Le forum hispano-marocain plaide pour un rapprochement juridique des deux pays

28 janvier 2004 - 12h38 - Espagne - Ecrit par :

Vocation et conviction. La Fondation des trois cultures a organisé un forum hispano-marocain de juristes. Dans la brume de Séville, les participants ont mesuré le chemin qui reste à parcourir que l’histoire juridique commune des deux pays ne soit plus un rendez-vous raté. « Nous avons parcouru un long chemin.

Un chemin où nous avons tout rencontré ; rencontré la mémoire et l’oubli, la paix et les conflits. Nous avons parcouru un long chemin où nous avons tout partagé, des moments de bonheur et des moments de malheur, mais je ne crois pas que nous ayons un jour rencontré et partagé des instruments juridiques.

Notre histoire juridique commune est un rendez-vous raté ». Les paroles de Omar Azziman, ancien ministre de la Justice, aujourd’hui président du Conseil consultatif des droits de l’homme, résonnent dans l’ancien pavillon Maroc devenu siège de la Fondation des trois cultures.

Ses phrases résonnent, criantes de vérité. Au forum hispano-marocain de juristes, réuni les 23 et 24 janvier à Séville, avocats, juges, juristes ont beaucoup parlé, débattu, échangé leurs visions pour « une convergence juridique dans l’espace méditerranéen ».

D’une rive à l’autre de cette Mare Nostrum récipiendaire de l’histoire de l’humanité, et en cette ville, Séville capitale de l’Andalousie, symbiose entre Orient et Occident, hommes et femmes de loi ont mesuré le chemin à parcourir.

Il faut remonter le temps, et au bout de ce parcours mnémonique, l’incompréhension. Pourtant, ici, la Fondation des trois cultures, entre zouacs, boiseries sculptées, zelliges et fontaines, on n’en finit pas de militer par vocation et conviction, pour une connaissance mutuelle hispano-marocaine.

Oui, mais... Azziman le dit haut et fort, n’hésitant pas à bousculer les mentalités politiquement correctes et à se faire adepte du parler-vrai. « Il n’y a pas un seul spécialiste espagnol du droit marocain. De même qu’il n’y a pas un seul spécialiste marocain du droit espagnol » , s’exclame-t-il.

L’Espagne et le Maroc se regardent-ils alors en chien de faïence, arrachant et oubliant ces pages d’histoire où Al Andalouss n’est plus que « ce paradis perdu » et la présence mauresque une visite guidée de musée ? Perejil est venu rappeler que le rapprochement des peules se fait justement en temps de tension et de conflit. Jamais la Fondation des trois cultures n’a été autant ce pont et cette passerelle entre les sociétés civiles des deux pays. « Pour que nous retrouvions ce vivre-ensemble qui a été, il y a plusieurs siècles, ici en Andalousie, une réalité », explique le directeur de cette Fondation que président Sa Majesté Mohammed VI et le Roi Juan Carlos.

« L’immigration casse le mythe de l’histoire commune »

En ce mois de janvier finissant, et dans la brume sévillane, les juristes marocains et espagnols ont disséqué une réalité vivace. La présidente du Cercle méditerranéen, Carmen Romero en cernera les contours. « La construction d’un espace juridique méditerranéen ne doit plus être une utopie mais un objectif pour ceux qui veulent réellement une Méditerranée partagée.

J’ai eu à vivre les tensions mais aussi les opportunités du voisinage avec le Maroc. Il y a un problème de communication et nous devons reconnaître que s’il n’y a pas de communication fluide entre les deux pays c’est bien parce qu’il n’y a pas un climat de confiance », résume celle qui, dans le civil, est l’épouse de l’ancien président de gouvernement, Felipe Gonzalez.

La conseillère de la justice à La Junta de Andalucia ne dira pas autre chose en dressant le constat « d’une faible coopération et une connaissance dérisoire de nos système judiciaires réciproques ». « Il est urgent de créer un véritable environnement de confiance ».

Les sujets de méfiance existent et sont sources de tensions. De ce côté-ci de la Méditerranée, les lumières si proches de Tarifa brillent comme un appel. L’Espagne est devenue un pays d’immigration. Ce sujet qui fâche sera longuement débattu au cours de cette rencontre de juristes.

« Notre politique pour affronter les flux migratoires est improvisée. Qu’on le veuille ou non, l’immigration est un fait et aujourd’hui elle vient casser ce mythe de l’histoire commune de nos deux pays », reconnaît la conseillère en charge de la justice dans le gouvernement régional andalou qui en appellera même à l’application de la convention des contrats.

« D’accord, mais que faisons-nous pour que les migrants s’investissent dans ce nouvel espace méditerranéen ? Que fait l’Espagne pour communiquer avec les émigrés marocains ? Une enquête récente effectuée par une fondation espagnole montre que l’indice de confiance aux mauresques est le plus bas », relève Mohamed Khaldi, responsable du Département « Espagne » à la Fondation Hassan II pour les résidents marocains à l’étranger.

Sujet au cœur des joutes pré-électorales en terre espagnole, l’émigration retient aussi l’attention des avocats espagnols. Avec la collaboration des barreaux des avocats d’Andalousie, la Junta a procédé à la création d’un système d’assistance aux émigrés, y compris sans papiers. L’expérience est nouvelle et veut servir de modèle pour que « le droit soit la seule règle en cette Méditerranée ».

Autre expérience, autre initiative : le barreau de Madrid mettra très prochainement en ligne sur son site web la version espagnole du nouveau Code de la famille marocain lequel sera d’ailleurs un thème passionnément débattu au cours de cette rencontre. Et on ira jusqu’à prendre l’engagement « de rechercher des solutions juridiques pour faire appliquer le droit marocain en Espagne, surtout en matière de jugements rendus ».

Ils en rêvent et ils le diront en ce forum hispano-marocain de juristes. Sera-t-il un jour possible de mettre en place un forum de juristes méditerranéens ? « Pour l’heure il est plus réaliste de parler de relations bilatérales même si la Méditerranée et le Maroc sont la projection naturelle de la politique extérieure espagnole », lance un avocat de Grenade.

Une meilleure connaissance juridique donc qui profitera également à tous ceux qui veulent faire des affaires. Question de confiance là encore. « Nous sommes condamnés à nous entendre. Pourquoi ne pas passer par l’économique et favoriser une économie commune entre les deux pays ? Apprenons à mieux nous connaître, à mieux communiquer pour transmettre cette sensation de confiance à nos clients qui veulent investir au Maroc. C’est là aussi le rôle qui est le nôtre.

Investir ce n’est pas seulement faire des affaires, c’est aussi connaître l’autre. La Route des épices est un itinéraire qui a été bien au-delà d’un simple commerce », affirme un avocat d’affaires espagnol.

La connaissance mutuelle juridique ne sera plus un vœu pieux, se sont promis les participants à ce forum avant de se donner rendez-vous au Maroc. Dans ce quartier de l’exposition universelle de 1992, le pavillon Maroc se dresse comme un appel aux retrouvailles andalouses. Au loin, presque dans le même temps, à l’intérieur de l’Eglise de Séville, le minaret de la Giralda dont l’édification avait été ordonnée par le Calife Abu Yacoub Yussuf Arifi en 1197, continue d’attirer toujours autant de touristes, malgré ses 35 niveaux...

Narjis Rerhaye pour Le Matin

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