Ouarzawood, l’envers du décor

13 mai 2007 - 14h35 - Maroc - Ecrit par : L.A

Depuis un demi-siècle, les tournages se bousculent dans le “Hollywood marocain”. Pourtant, Ouarzazate et ses habitants semblent être les derniers à en profiter…

Des grilles rouillées, un vieux carton malmené par une bourrasque poussiéreuse, des marches désertes : le cinéma Sahara semble dépérir. Normal, “il est fermé depuis des années”, déplore Miloud Jghou, un Ouarzazi d’une cinquantaine d’années. Fermé, tout comme le cinéma Atlas, dont la façade s’est vu gratifier d’un coup de pinceau, vain cache-misère “à l’occasion du dernier passage royal”. Un même sort
ironique pour les deux seules salles sombres de la “capitale du Septième art”, qui en dit long sur les véritables retombées socioéconomiques des tournages étrangers qui se succèdent dans la région, mettant à mal son image de Hollywood marocain.

Une lumière incomparable, des paysages évoquant tour à tour les dunes mésopotamiennes, une galaxie futuriste ou le berceau de l’humanité… En un demi-siècle et quelque 500 longs-métrages, la région a lié son destin au cinéma, au point que ses habitants ont fini par régler leurs vies sur le rythme des tournages.

Dans les rues fouettées par le vent sec, Miloud, chef de casting, ne fait pas cent mètres sans être accosté par un passant, à l’affût d’un tuyau sur le prochain tournage. Il faut dire que l’année 2007 promet d’être faste en tournages, dont une production à 120 millions de dirhams, selon le Centre cinématographique marocain (CCM).

Une belle reprise - après la période creuse 2001-2003 - que le royaume encourage à coups d’avantages fiscaux et de souplesse administrative. Les productions sont également attirées par une main-d’œuvre au rabais : Ouarzazate, ce sont aussi les lois de la mondialisation appliquées au Septième art.

“L’exemple même de l’expérience où tout le monde est gagnant”, angélise le président du CCM, Noureddine Saïl. À la wilaya de la ville, on s’empresse d’argumenter : “Un tiers des bénéfices du tourisme local provient des tournages”, estime Abdessadek El Alem, de la division sociale. Pourtant, les visites des studios Atlas et leurs monuments en polystyrène, sont marginales. Et question people, mieux vaut remonter à la source marrakchie. “Ouarzazate reste une ville de passage pour les touristes, poursuit El Alem, mais quand des équipes de tournage arrivent, hôtels et restaurants tournent pour plusieurs mois”.

Cherche chômeurs pas chers

L’équation est simple : plus de tournages égale moins de chômage. “En 2005, trois films ont représenté 30 000 journées de travail pour les techniciens et les ouvriers, et 27 000 pour les figurants, soit une valeur de 18 millions de dirhams”, illustre Mohamed Lamrini, de la “cellule cinéma” provinciale, insistant au passage sur le quota de 25% de figurants marocains et le recours à une société nationale de prestation de services, imposés par le CCM. “Cela profite surtout aux petits métiers d’accessoiristes, coiffeurs ou maquilleurs”, nuance un professionnel. “Cameramen et chefs opérateurs sont souvent étrangers, mais il y a tout de même des Marocains de bon niveau parmi les assistants caméra, perchmen, électriciens, ingénieurs son…”, assure Driss Roukhe, l’un des rares acteurs du pays à s’être fait une place dans les castings étrangers.

À défaut de success stories, le petit peuple d’Ouarzazate se contente de quelques modestes exemples d’ascension sociale, à l’instar de Miloud Jghou. Ayant figuré “dans plus de 150 films” depuis ses débuts, à l’âge de huit ans, il s’est depuis imposé comme une figure respectée du “système”. Aujourd’hui, via son association “Kasbah comparses”, il s’emploie à défendre le statut des figurants. Car au vingt-et-unième siècle, toges romaines et armures de templiers riment souvent avec exploitation éhontée.

