Les Marocains ne comptent pas se ruer vers les urnes

26 août 2007 - 19h51 - Maroc - Ecrit par : L.A

Le 7 septembre, les Marocains seront invités à élire les membres de la Chambre des représentants au Parlement. Le scepticisme de la population face ses élections législatives n’annonce rien d’encourageant dans un pays qui se dit pourtant en transition démocratique. En mai, le ministère de l’Intérieur avait indiqué très fièrement que 1,3 million de personnes s’étaient inscrites sur les listes électorales. On est loin des 3 millions espérés.

Pourtant, les encouragement à la participation à la vie politique n’ont pas manqué. Un site Internet gouvernemental a par été crée (même s’il n’est pas mis à jour régulièrement et si l’espace d’échanges qui permet de poser des questions est toujours en construction). Les encouragements au vote de l’opération nationale Daba 2007 ("Maintenant 2007") et les débats à la télévision pour expliquer le rôle des hommes politiques montrent que voter ne va pas de soi dans le royaume chérifien. Certains "moqadems" (responsables de quartier) sont allés jusqu’à faire leur propre campagne d’incitation à l’inscription sur les listes...

Selon un sondage, les élections laissent 73% des Marocains indifférents

Voter, "un acte éminemment citoyen" peut-on lire sur un manuel pédagogique Daba 2007. Cette opération de communication menée par un groupe de marocains, dont des chefs d’entreprises, devait toucher les jeunes de toutes les couches de la société marocaine.

Pour cette occasion, un sondage LCS-CSA a été réalisé : 73% des personnes interrogés disaient ne pas s’intéresser “du tout” ou “peu” à la scène politique marocaine et seuls 3% affirmaient être membres d’un parti. Néanmoins, 40% des 18-24 ans et 44% des 25-29 ans jugeaient les législatives de 2007 très importantes.

Dans un pays où les jeunes représentent 48% de la population, selon une enquête menée en 2004, la jeunesse devrait être au coeur du débat politique. Et pourtant.

"Aucun de ceux-là n’a jamais rien fait pour moi"

A 33 ans, Rachid vient d’ouvrir un snack et travaille dès que possible dans une boutique de vêtements pour arrondir ces fins de mois. Voter, il ne veut même pas en entendre parler. Il ouvre une page d’un quotidien : "Regardez cette BD. Il n’y a rien de drôle la dedans : c’est la vérité !". Sur le dessin, des Marocains interpellent un ministre : "Nous, on s’est battu pour l’indépendance, et aujourd’hui on n’a pas de travail. On aimerait obtenir une licence de taxi." Réponse du ministre : "Vous vous êtes battus pour l’indépendance, nous, maintenant, on garde le pouvoir, vivez donc au jour le jour parce qu’on va tous mourir un jour."

"Je n’ai jamais voté, parce qu’aucun de ceux-là n’a jamais fait quelque chose pour moi", ajoute Rachid. "Ma préoccupation, c’est de gagner assez d’argent pour vivre normalement. Je n’ai pas le temps de les écouter parler. Je suis sûr d’une chose, on a un Roi et c’est lui seul qui décide".

Bouchra, 33 ans, travaille pour une compagnie de danse. Elle non plus n’ira pas voter. Pourtant son père a travaillé pour le Palais et accomplira son devoir de citoyen marocain :

"Au fond de moi, je sais qu’il faut y aller, mais je n’irai pas. C’est un jeu politique. On nous parle de diversité pour nous prouver que le Maroc va vers une démocratie. Je pense qu’on n’est pas encore capable de choisir.

"Réglons d’abord le problème de l’analphabétisme, qui nous permettra réellement de débattre. On n’a pas l’habitude de faire confiance à une autre personne que le roi."

Sceptique et au bord de la colère quand elle pense à la politique, Bouchra est avant tout passionnée. Elle poursuit :

"Le chemin vers la démocratie n’est vrai qu’en apparence. Essaouira [ville de la côte atlantique prisée des touristes, ndlr] est belle en façade, mais quand vous entrez dans la médina, là ou seuls les Marocains vont, vous traversez des amoncellements de poubelles, c’est lamentable.
"C’est l’image extérieure qui compte, rien de plus. C’est pareil pour ces élections. Le Roi continuera de gérer le pays et de donner les lignes à suivre."

