Interview : Wallen raconte ses souvenirs du Maroc

20 octobre 2008 - 13h59 - Culture - Ecrit par : L.A

"J’ai l’impression de faire partie d’une génération qui est née dans une espèce de trou de mémoire. […] Donc, j’ai l’impression que ma construction passe forcément par le souvenir." Interview.

Comment t’es-tu mise concrètement à la construction de cet album ?
Déjà, ça s’est fait assez naturellement, de manière assez fluide. Avant, avec Malik (NDLR : Abd Al Malik, son compagnon) on avait l’envie de travailler sur un projet qui s’appelait Beni Snassen. Un projet collectif rap. Ensuite, mon album a été reculé parce que, malheureusement, j’ai changé de label. J’ai du arrêter les studios pendant que j’enregistrais. Et attendre quelques mois pour reprendre avec le nouveau label. En gros, les trois grosses cessions de studio se sont étalées sur un an et demi, deux ans.

Le son est différent, plus R&B que soul. Comment as-tu vécu ce changement ?

C’est vrai que la grande nouveauté sur cet album-là, c’est que je produis. Je me suis mise à composer mes propres musiques. Etant donné que je suis plus impliquée dans la compo, forcément mes influences apparaissent plus aujourd’hui. Je suis quelqu’un de très ouverte. J’aie beaucoup le rock assez spé. Je suis une fan de Radiohead. J’aime beaucoup le rap aussi. Quand je suis arrivée avec mon premier album, j’étais un peu la première chanteuse à chanter sur des instrus plus hip-hop que R&B.

Et du coup, on a un peu l’impression d’un renouveau. Des morceaux comme Arrogance et Dites Au Désespoir auraient pu être sur un premier album…

Parce que c’est de l’egotrip. Mais en fait, l’egotrip c’est un peu ma touche hip-hop. L’egotrip est une discipline qui n’existe que dans le rap, normalement. Et moi je m’y suis mise pour la première fois sur l’album A Force de Vivre, comme sur mon second album ou sur celui-là. J’aime bien cette approche-là. Je trouve que c’est original de faire un egotrip en chant.

Sur Arrogance, tu t’en prends aux fausses chanteuses. Ce qui détonne un peu avec ton image douce…

C’est un peu tout le temps comme ça dans l’egotrip. C’est aussi le but du jeu, de faire des phases, de critiquer ce qui se fait autour. Ca ait partie de cette discipline-là. Je ne m’en prends à aucun artiste en particulier. Je m’en prends plutôt à un état d’esprit auquel je n’adhère pas. Celui qui consiste à se dire qu’on fait de la musique pour être connu, qu’on chante pour montrer que techniquement, on peut faire comme les américains. Je n’ai pas du tout cet esprit-là. Pour moi, l’art c’est beaucoup plus qu’une démonstration vocale.

Tu parles de l’art et pour pousser le tien, tu as pris le risque d’un morceau 100% a capella en introduction. Pourquoi ?

C’est un peu à limage de ce que je suis et de ce que je fais en tant qu’artiste. Je n’avais pas envie de rajouter des effets sur la voix. J’avais envie que ce soit quelque chose de dépouillé, de vrai, de fort, de nu. C’est un peu à l’image de la sincérité que j’aspire à mettre dans toutes mes chansons, dans mon approche de l’écriture. C’est moi.

Retour sur Beni Snassen. Comment l’as-tu vécu ?

C’est vrai que Beni Snassen a été un échec commercial. Ca m’a quand même un peu attristé. Parce que ça prouve que même pour des artistes comme Malik et moi c’est encore difficile d’amener de nouveaux artistes sur le devant de la scène. Et d’essayer de transformer ça en succès. Comme tout échec, ça ne m’a pas ravi.

Et ça t’a apporté quoi, au niveau de la musique, de faire partie d’un collectif de rap ?

Depuis mes débuts, le Hip-Hop m’a nourrit. Tu sais, le Hip-Hop, c’est plus qu’un style pour moi. C’est une énergie qu’il est intéressant de travailler. C’est d’ailleurs pour ça que des personnes qui ne viennent pas du tout de ce milieu-là s’en nourrissent. Il y a beaucoup de rockeurs qui sont à la limite du rap aujourd’hui. Ca m’a apporté quelque chose qui fait partie de mon univers et de mon approche de la mélodie : le côté rythmique. Ca apparaît dans ma manière de chanter, de concevoir mes mélodies.

Comme toujours, il y a un fort rapport à la terre, notamment dans La Fille du Berger. Pourquoi ça t’imprègne toujours autant ?

Pour plein de raisons. Peut-être même pour des raisons qui m’échappent encore. J’ai l’impression de faire partie d’une génération qui est née dans une espèce de trou de mémoire. On a grandi dans des espèces de non-dits des parents, un pourcentage de taux de natalité en France. Donc, j’ai l’impression que ma construction passe forcément par le souvenir. J’ai besoin de me souvenir d’où je viens, d’apprendre des choses sur le passé de mes parents pour pouvoir avancer.

Toujours très proche de ta culture, tu parles en arabe dans certains morceaux…

Oui, bien sûr mais ça fait partie de moi. Il n’y a pas vraiment de volonté derrière ça. Quand j’écris, c’est de l’inspiration pure. Je me laisse porter. C’est vrai que quand je le fais dans la chanson Dans Le Vent, c’est vraiment parce que le souvenir nécessitait que je dise cette phrase en arabe. C’est une phrase très parlante parce que c’est une image qui m’est revenue de mes passages à la douane quand j’allais au Maroc. Il y avait quelque chose de très particulier : les douaniers s’adressaient à chacune des personnes dans la voiture et chacun devait répondre. Donc même si j’étais très petite, je devais dire « oui monsieur, oui monsieur, je suis née en France. » Donc c’est vraiment une phrase symbolique et pleine d’émotion parce que je pense qu’il y a plein d’autres gens qui ont vécu ça. Et c’est un souvenir vraiment précis qui fera écho dans le cœur des gens. Je fais partie des artistes qui pensent que c’est en étant vraiment sincère et très personnel qu’on finit par en être universel. Je crois beaucoup en ça.

