Bilan : A quoi sert El Yazami ?

21 décembre 2008 - 19h50 - Maroc - Ecrit par : L.A

Le Conseil de la communauté marocaine à l’étranger souffle sa première bougie. Pour les acteurs associatifs de la diaspora, déçus, l’heure n’est pas à la fête. Bilan.

Driss El Yazami, le président du Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (CCME), semble avoir l’art de fâcher ceux qui attendent le plus de lui : les MRE (Marocains résidant à l’étranger). Deux exemples récents soulignent la maladresse de sa communication. Le 11 novembre, El Yazami est à Washington pour rencontrer des Marocains des Etats-Unis. Le meeting ne rassemble guère plus de douze personnes, mais une gaffe du président du Conseil l’a vite rendu célèbre sur Youtube. Lorsqu’on a rappelé à El Yazami la revendication de certains MRE, qui voudraient que l’aéroport de Bouarfa, dans l’Oriental, utilisé pour des vols irréguliers et privés vers le Moyen-Orient, relie aussi l’Amérique du Nord, il a éclaté de rire. Les habitants de Bouarfa n’ont pas vraiment apprécié. Plusieurs déclarations d’El Yazami ont également choqué, comme : “Les associatifs qui sont mécontents du CCME ont des intérêts personnels. Certains veulent seulement être représentés au Parlement”. La phrase montre le fossé entre les aspirations des MRE à une vraie représentation politique et le CCME tel qu’il s’est concrétisé : rien de plus qu’"une instance de consultation, de prospection et de dialogue”, comme déclarait El Yazami après l’assemblée générale de juin.

Trois semaines plus tard, le 2 décembre, c’est à Utrecht que le président du CCME cause un petit scandale lors de la première rencontre organisée par le Conseil avec des leaders associatifs aux Pays-Bas. Jamal Ryane, président de la Plateforme intercontinentale des MRE, raconte : “Alors que la réunion avait déjà commencé, El Yazami a soudain demandé aux médias présents de sortir. Vous imaginez l’image du Maroc que cela donne aux Hollandais !” Pourquoi un tel geste ? “Il voulait sans doute éviter les questions gênantes qu’auraient pu lui poser les journalistes hollandais, sur les imams, la double nationalité, etc. Mais c’est un haut responsable, avec un statut de ministre, qui ne devrait pas ainsi jeter de l’huile sur le feu”, estime Saïd Charchira, directeur du Centre européen d’études et d’analyses sur les migrations à Düsseldorf.

Rejet unanime

Ces problèmes de communication du CCME avec les communautés marocaines des différents pays viennent s’ajouter au malaise causé par les désignations des membres. Les acteurs associatifs interrogés disent ne pas comprendre le choix des personnes nommées pour représenter leur pays d’accueil et rejettent massivement le CCME. Exemple : les réunions organisées par le Conseil sont ignorées et des manifestes sont publiés sur Internet. Une pétition, préparée par une coordination européenne (dont la Plateforme intercontinentale) pour le 18 décembre, à l’occasion de la Journée internationale du migrant, demande même la dissolution du CCME.

Certaines associations réfléchissent à la possibilité de créer un “Conseil” alternatif, comme le projet d’un Conseil démocratique civil des Marocains du monde, initié par l’Alliance mondiale des Marocains de l’étranger (Amomé), qui siège en Belgique. Car au-delà des impressions négatives, beaucoup d’organisations ont publié une argumentation solide contre le CCME. Le premier faisceau de critiques concerne les modalités de sa création, notamment l’absence d’élection de ses membres. Comme beaucoup d’associatifs, Latifa Aït Baâla, porte-parole de l’Amomé, fait un constat accablant : “La lettre et l’esprit du discours royal de 2005 ont été bafoués. Le Conseil est dénué de fondement démocratique puisque non élu et non représentatif des MRE. Les désignations ont été faites selon le principe du copinage, additionné de quelques sommités. La plupart des membres n’ont pas de lien solide avec les communautés. Les femmes et les jeunes sont sous représentés, contrairement aux promesses du discours royal.”

