Etre juif au Maroc

21 août 2007 - 00h27 - Maroc - Ecrit par : L.A

Entre sentiment d’insécurité et contraintes économiques, l’immigration des Juifs marocains ne discontinue pas. Le Judaïsme marocain est dans l’impasse et ses adeptes craignent de voir leur communauté s’éteindre avec le temps et donc rayer de la carte du royaume chérifien. Reportage.

Il est 13 h 30 à la rue « Moulay Ismail » à Rabat. Esther Peretz, une vieille dame de 80 ans, est assise toute seule dans un coin sur les marches de la plus grande synagogue de Rabat « Talmud Torah ». Echarpe à la tête, visage buriné, pâle et triste, elle parait inquiète, troublée et ne cesse d’observer les passants dans leur va-et-vient. A chaque fois que quelqu’un s’approche des marches, elle se met debout et prend un air affolé bien qu’elle reste inaperçue pour les gens. Elle attend que la synagogue ouvre ses portes à 15h00. « Esther habitait au quartier El Mellah et lorsque le plafond de sa maison s’est effondré elle a cherché refuge chez nous », indique Marie, la secrétaire de la synagogue sur un ton irrité. Cette vieille dame juive est née à Salé, une ville séparée de la capitale du royaume par le fleuve Bou Regreg. « Je n’ai jamais trouvé une forte raison qui me pousse à quitter mon pays natal comme tous mes proches partis en Israël », murmure l’octogénaire dont les yeux se sont embués de larmes.

La communauté juive au Maroc s’est réduite avec les années et compte aujourd’hui moins de 5.000 personnes dont moins de deux cents à Rabat, selon les chiffres du Conseil des Communautés Israélites du Maroc.

Tout près de la synagogue « Talmud Torah », se trouve El Mellah de Rabat. C’est un ancien quartier entouré de murs, à plusieurs accès, autrefois réservé aux juifs, qu’ils ont déserté par la suite. C’est une sorte d’enclave ayant son propre cachet en comparaison avec les autres quartiers en raison de son ambiance animée par des commerçants, des marchands ambulants et autres activités qui sont disséminés dans ses ruelles qui grouillent de chalands.

280 000 personnes

Des petites échoppes se jouxtent un peu partout, les boulangers, volaillers, poissonniers, vendeurs de tissu, de légumes etc. s’époumonent pour attirer la clientèle. Une odeur répugnante se dégage de ce quartier populaire dont les bâtiments ne dépassent pas trois niveaux. « Nous étions les rois du Mellah mais tout a changé pour nous et nous ne sommes aujourd’hui que deux familles dans notre ex-quartier », regrette Menahem Dahan rabbin de la synagogue de Mellah.

Suspicieux au départ, il nous ouvre enfin la porte de sa maison. Des ornements et photos de figures du judaïsme couvrent les murs. Au centre d’une table est posée une Torah richement décorée. La servante, les meubles, les corbeilles de fruits sur les tables du salon et son costume élégant montraient bien qu’il mène une vie aisée par rapport aux habitants de son quartier.

Kippa à la tête, il prend place sur un canapé arabe et commence à raconter son histoire. Natif de Mekhnès, Dahan poursuivit ses études universitaires en France avant de se rendre en Israël ou il a décroché un diplôme. Ce n’est qu’après qu’il décida de rentrer au pays, laissant derrière lui son père et ses frères qui ont émigré en Israël dans les années 60. « Israël n’était pas le luxe dans le temps. C’est pourquoi j’ai préféré rester tout seul dans mon pays où j’ai enseigné l’Hébreu dans les écoles », explique le rabbin.

Le quinquagénaire David Toledano, Secrétaire général de la communauté hébraïque de Rabat, explique qu’avant les années quarante la population juive marocaine comptait près de 280.000 personnes. Après la création de l’Etat d’Israël en 1948, plus de 90.000 sont parties pour
« la terre promise » par la Bible et le rêve de tous les juifs. La deuxième vague est intervenue avec l’indépendance du pays en 1956, le départ des Français étant perçue comme une menace à leur sécurité.

Exode

Au début des années soixante, les Etats-Unis en collusion avec le Maroc ont exploité la famine qui sévissait dans le pays pour inciter à l’immigration vers Israël, ce qui d’ailleurs s’est traduit par le départ de 10.000 juifs marocains, fuyant la misère. « En 1961, la fameuse visite du leader égyptien Gamal Abdel Nasser à Casablanca, s’était accompagnée de manifestations antijuives qui ont entraîné l’exode de juifs craignant la montée du nationalisme arabe » se rappelle le directeur du Musée du Judaïsme Marocain de Casablanca et Secrétaire général de la Fondation du Patrimoine Culturel Judéo-Marocain, Simon Lévy.