Les souvenirs de passage, tu en parles aussi dans le morceau d’introduction. Pourquoi est-ce que ça ne te revient qu’aujourd’hui ?

Comme pour tout le monde, je pense que les souvenirs sont des espèces de tableaux. En général, ce sont des images, des tableaux très précis, que j’essaie de retranscrire dans mes textes avec la plus grande justesse possible. Parce que c’est ce qu’on doit à ses parents, le respect que l’on se doit à soi-même. Les souvenirs c’est ça pour moi : essayer de regagner cet amour-propre que la vie souvent malmène. Et puis c’est vrai qu’on se rappelle le plus souvent des gens qui ne sont plus là. Donc forcément, je parle plus souvent de mon papa. Et puis tu sais, le souvenir, ça m’aide à avoir la force. Je ne parle jamais du passé pour qu’il ne devienne une prison. J’en parle comme de quelque chose qui doit nous nourrir, nous porter. Dans l’intro, j’imagine le destin comme un genre de cowboy. Et je lui dis que je ne vais pas le laisser me voler mon Amérique.

Parmi les choses qui sont en toi, il y a aussi la foi. Tu en parles avec beaucoup de finesse et d’humanité. Ca ne prend jamais le pas sur ta musique…

C’est vrai que la foi, c’est quelque chose de l’ordre de l’intime. Donc comme toute chose de ce genre, c’est très difficile d’aborder ça. Je pense qu’on ne peut l’aborder qu’avec pudeur, finesse, justesse et nuance. Pour ne pas tomber non plus dans le prosélytisme. C’est important de faire attention à ça.

Pourquoi le titre Miséricorde ?

Pour plein de raisons. Déjà, c’est le prénom de ma maman. Et aussi parce que la foi, c’est quelque chose de central dans ma vie. Donc forcément, ça se ressent dans ce que je fais. Pour moi, le mot Miséricorde, c’est vraiment un mot important dans la religion, quelle qu’elle soit. C’est un mot central qui nous apprend l’humilité et nous transmet la force et l’espoir. En religion, la miséricorde, c’est l’espoir du pardon de dieu. Donc ça rend humble.

Dans Répare-moi, tu parles d’une douleur qui ressemble à celle d’Abimée, dans ton album précédent. La musique pour toi, ça aide ?

Oui bien sûr ! Le premier pas vers la guérison, je pense que c’est le diagnostic. C’est-à-dire formuler sa douleur. C’est aussi le lot de l’humanité, la souffrance. Même si ce n’est pas une fin. J’en parle beaucoup parce que j’ai foi en tout ce qui est au-dessus de la douleur. C’est un thème qui me tient à cœur. Je pense qu’on est tous abimés, des exilés de l’enfance. C’est marrant parce même dans le mot Miséricorde, il y a le mot douleur.

A quels producteurs as-tu fait appel ?

C’est Bilal qui a produit Arrogance. Sinon, j’ai tout fait toute seule. C’était un vrai choix. J’avais envie d’être moi à 4 000%, aussi dans la forme. Et puis quand je me suis mise à al production, je me suis tout de suite rendue compte à quel point ça m’avait manqué. C’est devenu une évidence de produire.

Et au niveau des featurings ?

Malik (NDLR : Abd Al Malik), forcément. Pour moi, c’est l’artiste avec un grand A. c’est quelqu’un qui m’inspire forcément. Qui me nourrit. L’inspiration d’un artiste, pour moi c’est comme une espèce de relais pour d’autres artistes. On se nourrit les uns les autres. Un artiste qui n’est pas inspiré par d’autres artistes, je ne pense pas que ça existe. C’est pour moi le lyriciste par définition dans le Hip-Hop en France. Il y a aussi Mateo Falcone, qui prépare son album et qui a vraiment un univers très particulier, complexe. Moi, la complexité dans l’écriture, je parle de ça non pas d’un niveau technique mais d’un point de vue de justesse. La vie, les problèmes sociaux, ce n’est pas simple. On ne le décrit pas en deux-trois punch line dans un texte de rap. Et Mateo Falcone a cette complexité-là. Il y a Micky Green. Qui vient d’un milieu complètement différent du mien. J’aime son approche des mélodies. C’est la première chose qui me touche chez un artiste. Elle a un timbre de voix super intéressant. Elle a tout de suite adhéré et compris le morceau Répare-Moi. C’est quelqu’un qui est fan de rap, de Snoop en particulier. C’est assez marrant je trouve. Je suis ravie de cette collaboration. C’est un de mes morceaux préférés.

La scène, c’est quelque chose d’important pour toi ?

Oui, j’y réfléchis vachement. C’est vrai que maintenant que je compose, je vais être encore plus impliquée dans le travail de réadaptation scénique. Oui, c’est une vraie envie que j’ai. Après, je n’y pense pas quand je travaille sur mon album parce que je n’ai pas envie de me brider. Pour moi, la scène c’est tellement à part, on peut amener tellement de choses en plus qu’il faut l’aborder presque indépendamment d’un disque…

Source : Waxx Music - Lajoinie Adeline

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