Le combat des émigrés continue

15 mars 2007 - 00h00 - France - Ecrit par : L.A

Une loi a été votée au sénat français au début de mois de février à l’initiative de la sénatrice française d’origine marocaine Halima Boumediene-Thiery en faveur des "Chibani" en retraite leur permettant de récupérer leurs droits au Maroc, sans perdre leur droit de retour en France quand ils le veulent. Entretien.

La dernière fois, Madame la sénatrice, nous nous sommes rencontrés dans un séminaire au Sénat sur la question des Chibanis en France. Quelles sont les difficultés de cette population d’immigrés aujourd’hui ?

C’est un combat pour acquérir leurs droits. Ils ont passé leur jeunesse en France. Certains ont participé à la libération de la France, d’autres à la reconstruction de la France et ils ne sont pas reconnus. Aujourd’hui, leurs enfants se trouvent parfois sans papier. Ils ne sont pas reconnus dans leurs droits, dans leur retraite et leur pension, faibles par rapport aux pensions des retraités français. Quand leur femme devient veuve, elle veut faire réversion et elle touche une misère. Ils n’ont pas d’allocation d’handicapé ou d’ancien combattant. C’est un véritable débat d’égalité entre citoyens qui ont exercé les mêmes métiers et mené les mêmes combats sans avoir les mêmes droits.

Pour les travailleurs marocains en France en retraite, s’ils s’installent au Maroc, ils perdent une partie de leurs droits, est-ce que cette situation est normale ?

Non ce n’est pas normal. Quand ils s’installent au Maroc, ils perdent tous leurs droits et on leur donne des " cartes de retraités ". Après en France, ils ne peuvent plus obtenir les droits de retraités. Il ne faut surtout pas accepter cette carte de retraité, il faut la refuser tant que cette carte nie leurs droits. Il faut continuer à avoir la carte de vivre en famille,pour pouvoir bénéficier des droits sociaux comme le droit au soin et à la santé.Certains parmi eux acceptent la carte de retraité,puisqu’ils ne savent pas, espérant leur pension de retraité au pays mais après elle est diminuée car elle est adaptée au pouvoir d’achat du pays d’origine et le pouvoir d’achat entre le Maroc et la France est très différent.

Est-ce que le Maroc pourra faire quelque chose pour conserver leurs droits dans les accords bilatéraux entre les deux pays ?

Le Maroc peut exiger dans le cadre des accords qui se mettent en oeuvre entre les deux pays, la reconnaissance des droits des retraités et la préservation des droits que les anciens salariés retraités avaient en France, une fois rentrés dans leur pays.

C’est au gouvernement marocain de créer le rapport de force et de l’imposer pour défendre ses concitoyens.

Certaines associations de défense des droits des immigrés marocains ont soulevé ce problème des accords bilatéraux avec la France. Certains datent de 1963 et sont dépassés par l’évolution des droits dans les deux pays. Ils sont donc devenus caducs ?

Absolument. Toutes les anciennes conventions, la dernière loi modifiée en 1986, est devenue quasiment caduque alors qu’elle concerne la grande majorité.La législation en France a beaucoup changé, mais les accords entre les deux pays n’ont pas été modifiés, n’ont jamais été adaptés et n’ont jamais été rediscutés.

Suite au film "Indigènes" sur les anciens combattants, on a beaucoup parlé des pensions des combattants qui seront revalorisées. Quelle est la part de vérité dans cette histoire ?

C’est tout à fait faux ce n’est pas les pensions qui sont revalorisées. Ça concerne seulement les anciens soldats maghrébins qui ont été touchés par une incapacité pendant la participation à la guerre. Les anciens combattants reçoivent une indemnité d’incapacité et ce n’est pas toutes les pensions qui sont revalorisées comme cela a été dit dans la presse. Pour tous les combattants qui perçoivent aujourd’hui une misère par apport à leurs droits comme tous les combattants français, c’est un vol orchestré de l’Etat français.

