voyagé, mais mes pas avaient besoin d’un lieu pour m’y poser, écrire, je n’ai pas rêvé meilleure place que le Grand Socco pour y laisser une part de moi-même », disait Kessel, grand voyageur et aventurier fou. Mais pourquoi Tanger, comme se demandait Mick Jagger au retour à Londres, après un séjour à Tanger. Sans trouver de réponses valables à ses yeux, il a juste dit que c’est « tant mieux, il ne faut pas tout savoir ». Et peut-être que la magie éternelle de cette ville, malgré tant de défigurations, réside dans le fait qu’elle sait tenir son mystère.

Gazette du Maroc - Fouzia Ejjawi

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