Loubna, Saïda, Sofia et les autres

2 mars 2005 - 14h29 - Maroc - Ecrit par :

Dans les années 1970, la majorité d’entre elles étaient filles ou épouses d’immigrés. Depuis une quinzaine d’années, elles sont de plus en plus nombreuses à tenter l’exil toutes seules.

Femme au foyer, bonne à tout faire, étudiante, ouvrière, cadre dynamique, voilée, dévoilée, en tailleur chic, en djellaba ou maquillée, célibattante, célibataire en quête, mariée de force, vivant volontiers en concubinage, répudiée, veuve, sans papiers, résidente, naturalisée... Toutes les femmes composant la diaspora marocaine de France ne sont pas femmes ou filles d’immigrés. C’était peut-être le cas dans les années 1970, mais le visage de l’immigration féminine a bien changé depuis. Déjà, au milieu des années 1980, de plus en plus d’étudiantes issues des classes moyennes et favorisées sont arrivées, avec un bac ou une maîtrise en poche, et toutes ne sont pas rentrées au pays à l’issue de leur cursus.

Bien sûr, il y a celles dont on parle parce qu’elles ont réussi à ouvrir un restaurant gastronomique (Fatéma Hal), à passer à la télé (Sofia de la Star Ac), à faire rire (Saïda Churchill), à chanter (Sophia Mestari), à militer (Loubna Meliane), à faire de la politique (Myriam Salah-Eddine, adjointe au maire de Marseille), voire à conseiller Nicolas Sarkozy (Rachida Dati). Et puis il y a les autres, les invisibles, celles qui sont parties seules et nullement pour décrocher un diplôme, mais pour gagner leur vie et celle de leurs proches restés au bled. Si elles n’étaient qu’une poignée dans les années 1970 à se lancer dans l’aventure, elles sont de plus en plus nombreuses, depuis une quinzaine d’années, à tenter l’exil, quitte à être clandestines après l’expiration de leur visa touristique et, pourquoi pas, à se marier, en blanc ou non, avec un musulman ou un « goy ». Souvent sans diplômes et sans papiers, elles sont condamnées à travailler dans les « deux secteurs informels : le ménage et la prostitution, ouverts aux femmes immigrées, notamment celles qui n’ont aucune qualification », explique Nassima Moujoud, doctorante à l’École des hautes études en sciences sociales de Paris, qui consacre sa thèse aux Marocaines arrivées seules en France.

Bien entendu, le départ s’explique souvent par des considérations économiques, mais, comme le note cette jeune thésarde, « l’importance en nombre des veuves et des divorcées ou répudiées, ces femmes qui ne sont ni épouses ni vierges, révèle que la migration est motivée, entre autres, par la marginalisation qu’elles subissent dans leur pays d’origine et par les difficultés économiques résultant du non-partage des biens entre époux ou des inégalités en matière d’héritage ».

Par ailleurs, la plupart de ces migrantes, en dépit de la disparité de leurs conditions socioculturelles, n’hésitent pas à vivre maritalement avec des hommes aux nationalités et aux confessions très diverses. La pression sociale ayant disparu du fait de l’éloignement, il arrive que des couples, mixtes ou non, vivent en concubinage pendant plusieurs années avant de convoler en justes noces, le cas échéant.

Il ne faut pas croire pour autant qu’exil rime toujours avec épanouissement et bien-être. « Chez toutes, qu’elles soient instruites ou illettrées, mariées ou célibataires, je ressens une grande souffrance liée à l’éloignement mais aussi à la discrimination », déplore Hakima Laala Hafdane, présidente de l’Association des femmes franco-marocaines pour l’accès au droit et à la citoyenneté (AFFMADC). Qu’en est-il justement de cette discrimination lorsqu’il s’agit de trouver un appartement ou un emploi ? « En ce qui concerne ma carrière, j’ai eu de la chance de tomber sur des gens intelligents. En revanche, lorsque je cherchais un logement, plusieurs fois les portes se sont fermées devant moi parce que je suis maghrébine », confirme Nabila, directeur administratif. « J’ai eu du mal à dénicher un toit. Finalement, un ami me sous-loue son appartement. Pour le travail, je n’ai pas eu trop de problèmes, sauf pour faire un stage dans un journal de l’Ouest : mes interlocuteurs préféraient des Bretons ou à tout le moins des Français de souche », explique Leila, dont les parents sont arrivés en France dans les années 1970. Même son de cloche chez Sonia, qui a grandi dans la banlieue parisienne : « Je cumule les CDD et les postes intérimaires. J’ai pris soin de franciser mon nom, mais au moment des entretiens la couleur de ma peau surprend visiblement mon interlocuteur, et c’est niet. »

Victimes de la discrimination ici, ont-elles tendance à idéaliser le pays d’origine ? « Parfois, j’aimerais retourner au Maroc pour m’y installer, répond Sonia. Mais, à d’autres moments, je trouve que l’injustice et les disparités sont encore plus flagrantes là-bas. » Leila a une réaction voisine : « Mon coeur balance entre la France et le Maroc. Je suis plus libre et mieux adaptée ici, mais j’aimerais bien connaître le pays de mes aïeux. » Toutes n’y retournent pas chaque été, faute de moyens parfois, mais aussi pour d’autres raisons. « Je ne suis pas rentrée pendant cinq ans, car je n’en ai pas ressenti le besoin », déclare Amina, 35 ans, établie en Bretagne. Contrairement aux hommes, les femmes semblent moins sujettes à la nostalgie alimentant le fameux mythe du retour.

Fadwa Miadi - lintelligent.com

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