Récemment il y avait en France un débat sur l’immigration choisie proposée par Sarkozy. Il y en a même qui la qualifient d’immigration jetable. Qu’en pensez-vous en tant que militante et sénatrice défendant les droits des immigrés ?

L’immigration choisie c’est un slogan électoral de Sarkozy. L’émigration subie et l’émigration choisie, c’est un faux dilemme.L’émigration n’a jamais été subie ni choisie. L’émigration, ce sont des hommes et des femmes qui sont venus parce qu’ils devaient venir à un moment donné, parce qu’il fallait vivre, survivre par rapport à leur pays d’origine. Ils ont décidé de s’exiler mais on ne s’exile jamais par choix réel ni par bonne volonté. Ils ont quitté leur famille et leur pays pour venir travailler en France, ce n’était certainement pas par plaisir.Donc l’émigration n’a jamais était ni subie ni choisie.

La France, non plus, n’a pas subi cette émigration, lorsqu’on avait besoin de la main d’œuvre pour reconstruire, on l’ a cherchée. Aujourd’hui, on considère que, lorsque la famille, les femmes et les enfants viennent rejoindre leur père ou leur mère, c’est de l’émigration subie. Je regrette, on ne peut pas la considérer comme une émigration subie mais logique et humaine, d’ailleurs le droit international reconnaît le droit de vivre en famille.

Certains responsables africains n’ont pas hésité à qualifier l’émigration choisie d’opération de pillage de la matière grise des pays du Sud.
C’est tout le problème de la politique de Sarkozy. D’une part, on vous parle de co-développement mais de l’autre côté, on parle de choisir l’émigration qui peut apporter plus à son pays,des cadres, des créateurs… C’est une contradiction de dire aider les pays à se développer et en même temps de piller leur matière grise sachant que ces hommes et ces femmes sont souvent formés dans les pays d’origine au départ à la charge de leur pays. Ils arrivent ici pour faire une spécialité et on préfère les garder. C’est une forme de pillage des cerveaux des pays du Sud.

Vous avez proposé au Sénat une résolution sur le traitement réservé à la régularisation des étrangers. Pourquoi cette proposition ?

Cette proposition est dans le sens logique et légitime des choses. Lorsqu’une famille est en France depuis deux, trois ans et qu’elle a des enfants nés en France et scolarisés, il faut arrêter de dire qu’on va s’en débarrasser, parce qu’on sait bien que c’est irréaliste. Il faut un moment assumer et dire que cette famille doit être régularisée. Sachant que la France ne peut pas se passer de l’émigration, ni l’Europe d’ailleurs, il faut considérer que l’émigration est une richesse pour l’Europe en terme de revenu, de ressource sociale et de main-d’oeuvre. Il faut arrêter d’avoir d’un côté un discours qui voudrait rassurer la population française qui connaît une crise et qui a peur et de l’autre côté, vouloir taper sur les plus faibles, faire croire qu’on a la solution. Aujourd’hui, les ministres, le ministre de l’Intérieur et le gouvernement en général, n’ont pas de solution, ne savent pas quoi faire et préfèrent dire n’importe quoi pour plaire et pour tout simplement remporter les élections qui se préparent. Et une fois de plus, l’émigration est le bouc émissaire et la pédale d’accélération en période électorale.

Comment expliquez-vous ce paradoxe qui fait que la France a toujours été un pays d’accueil depuis l’Ancien régime et en même temps un pays où il y a un discours virulent et agressif envers l’émigration surtout en période électorale ?

A mon sens, c’est qu’on a des responsables politiques qui n’assument pas d’une manière courageuse une réalité qu’ils ne veulent pas regarder en face et comme on ne peut pas l’expliquer, on préfère dire n’importe quoi. Il suffit de prendre la situation des banlieues cela fait un an, on ne sait pas quoi répondre à cette crise sociale de la jeunesse, économique et culturelle avec les problèmes de discrimination et d’exclusion. C’est une crise de la dignité de ces jeunes ; comme on est incapable de répondre à leurs problèmes, on préfère dire que c’est à cause de leur culture et de leur religion.

Mais faut-il faire pour ces jeunes : une discrimination positive ou une politique volontariste de l’Etat ?

