Les islamistes indésirables en France

15 août 2002 - 16h05 - France - Ecrit par :

Le gouvernement français entend renvoyer vers leur pays d’origine les Maghrébins impliqués dans des réseaux terroristes. Quitte à leur retirer la nationalité française.

Dans la lutte antiterroriste comme dans le combat contre la petite délinquance, la droite veut imprimer sa marque. Depuis son installation Place Beauvau, Nicolas Sarkozy incarne sans états d’âme une ligne de fermeté. Elle se manifeste par l’application stricte de la législation en matière de répression antiterroriste. Ainsi, le ministre de l’Intérieur cherche à écarter du territoire français des islamistes déjà condamnés pour leurs activités ou soupçonnés d’appartenir à des réseaux, quitte à appliquer des mesures peu usitées jusqu’à présent. Le gouvernement a donc retiré la nationalité française à l’un d’eux et s’apprête à le faire pour deux autres.

Le premier cas, de loin le plus emblématique, est celui de Kamel Daoudi. Le 3 août prochain, le jeune homme fêtera son 28e anniversaire dans sa cellule de Fleury-Mérogis (Essonne). Il est soupçonné d’appartenir à un réseau islamiste qui projetait un attentat contre l’ambassade des Etats-Unis à Paris. L’affaire a été découverte le 28 juillet 2001, à l’occasion de l’arrestation, à Dubaï, de son mentor, Djamel Beghal, un fondamentaliste accusé d’être l’un des relais d’Al-Qaeda en Europe. Les deux hommes s’étaient d’abord fait remarquer localement par leur discours radical dans une mosquée de Corbeil-Essonnes (Essonne). Ils se sont ensuite retrouvés à Leicester, en Grande-Bretagne, puis, au printemps 2001, dans des camps d’entraînement en Afghanistan. Avant de partir, le jeune Algérien avait pris soin de demander sa naturalisation. C’est d’ailleurs, de façon invraisemblable, pendant qu’il s’entraînait au maniement de la kalachnikov à Jalalabad qu’il est devenu officiellement citoyen français, le 14 juin 2001. Il ne rentrera à Corbeil-Essonnes que deux mois plus tard.

Des décisions aussi politiques que techniques

En apparence, Daoudi présentait pourtant le visage d’une intégration réussie. Né à Sedrata, en Algérie, il est arrivé en France à l’âge de 5 ans. Son père, agent hospitalier à la Pitié-Salpêtrière, voyait déjà en lui un futur ingénieur. Il en avait sans doute les capacités. Mais, séduit par les thèses les plus radicales de l’islam, il abandonne contre toute attente sa licence d’informatique, entamée à Jussieu. Il travaille en 2000 comme animateur dans un cybercafé d’Athis-Mons (Essonne). Il est finalement arrêté en Angleterre, puis transféré à Paris le 28 septembre 2001.

Dès cette époque, le cas Daoudi provoque une vive polémique à l’Assemblée nationale. Le député RPF Jacques Myard critique la facilité avec laquelle le jeune homme a obtenu la nationalité française, parlant de « laxisme législatif ». La droite n’a pas oublié. Dès les premières semaines du gouvernement Raffarin, en mai, elle décide de faire un exemple, étudiant les moyens juridiques de retirer à Daoudi sa citoyenneté française. Un article du Code civil, peu connu, l’autorise. Il s’applique seulement aux binationaux naturalisés français depuis moins d’un an. Pendant cette période, le nouveau citoyen doit en effet être « de bonnes vie et mœurs ». Dans le cas contraire, le gouvernement peut « rapporter », c’est-à-dire annuler, sa décision. La notion très large d’atteinte aux mœurs est l’objet d’une enquête policière et judiciaire.

Le 27 mai 2002, trois semaines seulement après la réélection de Jacques Chirac, Kamel Daoudi a donc officiellement perdu sa nationalité française. Après avis du Conseil d’Etat, le décret a été publié au Journal officiel du 1er juin. Cette mesure permettrait une expulsion vers l’Algérie après une éventuelle condamnation. L’avocat de Daoudi s’en est, dès à présent, indigné. « Cette décision a été prise au mépris de la présomption d’innocence, estime Me Frédéric Bellanger. De plus, le décret de naturalisation a été annulé sur la base d’éléments couverts par le secret de l’instruction. » L’avocat a déposé un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d’Etat.