Puis vint la guerre des Six jours (1967) qui s’ensuivit d’un exode de la moitié des quelque 70.000 juifs marocains. Le Secrétaire Général du Conseil des Communautés Israélites du Maroc et Président du Rassemblement Mondial du Judaïsme Marocain, Serge Berdugo, souligne que les juifs marocains n’ont jamais été forcés à quitter le pays mais c’était Israël qui s’est employé à les séduire par les promesses d’une vie meilleure. « La diaspora marocaine compte un million de personnes, dont 600.000 en Israël et 400.000 autres à travers le monde, a t-il précisé, les plus aisés partaient en Europe, au Canada et aux Etats-Unis. »

Aujourd’hui ce sont surtout les problèmes économiques qui poussent à l’immigration. « Je ne peux pas dire à un jeune de s’attacher à son pays natal s’il a trouvé mieux ailleurs », déplore Berdugo dont le fils s’est établi en France.

Après le bac, les juifs marocains partent étudier à l’étranger, épousent de nouvelles cultures et ne rentrent au Maroc que pour retrouver leurs proches. "Même ces retrouvailles familiales se font rares maintenant" se plaint Dahan, attristé de voir les synagogues quasi-désertées, « J’ai mal au coeur de voir qu’il s’annonce difficile de réunir le nombre minimum de dix fidèles pour l’accomplissement de la prière ».

Entre sentiment d’insécurité et contraintes économiques, l’immigration des Juifs marocains ne discontinue pas. Le Judaïsme marocain est dans l’impasse et ses adeptes craignent de voir leur communauté s’éteindre avec le temps et donc rayer de la carte du royaume chérifien. Seconde et dernière partie de notre reportage

Les juifs revenant au Maroc sont soit des jeunes qui ont une vie aisée et ne veulent pas l’abandonner, ou bien d’autres qui éprouvent du mal à intégrer une nouvelle société. Léa, trentenaire, secrétaire, révèle qu’une fois diplômée en France, elle est retournée au Maroc par nostalgie. Quant à Mme Azuelos (épouse du plus grand bijoutier du Maroc), elle raconte avoir envoyé ses deux fils, Serge et Patrick, en France pour poursuivre leurs études à l’issue desquelles ils étaient revenus au pays pour gérer leur fortune. « Ainsi, il y a ceux qui ont des liens métaphysiques comme Esther et Léa, une autosatisfaction comme Dahan ou encore une vie aisée comme la famille Azuelos. D’autres sont restés pour se perpétuer sur le territoire de leurs ancêtres », révèle Toledano.

En fait, ces exemples de citoyens affirment qu’après les attentats terroristes survenus en 2003 à Casablanca, dont deux visaient la communauté juive, celle-ci s’était réunie dans la synagogue de Rabat dans l’objectif commun de réaffirmer son attachement à son pays face à ce phénomène dont aucun pays n’est à l’abri.

Selon les citoyens et les dirigeants juifs marocains, aucun cas d’immigration n’avait été enregistré à cause de ces actes. « Si nous voulions quitter le Maroc nous l’aurions fait durant les moments les plus difficiles, » confie Mme Azuelos sur un ton plus discret.

Selon Berdugo, près de 3000 Juifs vivent actuellement à Casablanca, la plus grande ville industrielle au Maroc. Ils sont des citoyens respectés qui jouissent de tous leurs droits. Lévy rappelle : « Nous avons des synagogues, des associations, nos clubs, nos maisons de retraite, nos Lycées et même des tribunaux avec des juges juifs et une loi judaïque ».

Liberté de culte unique

En effet, les Marocains évoquent avec fierté la liberté de culte qui règne dans leur pays. Ils se flattent d’être les seuls arabes à avoir cohabité en paix avec les Juifs, en admettant qu’ils sont Ahl El-Ketab et qu’il s’agit d’une religion et non pas d’une race. « Je suis fier d’être marocain juif. Le Maroc est un cas unique pour avoir su maintenir et consolider, malgré les vicissitudes des conjonctures, une coexistence sereine et mutuellement respectueuse entre citoyens juifs et musulmans », affirme pour sa part André Azoulay, conseiller du roi Mohamed VI.

