L’islamisme fait son chemin au Maroc

15 octobre 2003 - 14h41 - Maroc - Ecrit par :

Casablanca n’est peut-être pas le Maroc. Mais c’est pourtant dans la capitale économique du royaume que les islamistes de la Djahidia salafia ont perpétré le 16 mai dernier un triple attentat kamikaze qui avait fait 45 morts et plus d’une centaine de blessés. Depuis, plus d’un millier d’islamistes ont été interpellés. La justice marocaine a prononcé plusieurs peines capitales au cours de plusieurs procès. Boulevard des Forces armées royales, l’hôtel Farah, immense bâtisse de plus de 20 étages, théâtre d’un des attentats du 16 mai, a fait peau neuve.

Quelques policiers continuent néanmoins d’assurer la sécurité de l’hôtel. Mais de manière générale, la ville semble avoir tourné la page. Le dispositif sécuritaire est plus que discret. La population vaque normalement à ses occupations. En ville, il y a autant de femmes en tenue moderne que de femmes en hidjab ou en tenue traditionnelle. Dès le soir tombé, la ville grouille de monde. Jeunes couples, femmes seules en jean’s, jeunes et vieux envahissent le centre-ville. Cafés, bars, magasins sont envahis. Sur les trottoirs des grandes avenues menant à la place Mohamed-V, ou le long du parc de la Ligue arabe, voire vers la place Houphouet-Boigny, il y a foule. En famille ou seul, la ville est très animée jusqu’à une heure tardive de la nuit. La tombée de la nuit, c’est aussi ces vendeurs à la sauvette. Ils vendent de tout : montres, cassettes audio, petit matériel électronique, chaussettes, cravates, vestes, jupes, chemises et pantalons à des prix défiant toute concurrence. Et puis, il y a ces touristes de toutes nationalités. Casablanca, c’est cela. Une ville qui fourmille de lieux conviviaux où la modernité côtoie le conservatisme islamiste. Il n’en reste pas moins que dans le quartier Gautier, habité par les communautés juive et européenne, l’inquiétude est réelle. L’assassinat de deux juifs marocains, en plus de l’attentat qui les avait ciblés le 16 mai, dans un lieu fréquenté par les juifs marocains, a ravivé d’autant les inquiétudes de cette communauté au demeurant parfaitement intégrée dans le royaume. « Nous tenons à ce qu’ils restent au Maroc. Non seulement ils sont marocains, mais c’est tout l’héritage culturel arabo-andalou qui prendrait un coup si jamais demain ils sont contraints de quitter le Maroc », explique Mohamed Grine, membre du BP du Parti du progrès et du socialisme (PPS). L’objectif pour lequel il milite, assure-t-il, « est de construire un pôle de la modernité qui dépasserait les clivages politiques traditionnels gauche-droite pour faire face à la menace islamiste ». Si Casa, comme l’appellent les Marocains, n’est pas seulement les islamistes, ces derniers sont pourtant bien présents, et ce, même si, en raison de la répression, ils ne sont pas visibles. Le Parti de la justice et du développement (PJD), qui est arrivé en tête dans 8 des 16 arrondissements de la ville à l’issue des élections municipales de septembre dernier, multiplie les déclarations rassurantes. Il fait tout pour marquer sa différence avec les islamistes radicaux. Un discours qui semble porteur. En témoigne le fait qu’il a fait élire un de ses candidats comme maire de l’arrondissement populeux de Bernoussi. A Meknès, l’une des villes impériales, ancien bastion de la gauche marocaine, l’islamisme gagne du terrain. A Rabat, le PJD a également réussi à faire élire un maire dans l’un des quatre arrondissements de la capitale marocaine. « Comme en Algérie, l’école a fabriqué des islamistes », fait remarquer un journaliste marocain, inquiet par la tournure de la situation. Mais, contrairement à l’Algérie, le pouvoir royal a pris le taureau par les cornes. Depuis cette année, les programmes scolaires sont expurgés de toute référence d’auteurs islamistes. Les livres et les cassettes islamiques jugés dangereux ont été retirés des librairies. Certaines d’entre elles ont été tout simplement fermées pour n’avoir pas obtempéré aux instructions du Pouvoir. Les prêches dans les mosquées sont sous surveillance.
Soucieux de s’inscrire dans la légalité, le PJD se définit volontiers comme « un parti participatif ». « On est là pour gérer », souligne l’un de ses dirigeants, Lahcen Daoudi. Selon la presse marocaine, il est question de l’entrée au gouvernement du PJD. Un sujet qui divise à la fois les conseillers du roi Mohammed VI et l’USFP. L’un des leaders de ce parti, le patron du journal Libération, El Yazighi, est résolument contre toute alliance avec les islamistes, voire de participer à un gouvernement dans lequel le PJD ferait son entrée. Tandis que le patron de l’USFP, l’ancien Premier ministre, M. Youssoufi, y serait plutôt favorable. Il n’empêche, Abdelilah Belkirane, figure de proue du PJD, qui cherche à donner à son parti une image bon chic bon genre, milite pour une entrée au gouvernement. Des journaux, comme l’hebdomadaire Tel Quel, affirment que le PJD, sous la houlette de Belkirane, veut imiter l’exemple turc. Au bout du compte, les islamistes dits modérés divisent la classe politique marocaine. Et c’est bien là le problème. Il n’est donc pas exclu, à l’occasion d’un remaniement ministériel, voire de la nomination d’un nouveau Chef du gouvernement, que l’on dit imminente, que le PJD fasse son entrée dans le gouvernement. « En Algérie, ils sont au gouvernement, alors que les radicaux mènent une guerre contre l’Etat et la société. Il n’y a pas de raison qu’au Maroc, on continue de les ignorer, alors que le PJD est la troisième force parlementaire du pays », estime un journaliste marocain. Pour l’heure, le roi Mohammed VI n’a encore rien décidé. Mais chacun sait que c’est le palais qui tranchera en dernier ressort. Pour les observateurs en place, en intégrant les islamistes du PJD dans un gouvernement de coalition et, partant, en les mouillant dans la gestion d’un Maroc en proie à de sérieuses difficultés socioéconomiques, le pouvoir royal chercherait à les neutraliser.

Hassane Zerrouky

Le Matin, Algérie

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