L’appel du large des jeunes Marocains !

29 avril 2002 - 12h34 - Maroc - Ecrit par :

Un jour, ils en ont eu assez de compter les disparus autour d’eux. Dans les maisons voisines et dans leurs familles, les absents étaient de plus en plus nombreux. Alors, l’été dernier, ils se sont rassemblés et ont créé l’Association des amis et familles des victimes de l’immigration clandestine (Afvic). Ils sont basés à Khouribga, leur ville natale, au centre-ouest du Maroc, à 130 km de Casablanca. Entre décompte macabre et aide aux familles, ils font, chaque jour, un travail de démystification pour lutter contre l’immigration clandestine. Car la jeunesse marocaine d’aujourd’hui n’a qu’une idée en tête : partir. Immigrer est devenu une obsession nationale.

En 2001, 720 cadavres ont été repêchés et identifiés des deux côtés du détroit de Gibraltar, selon l’Afvic qui a recoupé les chiffres des autorités marocaines et espagnoles. Mais on est sans nouvelles de milliers d’autres, dont on ne sait s’ils ont réussi à passer vivant de l’autre côté ou non. Principalement, des Marocains qui ont essayé de franchir les 13 km séparant leur pays de l’Espagne, le plus souvent dans des petites barques de pêcheurs appelées pateras. En une décennie, plus d’une centaine de milliers de Marocains auraient réussi la traversée interdite. « Les détecteurs infrarouges, les gardes-frontière, les barrières, n’arrivent pas à empêcher l’immigration clandestine », constate Hicham Rachidi, de l’Afvic. Du coup, son association mène « une guerre de Don Quichotte » pour tenter d’enrayer cette hémorragie.

Les indices de la réussite. Ceux qui partent, les ahragas, sont ceux qui « brûlent » : « Ils brûlent leurs papiers, avant d’embarquer, et ils brûlent aussi les étapes de la réussite sociale », explique un membre de l’association. Avant, surtout, ils brûlent de partir. L’Afvic a vu le jour dans une région baptisée la « salle d’attente ». A Khouribga, de la première à la dernière maison, chaque famille compte un proche qui vit à l’étranger. L’été, des grosses voitures immatriculées à l’étranger débarquent. Des immeubles se bâtissent. Autant d’indices de réussite qui aiguisent les rêves de départ. Surtout avec un Smic mensuel marocain de 180 euros pour 48 heures par semaine et un taux de chômage des moins de 25 ans avoisinant les 40 %. « Dans ces conditions, c’est difficile de dissuader quelqu’un de partir », admet Hicham Rachidi.

Une enquête menée par l’association dans les écoles, les lycées et auprès de la population active montre que 53 % des 600 personnes interrogées ont l’idée d’aller s’installer en Europe. 93 % n’ont jamais mis les pieds dans un pays étranger. Certains même n’ont jamais vu la mer. Comme ce témoin : « Que faire si ma barque coule ? Je m’accrocherai à une branche d’arbre. » Les candidats au départ rencontrés par l’Afvic sont conscients des risques. Mais disent aussi : « Cela vaut mieux que les regards de pitié de mon père. » Ou : « Je traverse pour ma famille. » Ou encore : « Si je meurs, je serai un martyre économique. » Dans l’imaginaire collectif, l’avenir se trouve hors des frontières.

« Quand on demande aux enfants et aux adolescents ce qu’ils feront quand ils seront grands, ils répondent : "Je vais partir à l’étranger", constate Khalil Jemmah, le président de l’Afvic. Nous, on voulait être avocat ou médecin. Eux, immigrés. »

Les fondateurs de l’association ont choisi de rester au pays, après des études de pharmacie, de droit ou de gestion. Mais, sur l’ensemble de leur promotion du bac, 20 % seulement se trouvent encore au Maroc, expliquent-ils. Et surtout leurs cadets lorgnent de plus en plus vers l’autre rive. Ce phénomène s’accélère d’une génération à l’autre. « On le voit dans les collèges, le respect s’est perdu : les jeunes pensent : "Je n’en ai rien à faire des études, je vais rejoindre mon oncle à l’étranger" », explique Khalil Jemmah.

Start-up du trafic humain. L’association se démène comme elle peut pour tenter de retenir les jeunes au pays. Par exemple, elle procède devant eux à de simples calculs : une traversée entre Tanger et Tarifa est évaluée 1 000 à 2 000 euros par personne. Une pateras peut contenir 40 passagers. Cela peut rapporter 40 000 euros par bateau. Cela engraisse « les start-up du trafic humain ». Pourquoi ne pas plutôt investir cet argent au Maroc ?, plaident les membres de l’Afvic, qui souhaitent développer des « coopératives de l’espoir ». L’association essaie aussi de « dramatiser ce que les candidats à l’immigration croient être le paradis », colportant, par exemple d’école en école, des photos chocs de cadavres d’immigrants qu’ils montrent aux enfants.

Mais, bien souvent, elle intervient quand le mal est fait. Quand une embarcation chavire dans le détroit, l’association essaie de retrouver l’identité des morts : « On veut mettre des noms sur les visages. » Elle retrouve les proches, les aide pour le rapatriement des corps et tente aussi de les convaincre de porter plainte. Pas facile quand une traversée suscite l’espoir de toute la famille, quand les passeurs sont vus comme des sauveurs. Pour l’instant, seules six affaires sont en cours. Une vingtaine de familles a refusé d’entamer des démarches judiciaires. La dernière intervention de l’Afvic fait suite à la noyade de 16 personnes, âgées de 16 à 40 ans, retrouvées à 70 km de Rabat, sur la côte marocaine. Tous de la même famille.

Source : liberation.fr

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