Les marabouts encore vénérés au Maroc

7 octobre 2007 - 00h26 - Maroc - Ecrit par : L.A

Bien que relativement inhabituelle pour la plupart des Musulmans, la tradition des marabouts, des hommes saints, et des demandes de faveurs continue d’être observée au Maroc. Les gens qui cherchent la guérison, une aide ou des conseils se rendent sur les tombes de ces notables pour des prières collectives.

Le Maroc compte des dizaines de marabouts, qui gardent encore une place particulière dans la vie de bon nombre de Marocains. Les temples qui abritent les tombes de ces saints se retrouvent dans toutes les régions du royaume chérifien, et continuent d’être visités en masse par des jeunes et des moins jeunes. Bien qu’il ne soit pas habituel dans l’Islam de prier ces saints, cette pratique ancestrale perdure pour ceux qui viennent se recueillir ou demander une faveur.

Les marabouts, également appelés walis, cherifs ou saints, sont en général enterrés dans de petites chapelles. A l’intérieur, on retrouve toujours la même scène : des pèlerins, hommes et femmes, assis autour du tombeau tandis que d’autres se couvrent la tête du drap du saint homme et restent un long moment sans bouger comme pour se confesser.

Si les tombes de marabouts sont innombrables au Maroc, les plus connues attirent des visiteurs en masse. Sidi Belyout à Casablanca, situé au coeur de la capitale économique du pays, en est un exemple.

L’entrée de la coupole de ce marabout est sculptée d’arabesques. Un palmier y a poussé, et l’on a dû lui aménager un trou dans le toit. Une femme garde la tombe. Elle vend des bougies aux visiteurs. "Ces gens viennent implorer Dieu. Chacun a ses propres soucis. Ils prient et Dieu exauce leurs prières."

Parmi les visiteurs qui affluent à Sidi Belyout, on trouve notamment des jeunes filles venant exposer leurs problèmes au wali. Khadija B., 36 ans, vit dans l’ancienne médina de Casablanca. "Je crois que la baraka de ces saints existe bel et bien. Depuis que j’étais enfant, ma mère m’emmenait avec elle partout à Casablanca pour nous recueillir sur les tombes des divers saints. Chaque semaine, je viens à Sidi Belyout, où je rencontre plusieurs femmes. Quand je tarde à m’y rendre, c’est le saint homme qui vient me voir dans mes rêves pour me signaler que je dois le consulter."

A l’instar de Khadija, elles sont nombreuses à être fidèles au marabout en lui rendant régulièrement visite. "En fait, c’est une sorte d’apaisement moral", explique Ilham Boughaba, étudiante en droit. "Après la visite hebdomadaire, je sens une paix dans mon for intérieur et je peux vaquer par la suite à mes occupations en toute quiétude. Avec le temps, mes visites sont devenues des rendez-vous incontournables dans mon emploi du temps."

Les tombeaux des marabouts sont également des lieux de rencontre régulière. Les personnes démunies y affluent chaque vendredi pour manger le couscous servi par des bienfaiteurs, et des festivals annuels tels que le moussem continuent d’attirer des centaines de milliers de gens. Outre la prière et les demandes de bénédiction, le moussem est aussi une occasion de retrouver des amis et des parents qui habitent loin. Certains profitent même de cette occasion pour trouver un mari ou une femme pour leurs enfants.

Ceux qui se recueillent aux temples des saints nourrissent mille et un espoirs et implorent la baraka du marabout. "Si je vais consulter le marabout, c’est pour qu’il soit un intermédiaire entre moi et Dieu", explique El Hajja Tamou, la soixantaine, qui s’est rendu dans le tombeau des walis du Maroc depuis sa plus tendre enfance. "Je sais que lui n’est qu’un être humain comme nous. Mais c’est un cherif."

La "consultation" de Tamou diffère selon ce qu’elle souhaite obtenir, et ses demandes varient d’une visite à l’autre. "Je les implore pour que mon mari ne se remarie pas, pour que mon fils décroche un bon boulot et pour que ma fille qui a trente-cinq ans trouve un mari", déclare-t-elle, les yeux pleins d’espoir. Au Maroc, chaque marabout est réputé pour une compétence particulière qui le distingue des autres, explique Tamou. Chaque saint est jugé selon ses "miracles" et les histoires mystiques qui circulent à son propos. Et c’est cet aspect merveilleux qui est le seul capable de satisfaire la mentalité d’une certaine catégorie de personnes dont la nourriture culturelle est, sans conteste, l’imaginaire.

Le sociologue Jamil Maaroug a expliqué à Magharebia que dans de nombreux cas, le marabout joue le rôle du psychiatre. Face à la cherté des prestations de la médecine psychiatrique, certaines personnes préfèrent emmener leurs proches souffrant d’une maladie mentale voir les saints. L’exemple le plus célèbre au Maroc est celui de Bouya Omar à Kalâat Seraghna, où des dizaines de malades mentaux sont enchaînées dans l’attente de la baraka du marabout.

Le docteur Driss Moussaoui parle du mythe de Bouya Omar, le "dompteur des esprits", comme il est connu ici. Il explique que ce mythe se retrouvait en Grèce. "À l’époque, on enfermait les malades mentaux dans les sous-sols des hôpitaux en attendant qu’Asclépios, le dieu de la médecine, leur apparaisse en rêve pour leur donner la clé qui les libérera de la maladie. Donc, tout ceci n’a rien à voir avec la religion, ni avec le Maroc. C’est quelque chose qui nous vient de la région méditerranéenne, où se sont croisées différentes civilisations, chacune avec ses croyances et qui se perpétuent d’une manière ou d’une autre."

Il explique qu’aujourd’hui encore, les gens ont souvent recours en même temps aux méthodes traditionnelles et à la médecine moderne. "Même si certains patients se rendent chez un psychiatre, ils continuent à avoir recours aux compétences d’un guérisseur traditionnel, et aux méthodes de prise en charge traditionnelle de la souffrance psychique, qui sont nombreuses : pèlerinage aux marabouts, transe... Cela peut avoir un effet bénéfique pour les personnes atteintes de troubles légers et croyant aux vertus des saints. Mais, pour les autres, ce n’est pas le cas", explique-t-il.

Le recours à la bénédiction des marabouts est une pratique qui semble loin de disparaître. Dans son livre intitulé "Rites et secrets des marabouts de Casablanca", le docteur Akhmisse Mustapha souligne que les gens s’adonnent encore à des pratiques parfois incompréhensibles. L’élite du pays les condamne, la religion les combat. Mais rien ne peut les faire disparaître. "Elles subsisteront encore longtemps, car il s’agit en fait de l’émanation de ce qu’il y a de plus profond dans l’enfant : c’est le sacré identifié au marabout. Le Wali reste le havre de paix pour l’âme qui souffre et que rien n’apaise", explique-t-il.

Magharebia - Sarah Touahri

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