Cet ancien banquier ajoute que chaque fois qu’un juif marocain quitte le Maroc « nous perdons un citoyen et nous gagnons un ambassadeur à l’étranger ». Toledano rappelle la paix dans laquelle vivaient les juifs depuis deux millénaires en terre marocaine et la protection qui leur a été accordée par le Commandeur des croyants, le sultan Mohamed V, grand-Père du souverain Mohamed VI. « Ce ne sont ni l’insécurité ni la discrimination qui ont poussé les nôtres à quitter leur pays » répond rigoureusement Sh. Cohen, directeur du Lycée juif de Maimonide à Casablanca.

Doté d’un regard pénétrant et d’un air imposant, Kippa à la tête, il a ajouté derrière son bureau prestigieux. « Si un juif marocain dans tout les pays du monde souhaite retourner au royaume, il lui suffit de se diriger vers l’ambassade du Maroc. Mais est-ce qu’un un juif égyptien, syrien ou irakien pourrait agir de la sorte ? » se demande Cohen, confus sous des émotions diverses, apparentes dans des larmes furtives.

Si, le rêve d’une meilleure vie pousse certains à s’expatrier, le sentiment de peur et d’insécurité demeure depuis toujours l’une des raisons majeures derrière leur immigration. « Je suis arabe marocain avant d’être juif, le Maroc est mon pays que j’aime tant, mais si je sens que ma sécurité est en danger je ne voudrais pas y rester », confie Mikaël, élève de 15 ans au lycée de Maimonide, kippa à la tête assis dans la cour de l’école en compagnie de trois camarades musulmanes.

Injures racistes

Mohamed ben Alaoui, commerçant au quartier de « Mellah Rabat » estime que l’assimilation entre le judaïsme et le sionisme provoquent le sentiment d’insécurité et encourage la tendance à l’immigration.

Latifa Bouchoua, membre de la commission administrative de l’Association marocaine des droits humains (AMDH) affirme que la confession juive est classée comme deuxième religion au Maroc, mais cela n’empêche pas qu’une minorité déclare ouvertement sa discrimination dans les slogans anti-juifs scandés dans les manifestations de soutien aux Palestiniens assortis d’injures comme « sale juif », a t-elle dit. « Notre association perçoit comme discriminatoire toute insulte à caractère religieux ».

Toledano explique que lorsque la communauté juive a progressivement baissé, les juifs sont devenus moins visibles dans les rues et le judaïsme marocain est devenu méconnu face au panarabisme qui gagnait du terrain. Parallèlement les médias audiovisuels et la presse faisaient, à leur tour, une sorte d’amalgame entre juifs et sionistes. Ces préjugés se sont glissés « mais sans pour autant tourner en racisme ».

Quant à Berdugo, il rétorque que le racisme existe partout dans le monde même à l’intérieur d’Israël dont la création au départ avait pour but de rassembler et protéger les Juifs et réaliser leur aspiration a la sécurité durable.

La paix

Les Juifs marocains assurent que la politique de l’Etat hébreu affecte leur vie, étant convaincus que leur sécurité est tributaire du processus de paix israélo-arabe. Dahan relève que leurs craintes grandissent en constatant que les attentats anti-juifs ne sont pas suffisamment médiatisés à l’instar de ceux perpétrés contre les Palestiniens dont des extraits passent en boucle une vingtaine de fois en longueur de journée. « C’est à ce moment là que les regards des musulmans marocains font peur », reconnaît le rabbin.

« Il y a des marocains qui ont une culture très conservatrice et il leur est difficile de faire cette distinction. Il n’y a que les élites et les plus ouverts qui font la différence entre sionisme, Israël et judaïsme », défend le directeur de l’Institut Marocain des Relations Internationales, Jawad Kerdoudi.

M. Azoulay estime qu’un jour la paix s’établira au Proche-Orient et Israël se trouvera enclin à s’intégrer culturellement et socialement au Monde Arabe. A ce moment les Israéliens d’origine marocaine seront des passerelles entre les juifs de l’Occident et ceux de l’Orient à l’intérieur d’Israël.

« Et lorsque on cessera de rater les rendez-vous de la paix et que l’établissement de deux États, israélien et palestinien, vivant côte-à-côte verra le jour, les conditions seront réunies pour que les juifs marocains rentrent au pays parce qu’il faudra toujours que quelqu’un viennent allumer une bougie sur la tombe de son grand-père », conclut Toledano.

Le Petit Journal - Mahitab Abdel Raouf

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