Moi, je ne veux pas d’une discrimination positive mais d’une action positive claire. Nous avons devant nous une partie de la population loin derrière et il faut l’amener à la ligne de départ. Je veux que ces jeunes rentrent dans le cours de la vie avec les mêmes droits et avec les mêmes chances. Mais malheureusement certains ont plus de droits que les autres.

Aujourd’hui, y-a-t-il plus de jeunes de quartiers qui s’intéressent à la vie politique en France ?

Contrairement à ce qu’on pense, il y a plus de jeunes qui s’intéressent à la politique et la politique n’appartient pas seulement aux partis politiques mais au quotidien de ces jeunes. Quand ils s’engagent dans une association de quartier, pour des questions scolaires de leur frère, c’est un engagement pour la réussite. Pourquoi ne s’engagent-ils pas dans les partis politiques français ? Il faut poser la question aux partis politiques, car ils étaient trahis avant par les mêmes partis. Ils cherchent à s’engager autrement comme dans la vie associative.

Les chiffres le prouvent : ils s’inscrivent sur les listes électorales, je ne sais pas pour qui ils vont voter, ils voteront ce qu’ils veulent.

Votre famille politique présente une candidate politique pour les Verts : Dominique Voynet. Mais le nombre de candidats frôle la quarantaine et plusieurs parlent d’écologie. Comment votre message va-il passer au milieu de ces candidats ?

Officiellement on a la candidature de Dominique Voynet et il y a les autres candidats écologiques : Corinne Lepage et Nicolas Hulot (ne se présente plus) qui pose encore des questions : L e seul candidat écologique c’est Dominique Voynet.

Pour les relations franco-marocaines, quel rôle pourra jouer un sénateur ou le Sénat d’une manière générale ?

Cela mérite un débat de quelques heures, et cela ne concerne pas uniquement la sénatrice que je suis, mais l’ensemble de personnes qui s’engagent soit des élus soit des personnes qui s’engagent dans différents domaines qui sont d’origine marocaine ou d’autres origines. Nous sommes un petit peu le pont qui permet de créer ce lien, on peut aider les gouvernements du Sud à avancer dans le processus démocratique et prendre en compte leur concitoyens résidant à l’étranger.

La dernière fois où je vous ai rencontrée à Al Monadara de Rabat, le CCDH menait alors une consultation pour la constitution d’un haut Conseil de l’émigration. Que pensez-vous de cette initiative ?

Tout va dépendre de la mission qu’il aura. Moi, je suis contre les élections des Marocains à l’étranger aux législatives. Je considère qu’il faut être citoyens ici, porter des projets,savoir faire avancer les choses et voter là où il réside, je ne vais pas voter là où je ne vis pas. Moi, je suis pour un conseil spécifique aux questions de l’émigration, sans élection et que cela tourne tous les 3 ou 4 ans. Il serait nommé pour présenter des syndicats, des associations qui pourraient intervenir une fois par mois sur des thèmes et ne pas rentrer dans la sphère électorale marocaine car cela va fausser le débat.

Quel est votre point de vue sur la dernière rencontre organisée par le CCDH "Le rôle et la place des migrations marocaines dans le développement humain", à laquelle vous avez participé récemment à Rabat ?

C’est une consultation qui a le mérite d’exister et qui a montré toute la diversité qui existe dans l’émigration.Il y avait peu de travailleurs immigrés et leurs enfants, il y avait beaucoup d’anciens réfugiés installés en Europe, d’anciens étudiants installés depuis la fin de leurs études et des personnes ayant quitté le Maroc entre 20 ans et 25 ans pour des raisons intellectuelles et de formations. Elles n’ont pas les mêmes besoins de représentation et de reconnaissance. On a remarqué que les uns et les autres n’avaient pas les mêmes préoccupations. Le besoin de reconnaissance d’un travailleur immigré et de ses enfants est différent de celui des autres.Cela prouve qu’on n’a pas les mêmes préoccupations et les mêmes besoins.

Libération - Youssef Lahlali

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