“Certaines sociétés de production sont correctes”, précise Hicham Zizaoui, grand gaillard de 34 ans ayant réussi à décrocher quelques rôles et dialogues (en arabe), et pouvant gagner autour de 3000 DH par tournage. Zak Production et Dune Films, basées à Marrakech, ont plutôt bonne réputation. “Avec Zak, on a droit à un contrat, deux litres et demi d’eau par jour, le déjeuner et le transport, et au moins 250 DH par jour”, soutient son ami Lahcen Bazgra, ancien pêcheur rbati de 51 ans, reconverti dans la figuration.

Mais sur certains tournages, les cachets sont bien moins généreux. C’est le cas, récemment, de ceux du téléfilm Ali Baba (produit par TF1) : les figurants ont dû parcourir sept kilomètres avant d’arriver sur les lieux du tournage, pour travailler sous un soleil de plomb, sans boire ni manger et à des tarifs “discount”. “Parfois, ils te paient 150 DH la journée. Mais une fois déduits tes frais de transport et ton repas, il te reste à peine 70 DH”, raconte Lahcen.

Même à la wilaya, on admet l’absence de régulation du secteur, tout en alignant les solutions miracles : inauguration d’un musée du cinéma, tenue pour la première fois à Ouarzazate du festival national du film marocain, ouverture de deux formations publiques aux métiers du cinéma… “Du vernis, tranche Hicham Zizaoui. De tout l’argent qui rentre, rien n’arrive aux habitants. Les boîtes de production sont les seules à en profiter”.

Concurrence oblige

Personne n’a intérêt à trop surveiller le système, insinue-t-on de part et d’autre, de peur de tuer la poule aux œufs d’or. Concurrence tunisienne, polonaise, sud-africaine ou mexicaine oblige. Même Marrakech, traîtresse voisine, commence à faire de l’ombre à Ouarzazate : l’an dernier, trois tournages ont pris la direction de la ville ocre.

Et hormis le tourisme et le cinéma, la région n’a pas de ressources. Et encore, la manne financière générée par les tournages reste entourée d’un flou qui confine au tabou. Ici et là, on parle de 1,5 milliard de dirhams de recettes sur les cinq dernières années… Un chiffre impossible à vérifier : le gros des finances transite via des comptes privés ouverts par les productions. Et les prestataires de services marocains ne souhaitent pas non plus communiquer sur leur part du gâteau.

“Il y a pas mal d’argent qui circule, assure Driss Roukhe, mais ça ne se reflète pas sur la vie des gens”. Les fonds injectés localement, quant à eux, relèvent surtout de la générosité de quelques “invités” : Brad Pitt avait effectué un don de 500 000 DH, alors que la production d’Alexandre avait offert une ambulance à l’hôpital de la ville… Mais quid d’une réelle participation au développement, dans une ville où 44% des habitants sont pauvres, 47% analphabètes et 70% au chômage ? “Ce n’est pas une question de salaire minimum, mais de dépendance. Nous avons des dattes, des abricots, du henné, des roses, et tout est traité à Agadir ou à Marrakech. La région ne produit rien”, fait remarquer un habitant. Ouarzazate, Hollywood marocain ? “Au fond, on est toujours le Maroc inutile. Le cinéma, ce n’est qu’un kit de survie”, conclut-il.

Formation : Lentement mais sûrement

Depuis la rentrée, deux cursus publics et gratuits de formation aux métiers du cinéma ont ouvert leurs portes à Ouarzazate. L’un dépend de l’OFPPT et forme en deux ans aux métiers de maquilleur, coiffeur, accessoiriste… L’autre, rattaché à l’Université Ibn Zohr d’Agadir (coopération entre les régions Souss-Massa-Draâ et Aquitaine), enseigne en trois ans les techniques de son, image, cadrage, éclairage, et offre une perspective de master à Bordeaux. Au total, plus de cent étudiants, dont une majorité de Ouarzazis, y sont inscrits. Une prise de relais nécessaire, après la fermeture du centre de formation privé fondé en 2004 par le cinéaste Mohamed Asli, en partenariat avec l’Italie. “C’était une expérience, hébergée pour deux ans dans les studios Kan Zaman pour 20 millions de dirhams, explique Thami Hajjaj, ancien directeur du centre. 90 étudiants boursiers sont sortis et une majorité travaille aujourd’hui. Une dizaine étaient sur le tournage du film de Daoud Aoulad Syad, d’autres ont participé au projet Film Industry de Nabil Ayouch…”.

TelQuel - Cerise Maréchaud

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