Aucun rapport d’activité

Mais depuis la création du Conseil, bien d’autres griefs se sont ajoutés, notamment au sujet de son fonctionnement. Le moins qu’on puisse dire est qu’il n’a pas démarré sur les chapeaux de roue. “Non seulement les 13 membres manquants (sur les 50 prévus par le dahir) n’ont toujours pas été nommés, mais la première et unique assemblée générale n’a eu lieu que six mois après la création du Conseil”, remarque Abdelkrim Belguendouz, chercheur à l’Université Mohammed V de Rabat et spécialiste des migrations. C’est apparemment lors de cette assemblée, les 6 et 7 juin dernier, que la plupart des membres se sont rencontrés pour la première fois. Avec un ordre du jour essentiellement consacré à des tâches introductives (règlement intérieur, budget…), l’action la plus concrète a été la mise en place de six groupes de travail. Et depuis ? Le Conseil donne du temps au temps : les groupes de travail ont jusqu’à janvier 2010 pour rendre un rapport. “Les activités en cours consistent en des apparitions à divers séminaires où le CCME est partenaire, des voyages à l’étranger. Pour le reste, c’est surtout beaucoup d’effets d’annonce”, estime le chercheur. Il cite en exemple les consultations des partis politiques annoncées pour septembre, ou bien l’étude comparative des droits politiques des ressortissants émigrés dans le monde annoncée depuis juin (en fait un travail “commandé” à une chercheuse).

Fait révélateur, résume-t-il, “la réunion annuelle, que le dahir impose au mois de novembre, n’a même pas eu lieu. Il n’y a donc eu, à ce jour, aucun rapport d’activités, alors qu’il s’agit tout de même d’une instance au budget de 45 millions de dirhams (qui devrait passer à 49 pour 2009)”. Finalement, ce Conseil qui fonctionne au ralenti, aux objectifs peu définis, et qui n’est censé prendre sa forme définitive que dans trois ans, s’est tellement éloigné des aspirations de participation citoyenne des MRE qu’il semble avoir aggravé la situation. “Le CCME est contre-productif : au lieu de fédérer les MRE, il est en train de les diviser”, estime Aït Baâla. Et la responsable associative d’expliquer : “Certains se sont sentis méprisés et, en réaction, se détournent de leur engagement envers le Maroc. Je connais l’exemple de militants de la marocanité du Sahara qui ne veulent plus s’impliquer dans cette cause.”

Représentation politique. Histoire d’un projet avorté

“Journée internationale contre “l’hogra” du Maroc à l’égard des MRE” : c’est une étrange commémoration que plusieurs associations belges ont inaugurée le 26 octobre 2008, en organisant un sit-in devant l’ambassade marocaine de Bruxelles. Elles voulaient en effet exprimer leur colère, née le 26 octobre 2007, jour où le Conseil consultatif des droits de l’homme (CCDH) a remis son avis au roi concernant la création du CCME. Deux ans auparavant, le discours royal “fondateur” du 6 novembre 2005 avait suscité beaucoup d’espoir en annonçant la création d’un Conseil supérieur des MRE, “constitué de façon démocratique et transparente, et bénéficiant de toutes les garanties de crédibilité, d’efficience et de représentativité authentique”. Mais les MRE doivent attendre le discours 2006 pour apprendre que le souverain confiait au CCDH le soin de plancher sur la création dudit Conseil, puis encore un an avant le discours du 6 novembre 2007, qui reflète l’avis du CCDH. Le ton a changé : tout en affirmant que “c’est d’une instance représentative qu’il s’agit”, Mohammed VI ne parle déjà plus de Conseil “supérieur”, mais d’une “formule transitoire” (pour une période de 4 ans ), c’est-à-dire un Conseil formé de membres désignés. Le dahir qui suit, le 21 décembre, augmente encore la déception des MRE : bien loin du projet initial, le CCME sera uniquement consultatif, émettant des avis sur les sujets concernant la communauté de l’étranger. La participation politique n’est plus qu’un sujet de recherche parmi d’autres…

Source – TelQuel - Zoé Deback

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