"Je n’ai pas attendu que ma fille ait 18 ans pour parler politique."

Amal Tammar est actrice, elle a compris qu’elle "devait donner sa voix et participer au développement du pays". Cette mère de famille a toujours parlé de la vie politique à ses enfants :
"A la maison, on réagit aux informations, on pose des questions. Je n’ai pas attendu que ma fille ait 18 ans pour parler politique."

La conscience politique est un processus qui s’acquiert dans le temps. Et le travail d’éducation civique engagé dans cette famille amènera l’aînée à donner sa voix. Le père de famille, lui, a choisi de ne pas participer à cette "mascarade". "Si je pouvais le faire", ajoute t-il, "j’appellerai les Marocains à ne pas voter.

Un cri du cœur que son épouse Amal comprend. "Les gens n’ont plus confiance aux hommes politiques. On nous a promis tellement de choses qui ne sont jamais arrivées. Les Marocains fuient les écoles publiques qui manquent de moyens. L’éducation est un droit dont chaque citoyen devrait pouvoir bénéficier sans avantage particulier. Mais on en est loin." Malgré la déception, cette femme ira mettre son bulletin dans l’urne

Voter est un acte citoyen, ne pas voter est un acte politique

Les sections "jeunesse" des partis politiques sont les plus actives au sein de l’extrême-gauche, qui boycotte les élections, et au sein des organisations islamistes, dont la plus importante refuse de jouer le jeu politique. Mais en général, les partis dominants sont vieillissants, dogmatiques, et ont compris trop tard l’importance des jeunes.

Si voter est un acte éminemment citoyen, ne pas voter est un acte éminemment politique, et il n’est pas besoin de s’inscrire dans un courant de pensée gauche ou islamiste. Les abstentionnistes argumentent et ne sont pas dans une logique de désintérêt. Il s’agit plus d’un manque de confiance et d’un refus de suivre les directives. Et cette fois, on parle autour de la table sans censure, ni tabous.

"Des élections vendues comme des yaourts"

La confiance devait, pourtant, être à nouveau gagnée en février 2006. Une loi sur les partis politiques avait été promulguée, qui devait renforcer leur crédibilité. L’idée était de les rendre transparents pour redonner envie aux Marocains d’y adhérer et de participer au débat.

Pour Mohsine Elahmadi, sociologue et enseignant, le consensus a été important pour la transition démocratique. Même si les partis n’ont pas de pouvoir, les signes politiques envoyés par le Roi soulignent une volonté de désengagement d’une partie de la gestion publique. Selon ce sociologue qui ira voter, le Maroc est en période de négociation, et les politiques devraient en sortir renforcés.
"Pour attirer les jeunes, l’Etat organise des campagnes publicitaires comme s’il vendait un yaourt, alors qu’il faut susciter l’intérêt de la jeunesse en l’impliquant réellement. Ca n’est pas l’acte de voter qu’il faut encourager, c’est l’intérêt de le faire qu’il faut démontrer. Les jeunes, eux prouvent quotidiennement qu’ils savent voter par SMS pour la Star Ac."

Pour Sabah Chraïbi Bennouna, conseillère municipale, les partis doivent jouer le jeu et avoir une fonction pédagogique. "Cela demande du temps". Selon elle, même si tout n’est pas parfait, le pays écrit un passage important de son histoire. S’il n’y a pas eu le rush espéré vers les inscriptions, le processus de visibilité des partis politiques est nouveau. Les Marocains qui refusent de participer aux élections font vivre la pensée politique, créent le débat et incitent aussi les partis et tout le système à se remettre en question.

Pour beaucoup, le Maroc se résume toujours à un roi et ses sujets, même si le roi demande aux sujets de devenir des citoyens. Pour l’heure, les partis peaufinent leur programmes, encore flous, en attendant la campagne officielle, qui débutera fin août.

Rue89 - Rim Mathlouti

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