Le Code civil exige des naturalisés qu’ils soient « de bonnes vie et mœurs »

Le ministère de l’Intérieur, pourtant, ne s’arrêtera pas là. Deux autres procédures de déchéance de la nationalité sont déjà engagées. Elles concernent là encore des binationaux, Omar Saïki et Karim Bourti. Une affaire qui remonte à quatre ans. Le 26 mai 1998, le juge Bruguière lançait un vaste coup de filet contre des milieux islamistes soupçonnés de préparer des attentats à l’occasion de la Coupe du monde de football. Des opérations similaires étaient menées au même moment en Allemagne, en Italie, en Belgique et en Suisse. Au total, 24 personnes sont renvoyées devant le tribunal correctionnel de Paris. Dans leur jugement, le 12 décembre 2000, les magistrats condamnent le chef supposé du réseau, Omar Saïki, à quatre ans d’emprisonnement, dont un avec sursis, et Karim Bourti, à trois ans. Des peines qui couvrent la détention provisoire. Par ailleurs, neuf personnes sont totalement blanchies.

A l’époque, les avocats s’appuient sur la décision du tribunal pour remettre en question la politique antiterroriste française. Le défenseur de Bourti, Me Patrick Baudoin, alors président de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme, raille les « piètres résultats » des magistrats spécialisés. Saïki et Bourti, aujourd’hui en liberté, disposent encore de leur nationalité française, ce qui interdit évidemment toute expulsion. La procédure en cours permettrait de les renvoyer vers leur pays d’origine. Enfin, l’Intérieur s’intéresse aux dossiers de plusieurs étrangers remis en liberté après avoir purgé leur peine pour des activités subversives. Neuf arrêtés d’interdiction définitive du territoire viennent d’être signés. Ils concernent, pour l’essentiel, des membres du « réseau Chalabi ». Cette structure de soutien aux maquis du GIA algérien, dirigée par les frères Chalabi, opérait depuis le siège de l’Association pour l’éducation des musulmans de France, dans le Val-de-Marne. Elle a été démantelée en 1994, au terme d’une très large opération destinée, selon les juges, à prévenir des attentats à Paris. Elle a débouché, le 1er septembre 1998, sur le début d’un procès fleuve : 138 personnes ont été renvoyées devant le tribunal correctionnel de Paris. Mohamed Chalabi a finalement été condamné, en janvier 1999, à huit ans d’emprisonnement et à l’interdiction définitive du territoire français (il a été expulsé vers Alger, en novembre 2001, après avoir purgé sa peine).

Mais ce procès hors du commun a été très critiqué par les avocats et les organisations de défense des droits de l’homme : il a en effet abouti à 51 relaxes. Près de 2 millions de francs d’indemnités ont été accordés pour détention abusive. Le gouvernement actuel veut, dans cette affaire symbole, faire appliquer intégralement les décisions de justice. Ainsi, Brahim, le frère de Mohamed Chalabi, condamné à quatre ans de prison et, lui aussi, à une interdiction définitive du territoire, devrait être l’un des premiers à être expulsé.

L’ensemble de ces décisions, aussi politiques que techniques, risque de susciter la colère des associations de défense des droits de l’homme, qui ne cessent de dénoncer le risque de remettre des islamistes aux autorités algériennes. Mais la droite répliquera sans doute que l’après-11 septembre justifie des méthodes exceptionnelles. D’autant qu’il ne se passe pas de semaine sans que les services spécialisés fassent de nouvelles découvertes. Le 23 juillet dernier, deux étranges personnages étaient par exemple interpellés par la DST à Marseille. Ces Algériens, qui résident en Irlande, étaient munis de faux papiers italiens. Connus comme anciens membres du FIS et du GIA, ils disposent de toute évidence de moyens financiers importants. Les policiers les soupçonnent d’avoir tenté de constituer en Europe un nouveau réseau islamiste. Ils ont été très discrètement mis en examen à Paris par le juge Bruguière et incarcérés le 27 juillet. Une affaire qui pourrait déboucher sur d’autres découvertes.

l’express

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